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Vauthier, Louis-Léger
Article mis en ligne le 1er mai 2016
dernière modification le 11 janvier 2020

par De Maupeou, Emanuele

Né le 7 avril 1815 à Bergerac (Dordogne), mort le 2 octobre 1901 à Beauchamps (alors en Seine-et-Oise, aujourd’hui dans le Val-d’Oise). Polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées. Ami de toujours de Cantagrel et en lien avec le centre parisien de l’École sociétaire dès les années 1830. Propagateur du fouriérisme au Brésil dans les années 1840. Député en 1849, conseiller municipal de Paris et conseiller général de la Seine sous la Troisième République.

L’héritage politique familial et l’adhésion au fouriérisme

Fils de Pierre Vauthier, ingénieur des Ponts et Chaussées, et de Magdeleine Adèle Lauraine, fille d’une famille de propriétaires terriens en Dordogne, Louis-Léger est le deuxième d’une fratrie de dix enfants. Issu d’un milieu très cultivé, mais pas particulièrement fortuné, le capital culturel acquis dans le milieu social et familial est décisif dans les choix du jeune Louis-Léger, tant dans le domaine professionnel que dans son engagement politique.
Son père, Pierre Vauthier, est fils d’un marchand mercier de Boulogne – au sud-ouest de Paris – et fait partie de ce groupe d’hommes nouveaux qui ont la possibilité d’émerger sous la Révolution et sous l’Empire. La réussite du père en tant qu’ingénieur marque durablement la famille et, si les quatre fils travaillent dans le secteur de l’ingénierie [1], c’est à Louis-Léger qu’incombe la tâche de poursuivre la prestigieuse carrière de son père, du fait de sa réussite scolaire. Louis-Léger fait une scolarité brillante à Montignac et à Limoges, puis réussit le concours de Polytechnique en 1834, à l’âge de 17 ans. Classé seizième sur 136 élèves, il sort quatrième de sa promotion en 1836. La même année, il intègre l’École des Ponts et Chaussées, figurant à la deuxième place du classement de la rentrée. En 1837, il est nommé en Dordogne pour sa première campagne, puis, en 1838, dans le Morbihan, au service des ports maritimes [2].
Avant de s’engager formellement dans la cause phalanstérienne, le jeune étudiant appartient déjà à une famille où l’engagement politique marque plusieurs générations successives et à un milieu où circulent les théories de réformes sociales. Son grand-père, bonapartiste, est maire de Boulogne-Billancourt pendant la Révolution et au début de la période impériale. Puis, son père a sans doute été saint-simonien avant d’adhérer au fouriérisme [3]. Dans la fratrie, au moins deux de ses frères et une de ses sœurs s’engagent dans la lutte sociale et politique sous le Second Empire : Eugène, cité comme témoin dans le procès de l’affaire du « Complot de l’Opéra-Comique » ; Octave, auteur d’une brochure politique défendant la Révolution et exilé dans les années 1850 ; et Euphémie, pédagogue et écrivaine féministe [4], mariée à Eugène Garcin, poète provençal, journaliste et conférencier républicain. Il convient aussi de mentionner la femme de Vauthier, Élisa Joubert, issue d’un milieu très cultivé et bonapartiste. La famille Joubert fait partie de l’entourage de la famille Bonaparte en Italie et perd sa fortune en 1815, après la Restauration.
Si l’engagement politique de Vauthier tient en partie à son milieu familial, c’est surtout la dimension rationnelle des théories de réforme sociale – la science comme solution à la question sociale – qui attire le jeune polytechnicien. Ainsi, d’une part l’ingénieur adhère formellement au fouriérisme, d’autre part il garde toute sa vie des traits saint-simoniens. Les deux théories orientent simultanément ses choix professionnels, son engagement politique, ainsi que l’évolution de son réseau de connaissances.
Vauthier s’engage dans le mouvement fouriériste dès ses années d’étude. Dans une lettre de 1837, adressée à l’École sociétaire, il affirme être abonné à La Phalange depuis un certain temps et envoie « une somme de vingt francs à la création du crédit de dix mille francs dont il est question dans la circulaire de La Phalange du 21 juillet 1837 » [5] Puis, il propose, comme il le dit, une « franche et dévouée coopération, pour toutes les choses de réalisation auxquelles mes facultés me rendront possible de participer » [6]. La lettre de Vauthier est une réponse à l’« Appel pour la réalisation de la Théorie Sociétaire » lancé par Victor Considerant en juillet 1837 et destiné à faire revivre l’expérience phalanstérienne de Condé-sur-Vesgre en prenant en charge des enfants délaissés. Dans un moment où l’autorité de Considerant est contestée par des dissidents réalisateurs, la démarche de Vauthier est un soutien au dirigeant fouriériste dont il suit l’orientation en se consacrant à la propagation et à la lutte politique.
À cette époque, Vauthier se rapproche des membres du noyau actif des militants fouriéristes à Paris et, au moment de son départ pour le Brésil, en 1840, il connaît déjà quelques dirigeants de l’École sociétaire, notamment François Cantagrel [7].

