Né le 15 juin 1799 à Grenoble (Isère), décédé le 17 février 1859 dans la même ville. Médecin homéopathe et conservateur du Cabinet d’histoire naturelle de Grenoble. Abonné à La Phalange, actionnaire de sociétés fouriéristes, membre du groupe phalanstérien grenoblois.
Le père d’Albin Crépu est d’abord un fonctionnaire de l’administration militaire, successivement qualifié de contrôleur des transports militaires (lors de la naissance de son premier fils, Alexandre, en l’an IV), puis de « vérificateur des étapes » (an IX, lors de la naissance d’Albin) ; il devient ensuite avocat et exerce un moment la fonction de bâtonnier de l’ordre des avocats [1].
Zoologie, botanique et médecine homéopathique
Albin Crépu devient en 1825 conservateur du Cabinet d’histoire naturelle de Grenoble. Il est réputé pour ses qualités de taxidermiste et pour ses compétences en ornithologie [2] ; il rédige en 1826 un travail sur les oiseaux du Dauphiné [3]. A partir de 1827, il dispense également un cours de botanique au Jardin des plantes de Grenoble, dont il devient le directeur en 1842 [4].
Parallèlement, il fait des études de médecine à Montpellier où il obtient le doctorat en 1832. Il pratique l’homéopathie dont il s’efforce de diffuser les principes à Grenoble. Il s’intéresse aussi – apparemment très ponctuellement et sans beaucoup de réussite – au magnétisme, toujours dans une perspective thérapeutique [5].
Les résultats auxquels il parvient auprès de ses patients ainsi que son activité en faveur de l’homéopathie lui valent une certaine notoriété dans les milieux favorables à la nouvelle doctrine et en particulier dans les associations et les périodiques qui la propagent. Dans la Bibliothèque homœopathique, un périodique publié à Genève, un médecin de Valence fait l’éloge de son confrère « qui pratique avec de si brillants succès à Grenoble » [6]. Selon l’auteur d’un rapport présenté en 1834 devant la Société homœopathique gallicane,
Grenoble mérite d’être signalé comme un autre centre d’où rayonnent les connaissances homœopathiques. Le docteur Crépu, professeur de botanique, non seulement l’y pratique avec succès, mais il a entraîné, par ses conseils et ses exemples, plusieurs autres médecins, et il a autour de lui des élèves qu’il anime de son zèle et qu’il nourrit des principes de la science [7].
En septembre 1834, Albin Crépu participe au congrès de la Société homœopathique gallicane, qui réunit des médecins français et des médecins suisses ; il y présente le cas d’une patiente souffrant d’une phtisie pulmonaire « déclarée incurable par plusieurs médecins », mais dont il a obtenu la guérison [8]. Il publie vers 1835 une brochure dans laquelle il répond aux critiques émises par l’Académie de médecine, accusée de méconnaître la doctrine qu’elle vient de condamner [9].
Au printemps 1839, l’un de ses confrères suisses, lui-même disciple de Hahnemann, effectue un bref séjour en France, qu’il relate lors d’une séance de la Société homœopathique lémanienne :
J’ai bientôt atteint Grenoble, où m’attendaient l’amitié et le talent du savant et brave CREPU. Vous savez tous, Messieurs, quelles lances a rompu ce professeur en faveur de notre doctrine, et comment il a réduit au plus profond silence ses dénigreurs, en les qualifiant publiquement de CALOMNIATEURS. Le Dr CREPU marche dans la voie qu’il s’est ouverte, et il y marche à front découvert [10].
Le Dr Crépu fait paraître en 1840 un Dialogue entre un docteur homœopathe et un allopathe. Le texte constitue une critique virulente de la médecine allopathique, qui manque « d’une loi générale d’application thérapeutique » et qui « marche à l’aventure selon l’impression du moment, et ne procède jamais, vu au grand jour, qu’avec inconséquence et divagation » [11]. Après avoir dénoncé « les procédés usuels et routiniers » et les « vieilleries médicales » des allopathes, le médecin homéopathe – c’est-à-dire Crépu lui-même – ajoute :
Depuis dix ans j’étudie, je professe et je pratique l’homœopathie. Elle seule m’a offert tous les caractères de la science et a fait s’évanouir le cruel scepticisme médical qui s’était antérieurement saisi de ma pensée [12].