Un fouriériste au Brésil

En 1840, Vauthier est embauché par le gouvernement de la province du Pernambouc au Brésil pour diriger d’importantes réformes urbaines dans la région. Le jeune ingénieur, récemment incorporé au corps des Ponts et Chaussées, mais déjà mécontent de ses affectations et de la modicité de ses appointements, n’hésite pas à accepter l’offre du gouvernement brésilien qui lui propose non seulement un salaire très généreux, mais aussi un poste à responsabilité – poste qu’il ne pourrait obtenir en France en suivant la hiérarchie de l’administration.
À Recife, ville dans laquelle il vit pendant six ans, Vauthier devient l’ingénieur en chef du Service des Travaux Publics du Pernambouc et dirige une équipe formée de plusieurs ingénieurs étrangers, sans compter les nombreux employés et techniciens brésiliens exerçant également sous ses ordres. Il est le grand responsable des réformes de modernisation et d’urbanisation de la région, parmi lesquelles la construction du théâtre du Pernambouc, qui lui confère une grande visibilité. Dans cette société rurale qui connaît alors un élan d’urbanisation, Vauthier bâtit non seulement des édifices, mais introduit également une rationalisation technique dans la manière de construire, participe à la vie sociale, culturelle et politique des élites locales, diffuse des idées fouriéristes parmi ses membres et se trouve mêlé aux querelles du pouvoir local.
Au Brésil, Vauthier se marie avec Élisa Joubert, qui vit à Florence et le rejoint à Recife en 1844. En 1845, naît Pierre, leur fil unique.
Avec l’accord du centre parisien de l’École sociétaire, Vauthier part de France avec le projet de promouvoir le fouriérisme au Brésil. Son activité de propagande à Recife suit méticuleusement toutes les actions énumérées dans la brochure fouriériste Nature des relations que les amis de nos idées doivent établir entre eux : étude, persuasion, diffusion d’ouvrages, abonnements aux périodiques phalanstériens, concours au renforcement financier de l’École et fondation d’un journal. Puis, il maintient informé le cercle de Paris de toutes ses activités. En effet, Vauthier est le correspondant du centre parisien de l’École sociétaire au Brésil. Durant ses six années passées au Pernambouc, l’ingénieur note dans son journal intime l’envoi d’une trentaine de lettres à Cantagrel. Dans une correspondance régulière, les deux hommes s’échangent des informations, de l’argent, des journaux et des livres concernant le Brésil et la propagande fouriériste, puis ils entretiennent une relation d’amitié. L’ingénieur note également l’envoi de deux lettres à Julien Blanc, d’une lettre officielle au gérant de La Phalange et d’une lettre à Victor Considerant. La lettre envoyée à Julien Blanc en 1842 est un rapport d’activités, dans lequel il détaille ses actions de propagande au Brésil et notamment les avancées du projet de création d’un journal. Il l’affirme clairement : « quant à la propagande ici je vais assez bien » [8]. Vauthier livre aussi des informations qui sont publiées dans les journaux sociétaires en France, mais il ne signe pas de son propre nom les articles parus dans ces organes de presse [9]. Cette absence s’explique probablement par la volonté de se préserver en tant qu’ingénieur des Ponts et Chaussées, car l’administration n’apprécie pas l’engagement de ses fonctionnaires.
La coïncidence du départ de Vauthier avec la mise en place d’un projet phalanstérien au sud du Brésil, par les dissidents de l’Union industrielle réunis autour de Benoît Mure et de Michel Derrion, attire d’autant plus l’attention du cercle parisien sur le pays. Pour les fouriéristes parisiens, Vauthier est une source fiable d’informations et l’ingénieur essaie de répondre aux questions de ses amis. Le 29 septembre 1841, il note dans son journal : « renseignements sur le docteur Mure. Il marche. Quatre lieues de terrain dans la presqu’île de Saí (île de Santa Catarina), soixante-quatre contos de l’Assemblée générale. Ce sont déjà de bons résultats. Mure est charlatan mais enfin il emploie bien sa langue et sa mielleuse parole ». Puis, il envoie à Cantagrel un imprimé de Mure – mémoire sur la colonie de mécaniciens français [10]. Mais le cercle parisien demande plus d’informations et l’ingénieur explique :