Sa pratique homéopathique lui attire apparemment les faveurs de nombreux patients dans la capitale iséroise. Ainsi, quand, en 1836, certains affirment qu’il ne garde la direction du Cabinet d’histoire naturelle que pour des raisons financières, il peut répondre au maire de Grenoble :
Mon intérêt personnel ne se trouve point lié à de petites places misérablement rétribuées. Mon énorme clientèle et ma réputation médicale me mettent suffisamment à l’abri de tout soupçon à cet égard [13].
A la fin des années 1830, il doit d’ailleurs se faire aider pour suivre ses patients, constate son confrère suisse :
Ses occupations scientifiques et pratiques ne lui laissant pas le loisir nécessaire aux visites en ville, il a désiré s’adjoindre un confrère, et il a fait un choix excellent dans la personne du Dr Juvin [14].
Juvin, également fouriériste, vient alors de soutenir une thèse à la faculté de Paris, dans laquelle il exprime son adhésion aux principes homéopathiques. Crépu l’en félicite dans une longue lettre publiée dans la Bibliothèque homœopathique. Il y dénonce une nouvelle fois l’allopathie (« la vieille médecine ») et affirme la prochaine victoire de l’homéopathie :
Plus j’étudie, plus j’expérimente, plus je pratique, et plus profondément aussi s’enracine en moi cette conviction que la loi des semblables est appelée dans l’avenir à régir le monde médical tout entier. Encore un peu de temps, encore quelques efforts de la part des hommes progressifs qui l’ont mise en lumière, et la foule des jeunes médecins en fera la base de ses méditations physiologiques et thérapeutiques [15].
Membre du groupe phalanstérien de Grenoble
L’adhésion d’Albin Crépu à l’École sociétaire remonte au moins au début des années 1840. Il est un des actionnaires de la Société du 10 juin 1840 – en 1843, il possède une action de 500 francs [16]. Il est abonné à La Phalange [17]. En novembre 1844, François Cantagrel séjourne en l’Isère, dans le cadre d’une tournée dans le Sud-Est. Il s’agit notamment pour lui de rencontrer ses condisciples et de leur demander leur opinion sur La Démocratie pacifique, le journal fouriériste qui paraît depuis un peu plus d’un an, mais dont la situation financière est mauvaise : « à Grenoble, Crépu, Théodore Guigonnet, Petit, le dévoué capitaine Guillot ont voté le maintien du journal » [18]. Cantagrel incite ses condisciples grenoblois à se « voir souvent » en leur présentant « tous les bons résultats de ces rencontres ». Un groupe phalanstérien se forme alors au chef-lieu de l’Isère ; « des réunions hebdomadaires [sont] établies chez le docteur Crépu ». Mais cela ne dure guère d’après l’un des fouriéristes grenoblois qui écrit en septembre 1845 à son condisciple brestois Guiastrennec : « nous sommes retombés dans l’isolement » [19].
Au milieu des années 1840, alors que la municipalité grenobloise envisage la transformation du Cabinet d’histoire naturelle en véritable musée, l’indépendance revendiquée par Crépu dans sa gestion de l’établissement et l’orientation qu’il lui donne – privilégier les collections alpines au détriment de l’ouverture à des collections étrangères – sont contestées, notamment par Hippolyte Bouteille qui convoite sa place. Crépu doit abandonner son poste de conservateur en 1847 (Bouteille lui succède). Deux années plus tard, ses fonctions (direction et cours) cessent au Jardin botanique [20].
Il participe dans les premiers mois de 1850 à la création d’un restaurant sociétaire, dont l’initiative revient au conseil municipal, mais dont la formation est soutenue par les milieux réformateurs locaux [21].
Albin est le frère d’Alexandre Crépu, carbonaro sous la Restauration, avocat et journaliste républicain sous la monarchie de Juillet, élu représentant de l’Isère à l’Assemblée constituante en avril 1848.
[1] Archives municipales de Grenoble, acte de décès de Marc Antoine Crépu, 10 mars 1825 (en ligne sur le site des Archives municipales de Grenoble, vue 5/10).
[2] Joëlle Rochas, Du cabinet de curiosités au muséum : les origines scientifiques du muséum d’histoire naturelle de Grenoble (1773-1855), thèse de doctorat en histoire, université Pierre Mendès-France Grenoble II, 2006, p. 349-354.
[3] Catalogue manuscrit des oiseaux du Dauphiné, Grenoble, 1826, Muséum d’histoire naturelle de Grenoble, mentionné par Joëlle Rochas, Du cabinet de curiosités…, op. cit., p. 349, note 781.
[4] Joëlle Rochas, Du cabinet de curiosités…, op. cit., p. 348 et p. 350.
[5] Selon le Dr Peschier, « le docteur Crépu n’est pas parvenu à guérir sa somnambule ». Dr Perrussel, « L’homœopathie et le magnétisme animal » et Dr Peschier, « Addition du rédacteur », Bibliothèque homœopathique, tome 6 (nouvelle série), 1840, p. 269.
[6] Dr. Dupré-Deloire, « Profession de foi et observations communiquées à la Société homœopathique gallicane, le 16 septembre », Bibliothèque homœopathique, tome 4, 1835, p. 153.
[7] Dr. P. Dufresne, « Rapport fait à la réunion de la Société homœopathique gallicane, le 15 septembre dernier », Bibliothèque homœopathique, tome 4, 1835, p. 80.
[8] Bibliothèque homœopathique, tome 4, 1835, p. 34-35, p. 39 et p. 100-106.
[9] L’Académie de médecine et l’homœopathie, br. In-12, par M. le professeur Crépu, de Grenoble ; d’après le compte rendu publié dans la Bibliothèque homœopathique, 1835, tome 5, p. 126-127.
[10] Dr Peschier, « Allocution adressée à la Société homœopathique lémanienne, séante à Vevey, le 15 août 1839 », Bibliothèque homœopathique, n°6, septembre 1839, p. 293-294.
[11] Dialogue entre un docteur homœopathe et un allopathe, Paris, Impr. de Cosson, 1840, p. 3-4.
[12] Ibid., p. 15.
[13] Archives municipales de Grenoble, R2.56 d 2, lettre au maire Berriat, 30 septembre 1836, citée par Joëlle Rochas, Du cabinet de curiosités…, op. cit., p. 369.
[14] Dr Peschier, « Allocution adressée à la Société homœopathique lémanienne, séante à Vevey, le 15 août 1839 », Bibliothèque homœopathique, n°6, septembre 1839, p. 293-294.
[15] « Lettre adressée par M. Alb. Crépu, docteur-médecin, à l’un de ses élèves, sur l’homœopathie », Bibliothèque homœopathique, tome 2 (nouvelle série), 1838, p. 4.
[16] Jean-Claude Sosnowski, « Liste d’actionnaires de la Société du 10 juin 1840 pour la propagation et pour la réalisation de la théorie de Fourier, 15 mai 1843 », charlesfourier.fr, rubrique « Réalisations et propagation », mars 2014, en ligne : http://www.charlesfourier.fr/spip.php?article1303 (consulté le 19 novembre 2015)
[17] École normale supérieure, fonds Considerant, carton 3, dossier 2, chemise 1, cahier d’abonnés (abonnement souscrit en septembre 1841 pour un an).
[18] Archives nationales, fonds Fourier et Considerant, 10 AS 37 (681 Mi 59, vues 234-237), lettre de Cantagrel, 24 novembre 1844.
[19] Bibliothèque municipale de Lyon (Part-Dieu), fonds Fernand Rude, boîte 163, brouillon d’une lettre adressée à Guiastrennec, 5 septembre 1845.
[20] Joëlle Rochas, Du cabinet de curiosités…, op. cit., p. 369-376 et notice biographique, p. 542-543.