Vous voudriez des détails sur l’affaire Mure. Je ne puis guère vous en donner. Nous en sommes plus loin ici que vous n’en êtes en France. Depuis ce que j’en ai dit les dernières fois, il ne m’en est rien venu par les journaux de Rio. Quant aux renseignements particuliers, ils sont nuls, ainsi je ne me suis pas mis en relation avec lui pour deux motifs, et par suite de la discrétion qui grandit au sujet de semblables tentatives incohérentes la Phalange avec laquelle je veux marcher, et parce que je n’étais pas fort bien avec Mure à la suite de cette algarade de pétition aux chambres dans laquelle tous ces gens du nouveau monde, Mure en tête, se sont montrés si pauvres. Rien donc de ce côté. D’ailleurs je crois et crains avec vous tous qu’elle ne marchera pas. [11]

Vauthier a un regard très critique vis-à-vis de cet essai fouriériste, il opte consciemment pour l’activité de propagande et, à distance, il soutient pleinement la mutation de l’engagement fouriériste vers la voie politique et la cause républicaine. Chez lui, le choix du politique s’impose très tôt et de façon définitive. Au Brésil, il écrit, en 1842 :

Ce que j’ai par exemple appris avec beaucoup de peine c’est la non réussite de Considerant. […] C’eût été un beau résultat pour l’école que de l’avoir là au milieu de ces crétins sans aveu ; mais enfin, c’est chose faite. Il n’y faut plus penser et se retourner vers d’autres points de l’horizon. Et pour tâcher de préparer les esprits à la réforme électorale notionnelle et alors nous vivrons. [12]

Vauthier note dans son journal les noms des individus touchés par la propagande fouriériste, soit par le biais de conversations, soit par le prêt ou l’abonnement à des livres et revues phalanstériennes. Il met en vente plusieurs volumes d’une quinzaine d’ouvrages de propagande dans les deux principales librairies de Recife et le Diário de Pernambuco, principal journal de la région, publie la traduction d’articles de La Phalange [13]. Vauthier distribue à Recife et envoie à Cantagrel les deux premiers périodiques brésiliens de théories sociales : la revue O Socialista da Província do Rio de Janeiro, d’inspiration fouriériste, et le journal O Globo, d’inspiration saint-simonienne. Il envoie aussi « une lettre officielle au gérant de La Phalange avec une liste de quinze souscripteurs à 48 actions pour la suite de la transformation de La Phalange en journal quotidien » [14]. Dès 1842, il mentionne dans sa correspondance le projet de création d’un journal, mais celui-ci ne voit le jour qu’en juillet 1846 avec la fondation de O Progresso, Revista Social, Litterária e Scientífica. Cette revue est la plus ambitieuse des publications de la presse du Pernambouc de l’époque et présente un projet pour le Brésil sur des fondements théoriques. La revue circule jusqu’en septembre 1848, après le retour de Vauthier en France, et est éditée par le professeur Antônio Pedro de Figueiredo.
À Recife, Vauthier fréquente surtout des Brésiliens issus de l’élite locale, des maîtres de moulins à sucre ou d’importants commerçants, qui sont en général de grands propriétaires de terres et d’esclaves. Nombre d’entre eux sont des hommes politiques, la plupart liés au parti conservateur, les autres à l’opposition praieira. Vauthier est particulièrement proche du président de la province, le francophile Francisco do Rego Barros, baron de Boa Vista, qui, selon l’ingénieur lui-même, soutient la propagande fouriériste, la fondation d’un journal et parle du fouriérisme comme de « nos idées » [15].
Vauthier essaye aussi, par son activité dans le domaine des travaux publics, de promouvoir le progrès du Pernambouc en défendant la formation d’une classe moyenne forte et en encourageant l’utilisation de la main œuvre libre. Il cherche à s’éloigner des secteurs les plus agraires et traditionnels de l’élite sucrière et se rapproche des secteurs urbains, formés tant par des professeurs et des diplômés en droit que par de riches commerçants de Recife. Avec ces hommes, Vauthier s’implique dans des projets de promotion de « l’esprit associatif », par le biais de la formation de compagnies d’investissement, et trouve des financements pour la majorité des projets pour lesquels il travaille au Pernambouc. Cependant, plusieurs des commerçants fortunés, financeurs des travaux publics du Pernambouc, sont également trafiquants d’esclaves, alors que la traite atlantique est déjà interdite au Brésil.
Très actif et compétent, mais centralisateur et imprégné d’un sentiment de supériorité, Vauthier est régulièrement cité dans les journaux locaux. Dans une période de tension croissante qui culmine avec l’éclatement, en 1848, de l’une des plus importantes insurrections du Pernambouc, la Praieira, son profil offre aux différents groupes politiques des arguments largement exploitables. En octobre 1846, avec l’aggravation des tensions politiques et les changements successifs de présidents du Pernambouc, le gouvernement de la province ne renouvelle plus le contrat de Vauthier qui, en novembre, rentre en France avec sa femme et son fils.