[21] Anne Lhuissier, « Les restaurant sociétaire de Grenoble sous la Seconde République. De l’initiative politique à l’institution réformatrice », Revue d’histoire du XIXe siècle n°26/27, 2003, p. 85-110 (consulté le 29 octobre 2015 sur revues.org).
Œuvres :
Essai sur l’air atmosphérique, considéré seulement dans quelques-uns de ses rapports avec l’organisation humaine, Montpellier, 1832, 38 p., thèse de médecine (en ligne sur books.google.fr).
L’Académie de médecine et l’homœopathie (brochure signalée dans Bibliothèque homœopathique, tome V, 1835, p. 126-127).
« Lettre adressée par M. Alb. Crépu, docteur-médecin, à l’un de ses élèves, sur l’homœopathie », Bibliothèque homœopathique, tome 2 (nouvelle série), 1838, p. 1-24.
Dialogue entre un docteur homœopathe et un allopathe, Paris, Impr. de Cosson, 1840, 19 p.
Sources :
Archives nationales, fonds Fourier et Considerant, 10 AS 37 (681 Mi 59), vue 234-237, lettre de François Cantagrel, 24 novembre 1844.
Archives municipales de Grenoble, acte de naissance d’Albin Crépu, 29 prairial an VII (17 juin 1899) (en ligne sur le site des Archives municipales de Grenoble, vue 30/30).
Archives municipales de Grenoble, acte de naissance d’Alexandre Crépu, 9 germinal an IV (29 mars 1796) (en ligne sur le site des Archives municipales de Grenoble, vue 7/19).
Archives municipales de Grenoble, acte de décès de Marc Antoine Crépu, 10 mars 1825 (en ligne sur le site des Archives municipales de Grenoble, vue 5/10).
Archives municipales de Grenoble, état civil, acte de décès d’Albin Crépu, 18 février 1859 (en ligne sur le site des Archives municipales de Grenoble, vue 8/12).
Bibliothèque municipale de la Part-Dieu, Lyon, fonds Fernand Rude, boîte 163, brouillon d’une lettre adressée à Guiastrennec, Brest, 5 septembre 1845.
Bibliothèque homœopathique, 1832-1842 (en ligne sur le site des Bibliothèques universitaires de l’université Claude Bernard-Lyon 1 ; accessible également par SUDOC).
Bibliographie :
Anne Lhuissier, « Les restaurant sociétaire de Grenoble sous la Seconde République. De l’initiative politique à l’institution réformatrice », Revue d’histoire du XIXe siècle n°26/27, 2003, p. 85-110 (consulté le 29 octobre 2015 sur revues.org).
Joëlle Rochas, Du cabinet de curiosités au muséum : les origines scientifiques du muséum d’histoire naturelle de Grenoble (1773-1855), thèse de doctorat en histoire, université Pierre Mendès France Grenoble II, 2006, 878 p. (en ligne sur le site de l’ENSSIB).
Joëlle Rochas, Muséum de Grenoble. Une histoire naturelle, Grenoble, éditions du Muséum de Grenoble, 2008, 273 p. (version remaniée de la thèse).
Fernand Rude, « La Révolution de 1848 à Grenoble », dans La Révolution de 1848 dans le département de l’Isère, Grenoble, Impr. Allier, 1949, p. 87-212.
Remerciements à Philippe Candegabe, assistant de conservation au Muséum d’histoire naturelle de Grenoble pour son aide.
Iconographie :
Portrait peint par Diodore Rahoult (collections du Muséum d’histoire naturelle de Grenoble).
Portrait sur le site du Muséum d’histoire naturelle de Grenoble.
Tombeau d’Albin Crépu au cimetière Saint-Roch de Grenoble sur Cimetières de France et d’ailleurs.
Sitographie :
Site du Muséum d’histoire naturelle, informations sur le Cabinet d’histoire naturelle.
Jean-Claude Sosnowski, « Liste d’actionnaires de la Société du 10 juin 1840 pour la propagation et pour la réalisation de la théorie de Fourier, 15 mai 1843 », charlesfourier.fr, rubrique « Réalisations et propagation », mars 2014, en ligne : http://www.charlesfourier.fr/spip.php?article1303 (consulté le 19 novembre 2015).
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