L’engagement quarante-huitard, la députation, la prison et l’exil

À son retour en France, Vauthier s’engage ouvertement dans l’action politique et son républicanisme se radicalise, surtout après la Révolution de 1848. À son arrivée, il participe à l’effervescence fouriériste à Paris, puis, à la suite de sa nomination comme ingénieur des Ponts et Chaussées à Bourges, en mai 1847, il s’investit dans les cercles républicains du Cher. En avril 1848, il se présente pour la première fois aux élections législatives, obtient six mille voix, mais n’est pas élu [16]. Puis, après les sanglantes journées de Juin, il se range aux côtés des démocrates socialistes et participe à l’organisation de l’opposition, notamment après la fondation de la Montagne autour de Ledru-Rollin.
Le 25 septembre 1848, lors d’un banquet, il propose un toast « au travail attrayant » qui fait scandale et entraîne sa mutation à Pontivy, dans le Morbihan. Ce toast, violemment dénoncé à la tribune de l’Assemblée par le représentant du peuple Denjoy, est mentionné dans La Démocratie pacifique, sans que le nom de Vauthier ne soit toutefois cité [17]. L’absence du nom de Vauthier dans la presse fouriériste n’empêche pas Considerant de mentionner l’affaire dans Le Socialisme devant le vieux monde, rappelant « l’invocation de l’AVÈNEMENT DU RÈGNE DE DIEU SUR TERRE, prononcée dans un banquet par notre ami Vauthier, ingénieur des ponts et chaussées et phalanstérien pur-sang » [18].
Malgré sa mutation à Pontivy, Vauthier maintient le contact avec les milieux républicains socialistes du Cher et, le 13 juin 1849, il est élu représentant du peuple sur la liste des candidats rouges. Dans sa brochure de campagne, on voit défiler des propositions chères aux fouriéristes : élaboration d’une solution pour les problèmes sociaux ; indépendance et dignité des femmes ; éducation pour tous les enfants ; ou encore association et alliance libre du capital et du travail. Il défend l’accomplissement de ces propositions sans violence ni spoliation.
Outre Cantagrel, que Vauthier fréquente de plus en plus, cette période est aussi celle de son rapprochement avec Victor Considerant, Allyre Bureau et César Daly.
Pour occuper ses fonctions de représentant du peuple, Vauthier quitte son poste d’ingénieur des Ponts et Chaussées. Au cours de ce bref mandat, il vote constamment avec la Montagne et se rend fréquemment aux bureaux de La Démocratie pacifique [19]. Il fait partie des représentants fouriéristes mobilisés autour de Victor Considerant et qui participent activement au rassemblement de la gauche républicaine à l’Assemblée nationale.
Vauthier s’oppose à l’intervention de l’armée française en faveur du pape, en conflit avec la République romaine et, le 11 juin, il signe la proposition de mise en accusation du président de la République et de ses ministres faite par Ledru-Rollin. Le même jour, il est présent, aux côtés de Considerant et de Cantagrel, dans les bureaux de La Démocratie pacifique, lors de la réunion des chefs de la Montagne [20]. Le 12 juin, il signe l’appel à la manifestation, puis, le lendemain, il participe à la manifestation et est arrêté par la police dans le Conservatoire des Arts et Métiers.
Après l’incarcération, Vauthier et les autres détenus du 13 Juin sont placés à la Conciergerie, où ils débattent, avec les républicains de l’extérieur, de la stratégie à suivre lors du procès. Vauthier, voulant se défendre, est en contact avec Victor Considerant qui fait partie de ceux qui ne reconnaissent pas la compétence du tribunal installé à Versailles et considèrent donc que les détenus ne doivent pas se défendre. Le dirigeant fouriériste écrit : « Je viens de lire une lettre de Bureau et une de Vauthier. Je m’étais fait tous les raisonnements sérieux que ces lettres contiennent, cela ne change rien à ma manière de voir… » [21]. Vauthier finit par suivre la ligne de conduite de la majorité des accusés et refuse de se défendre. Le 13 novembre, il est condamné à la déportation par la Haute Cour de justice de Versailles. À la suite de sa condamnation, il est déchu de son mandat de représentant du peuple et rayé des contrôles du corps des Ponts et Chaussées.
À partir de son incarcération, Vauthier se trouve au cœur de l’opposition républicaine et, restant parmi les principaux prisonniers politiques français, il entretient des rapports étroits avec des personnalités de la gauche de diverses sensibilités politiques, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des murs de la prison. Incarcéré successivement dans divers lieux de détention – Doullens, Mazas, Belle-Île-en-Mer et Sainte-Pélagie –, l’ingénieur connaît les différents niveaux de la répression mise en place par le gouvernement. Il adopte initialement une posture de résistance, restant mobilisé auprès de ses compagnons de captivité. Ferdinand Gambon et Sébastien Commissaire, deux détenus et amis de Vauthier, traitent, dans différents passages de leurs mémoires, du rôle de l’ingénieur derrière les barreaux [22].
À Doullens, Vauthier réussit à publier une « Lettre aux électeurs du Cher » dans le journal Le Temps [23], ce qui vaut un procès et une condamnation à son rédacteur en chef. En 1850, il joue un rôle central dans une tentative d’évasion organisée par les condamnés de Versailles. Avec le soutien de sa femme à l’extérieur, il met en place un projet qui consiste à creuser un tunnel pour atteindre les fossés de la citadelle. Découverte par l’administration carcérale alors que l’essentiel du travail est déjà fait, la tentative d’évasion échoue et précipite le transfert des prisonniers politiques à Belle-Île-en-Mer. Après cette affaire, Élisa Vauthier est inquiétée et privée du droit de rendre visite à son mari.
En octobre 1850, les condamnés de Versailles sont conduits à la prison parisienne de Mazas, où ils restent une quinzaine de jours, avant d’être définitivement installés à Belle-Île-en-Mer. Vauthier est transféré à Belle-Île dans le convoi de déportés qui amène les onze détenus considérés par l’administration comme les plus dangereux : Jean-Marie Deville, Arthur Kléber et Auguste Blanqui, Napoléon Lebon, Jérôme Langlois, Louis Vauthier, Ferdinand Gambon, Daniel Lamazière, Victor Pilhes, Victor Chipron et Sébastien Commissaire [24].
Arrivé à Belle-Île, Vauthier est provisoirement placé dans le bâtiment du Château-Fouquet et partage sa chambre avec Deville, Daniel Lamazière, Gambon, Commissaire et Barbès.
Pendant son incarcération à Belle-Île, Vauthier est très actif. En 1851, il se trouve impliqué dans une révolte et sa femme apporte son soutien aux prisonniers placés au cachot pendant plusieurs jours. Derrière les barreaux, il écrit son premier ouvrage, De l’impôt progressif, publié en 1851 grâce à l’École sociétaire, et crée un cours d’algèbre, très suivi par les autres détenus. Dans la querelle qui divise les détenus entre blanquistes et partisans de Barbès, il se place du côté de Barbès, qui est d’ailleurs son voisin de corridor. Il est aussi en contact avec les Montagnards restés libres, tel Victor Schœlcher.
Après le coup d’État du 2 Décembre 1851, Vauthier reprend son ancien projet d’évasion avec trois autres condamnés de Versailles : Langlois, André et Gambon. Pendant la préparation du plan, sa famille obtient son transfert au Pavillon des Princes, à Sainte-Pélagie, qui a lieu en août 1852. C’est surtout grâce à Proudhon que le transfert de Vauthier a pu se faire. Les deux hommes sont assez proches, au moins pendant les années de prison, et, dans une lettre de 1853, Proudhon parle de Vauthier comme d’un ami [25]. Vauthier et Proudhon ont des intérêts communs, comme les questions de l’association, de l’accès au crédit et de l’impôt.
À Sainte-Pélagie, Vauthier est placé dans la chambre où Proudhon a purgé sa peine [26] et jouit d’une certaine liberté. Sa longue détention ayant représenté une période de grandes difficultés financières pour sa famille, il est important pour lui de trouver en prison des activités rémunérées. Il reste deux ans à Sainte-Pélagie et, grâce à son réseau fouriériste et républicain, il publie beaucoup. Il écrit des articles pour Le Magasin pittoresque, des notices pour le Dictionnaire de la Conversation et de la Lecture et, en collaboration avec Allyre Bureau, un manuel technique paru en 1854. En 1853, Vauthier commence sa collaboration avec la Revue générale d’Architecture avec la parution de quatre lettres, adressées à Daly, sur les maisons d’habitation au Brésil. Puis, il publie régulièrement dans la revue jusqu’en 1878.
Évoquant des raisons familiales, Vauthier finit par formuler une demande de grâce le 9 août 1854 [27]. D’éminents bonapartistes, hommes importants du régime, interviennent en sa faveur : l’oncle de sa femme, M. Joubert, conseiller honoraire à la Cour de cassation ; M. Blanquet de Chayla, commissaire général et sous-directeur au ministère de la Marine ; M. Mésonan, député au Corps législatif ; et M. Eugène Bataille, à l’époque député et maître de requêtes du gouvernement.
Le 29 septembre 1854, la grâce définitive lui est accordée et, en 1855, il quitte la France pour sept ans d’exil. En Espagne, il travaille comme ingénieur en chef de la navigation de l’Èbre, entre 1855 et 1857 – projet financé par les frères Pereire. Puis, en Suisse et en Italie pendant trois ans, il est ingénieur en chef de la Compagnie des chemins de fer de la ligne d’Italie par le Simplon. En Suisse, il retrouve Cantagrel et fréquente sans doute Charles Bergeron.

Le retour en France : ingénieur, républicain et opposant à l’Empire

Vauthier rentre en France en 1861 et les dix dernières années du régime de Napoléon III sont pour lui une période de retour à la stabilité et de retrouvailles avec ses anciens camarades républicains.
Grâce à son métier d’ingénieur, il retrouve la stabilité financière qui lui permet de vivre aisément et en accord avec son milieu bourgeois jusqu’à la fin de sa vie. En 1880, la police de Paris souligne déjà sa « belle situation de fortune » [28]. Il choisit de ne pas réintégrer le corps des Ponts et Chaussées, afin de ne pas prêter serment de fidélité à Napoléon III, et sa carrière se rapproche beaucoup de celle des ingénieurs civils formés à l’École Centrale. Il se tourne vers l’urbanisation de Paris et continue à s’intéresser au secteur des chemins de fer. Il est associé à une entreprise ferroviaire, la Société Gellerat, qui intervient dans les travaux de Paris. En 1867, en tant qu’ingénieur responsable de cette compagnie, il est condamné à un mois d’emprisonnement pour homicide et blessures involontaires, après un accident survenu boulevard Pereire à Paris, à la suite de l’explosion d’un rouleau locomobile à vapeur. Dans les années 1880, il s’intéresse aussi à la navigation sur la Seine.
En parallèle à ses activités d’ingénieur, il est en contact avec des cercles républicains et s’engage dans des projets mobilisant d’anciens quarante-huitards. Il est aux côtés de l’historien Charles-Louis Chassin [29] lors de la fondation du journal La Démocratie, qui circule entre novembre 1868 et août 1870, puis, en 1869, lors de la fondation de la Société Civile des Familles Affranchies, qui accueille des républicains proscrits, en France et en Angleterre.
À la veille de la guerre franco-prussienne, Vauthier est mobilisé dans l’opposition républicaine radicale et il est partisan de Delescluze [30]. Puis, après la chute de Napoléon III et la constitution du gouvernement de la Défense nationale, il est élu chef du 125e bataillon de la Garde nationale et participe à la défense de Paris, rattaché au Corps d’ouvriers auxiliaires de la 2e armée. L’ingénieur travaille beaucoup dans le quartier de la Goutte-d’Or, dans le 18e arrondissement. Il donne sa démission une première fois après le 31 octobre, puis, réélu, il démissionne définitivement après la proclamation de la Commune.
À cette époque, Vauthier souffre déjà d’un important problème de surdité. Dans la galerie de portraits des chefs de bataillon de la Garde nationale, publiée par Le Figaro en décembre 1870, la notice qui lui est consacrée, peu respectueuse, est représentative du regard porté par les nouvelles générations envers les « vieilles barbes de 48 » :

M. Vauthier est vieux, sec, sourd, cassé – et cassant. Il porte une barbe grise très éparpillée. Se fait, quand on lui parle, un cornet acoustique de sa main. Mine absolument renfrognée. Et pourtant, il avait, lorsque nous avons eu l’honneur de nous présenter chez lui, des pantoufles rouges et une vareuse bleue... Marche péniblement ; – comme un principe... qui se traîne. [31]

Lorsque cette notice est écrite, l’ingénieur a 55 ans et il est en pleine action. En novembre 1870, pendant le siège de Paris, il est l’un des fondateurs du club « l’Union républicaine centrale ». Durant sa brève existence, ce club appuie les revendications de la classe ouvrière et la demande d’un conseil municipal ou d’une Commune pour gouverner Paris [32]. Dans cette organisation, dirigée par d’anciens quarante-huitards, on retrouve aussi des membres de l’Association Internationale des Travailleurs, tels Émile Leverdays et Aristide Rey. Grâce aux procès-verbaux des réunions du club, on découvre que, pendant le siège, Vauthier est proche de Gambon, Chassin et Considerant, mais il reste aussi en contact avec d’autres anciens représentants du peuple, comme Daniel Lamazière, Cantagrel, Charles Boysset et Madier de Montjau.
Après le début de la Commune, il s’éloigne de ses anciens camarades qui choisissent la voie du radicalisme, comme Gambon, mais il reste proche de ceux qui sont plus discrets pendant le conflit, tels Considerant. Cette proximité est perceptible dans deux lettres envoyées en avril 1871 par l’ingénieur à l’ancien dirigeant fouriériste [33]. Dans cette correspondance, Vauthier détaille son activité politique et demande l’avis de Considerant pour des projets. Tout en restant à l’écart du conflit, Vauthier opte pour une certaine autonomie de Paris. C’est un conciliateur, favorable à la médiation pour éviter la guerre civile. Les partisans de la conciliation sont proches de la Commune quant aux mesures sociales et aux idées de décentralisation, mais s’éloignent de celle-ci en ce qui concerne le conflit proprement dit.
En février 1871, dans le cadre des élections législatives, Vauthier envisage de poser sa candidature à Paris et dans le Cher, mais il est mis à l’écart par les comités réunis. À cette époque, l’Union républicaine centrale voit son influence décliner. En avril, Vauthier signe l’appel à La Conciliation par l’action et figure comme candidat lors des élections complémentaires du 16, sur la liste de l’Union Républicaine Centrale pour le 9e arrondissement. Cependant, après la victoire des Communards au mois de mars, les élections complémentaires ne mobilisent pas la population et Vauthier n’est pas élu.
À la suite de l’échec de la conciliation, l’ingénieur choisit de se retirer et s’éloigne du conflit. Il écrit à Considerant, malade et également éloigné des combats de la Commune : « Je sais que vous êtes souffrant et j’aurais voulu aller vous porter moi-même la chose, en prenant de vos nouvelles, mais il est trop tard aujourd’hui, et je compte demain aller à la campagne pour deux ou trois jours. On a besoin d’échapper à une atmosphère enferrée » [34].

Conseiller municipal de Paris

En juillet 1871, après la fin du conflit, Vauthier est élu conseiller municipal de Paris par le quartier populaire de la Goutte-d’Or. Il inaugure ainsi la dernière phase de sa carrière politique, mais sans jamais retrouver le rôle national qu’il a joué pendant la Deuxième République. Il siège pendant 16 ans au conseil municipal de Paris et au conseil général de la Seine.
À cette époque, Vauthier se rapproche à nouveau du mouvement fouriériste de la deuxième moitié du XIXe siècle. En 1872, il envoie des subventions à la librairie des sciences sociales [35] et demande un exemplaire du Bulletin nouveau. Puis, tout au long du dernier quart du XIXe siècle, il participe à des banquets, lit les journaux fouriéristes et apporte son soutien financier, mais de façon sporadique car il n’adhère pas complètement au mouvement. Ces choix politiques et les projets dans lesquels il s’engage le rapprochent d’un fouriérisme garantiste. Des sujets concernant l’éducation du peuple, les coopératives et les sociétés de secours mutuel mobilisent Vauthier, mais il reste sceptique à l’égard de certains dirigeants, et son lien avec le fouriérisme est plutôt d’ordre personnel, notamment à cause de ses relations avec d’anciens amis, avec lesquels il s’engage dans différents projets.
Au début des années 1870, il est en contact avec Considerant et, en 1872, il lui dédie une brochure consacrée à l’étude des lignes de métro de Paris. Mais c’est surtout avec Cantagrel que Vauthier travaille en étroite collaboration. Tous deux conseillers municipaux, ils siègent à l’extrême gauche et proposent des projets communs. En 1871, les deux fouriéristes présentent une « proposition de laïcité » dans une discussion concernant l’enseignement primaire. C’est à cette occasion que le substantif « laïcité » apparaît pour la première fois dans les débats de l’Assemblée [36]. Ils travaillent aussi en collaboration avec Martin Nadaud, également conseiller municipal, qui écrit dans ses mémoires : « Cantagrel, Vauthier ont été pour moi de véritables amis, aussi dévoués à la république qu’ils étaient sincèrement socialistes » [37].

Plan de la salle des séances du Conseil municipal au Petit Luxembourg, avec les noms et les couleurs politiques des conseillers, 1875. Vauthier apparaît à gauche en rouge à côté de Cantagrel

Source : Nobuhito Nagaï, Les conseillers municipaux de Paris sous la Troisième République (1871-1914), Paris, Publications de la Sorbonne, 2002.

Au début des années 1870, Vauthier est à nouveau en relation avec le Brésil. En 1872, il est en contact avec le Pernambouc pour la reconstruction du théâtre Santa Isabel – presque entièrement détruit après un incendie survenu en 1869 – et pour la construction du grand marché de Recife, le marché São José.
Entre 1875 et 1876, on le retrouve aux côtés de Cantragrel, Charles Pellarin et Greppo, lors de la fondation d’un réseau de bibliothèques des Amis de l’Instruction. Puis, en 1877, après le coup de force du 16 mai, il crée, aux côtés de Chassin et de Jean Macé, l’hebdomadaire La Semaine Républicaine qui circule entre 1877 et 1878. Les trois cofondateurs sont liés à la Ligue de l’enseignement et, dans le prospectus de lancement du journal, ils présentent ainsi leur programme :

Enseigner l’ABC démocratique. Démontrer que la République naturellement progressive est seule capable de réaliser les aspirations populaires, prouver que le gouvernement de tous par tous, s’améliorant sans révolution, est celui qui garantit le mieux la liberté, la sécurité, la paix, et par elles la prospérité de l’agriculture, du commerce et de l’industrie. Pas d’utopies, pas de violences ; du raisonnement et de la pratique toujours. Pas de polémique entre républicains. Opposer une propagande calme, réfléchie et franche à l’agitation bonapartiste et à l’exploitation cléricale. [38]

En octobre 1877, son épouse Élisa décède.
Vauthier est très actif au sein de l’Assemblée et occupe quelques fois le poste de président du conseil municipal. Il s’intéresse aux questions d’urbanisation et jouit d’une réputation considérable dans le domaine technique. Il s’intéresse beaucoup aux transports et travaille en collaboration avec Ernest Deligny, également ingénieur et conseiller municipal. Participant activement aux débats concernant les chemins de fer en France, Vauthier est un personnage-clé de l’histoire de la construction du métro parisien [39] et un grand opposant aux conventions conclues en 1883 par le gouvernement français avec les grandes Compagnies de chemins de fer. C’est lui qui crée l’expression « conventions scélérates » utilisée par la presse opposante et par l’extrême gauche pour s’opposer aux grandes Compagnies en situation de monopole. Il mène également une campagne très vigoureuse contre le monopole du gaz [40].
Sur le plan politique, à partir de 1876, il s’éloigne peu à peu des radicaux. À plusieurs reprises, il essaie de relancer sa carrière politique au niveau national, mais sans succès. En 1876, il tente de poser sa candidature à la députation dans l’arrondissement de Saint-Denis mais, rejeté par le comité démocratique, il doit se retirer avant le premier tour du scrutin. En 1881, il se présente à nouveau aux élections législatives. À cette époque, il est surveillé par la police et son dossier mentionne : « il professe des opinions très libérales » [41]. Candidat dans la 2e circonscription du 18e arrondissement, il apparaît encore sous l’étiquette « radical » aux côtés de Clemenceau, également candidat dans l’arrondissement. Malgré l’acceptation de sa candidature par le comité électoral, Vauthier subit des pressions pour laisser sa place à Clemenceau et des divergences entre l’ancien quarante-huitard et le jeune dirigeant radical apparaissent alors [42]. Clemenceau est élu et, après cet échec, Vauthier se rapproche des opportunistes. Mais l’adhésion politique de Vauthier au groupe de Gambetta n’est pas totale et son positionnement se situe entre les deux forces politiques – celle des radicaux et celle des opportunistes. Au cours de la dernière phase de sa carrière, il ne cesse de transiter entre les deux forces, témoignant ainsi de l’absence d’espace pour un projet politique propre aux hommes de sa génération. En effet, tout au long de ses différents mandats comme conseiller municipal, Vauthier a une position proche de celle qu’il a eue pendant la Commune : partisan d’une certaine autonomie de Paris, mais sans radicalisme.
Aux élections de 1887, il perd définitivement son poste de conseiller municipal. Dans le cadre d’un renouvellement des élus, son âge et son problème de surdité pèsent dans le résultat des élections. L’année 1887 est également celle du décès de Cantagrel. Lors des obsèques civiles, Vauthier prend la parole « comme un des plus anciens amis de Cantagrel, son collègue à la Législative et son compagnon d’exil. En termes émus, il a fait l’éloge de l’ami fidèle, du bon père de famille qu’était Cantagrel » [43] .
En 1889, dans les rangs opportunistes, Vauthier tente une dernière fois de relancer sa carrière politique, en se présentant aux élections sénatoriales, mais il n’est pas élu. Les amis qui soutiennent sa candidature « l’ont prié de se présenter pour que ceux qui suivent une politique modérée, qui ne sont ni radicaux, ni socialistes, ni réactionnaires, comptent sur son nom » [44]. Après ce dernier échec, il se retire de la vie politique, sans toutefois abandonner l’activité intellectuelle.
Entre 1877, année du décès de son épouse, et 1901, année de son propre décès, Vauthier se consacre de plus en plus à l’activité intellectuelle et sa production dépasse largement la centaine de publications. Il publie dans des périodiques comme la Revue d’Économie Politique, les Mémoires et comptes rendus des travaux de la Société des ingénieurs civils ou les Annales des Ponts et Chaussées. Mais c’est surtout auprès de l’Association française pour l’avancement des sciences que Vauthier s’engage entre 1877 et 1899. Il manifeste beaucoup d’éclectisme dans ses préoccupations et intervient dans plusieurs sections de l’association. Durant les années 1890, il est surtout attiré par la section de pédagogie, intervenant sur les langues anciennes, le programme de l’enseignement public et démocratique ou encore la gymnastique intellectuelle.

Vauthier à la fin de son existence

Source : Jean-François Belhoste et Jean-Louis Bordes, « Ingénieurs au Conseil municipal de Paris à la fin du XIXe siècle et industrie », Conférence au Petit Palais, Paris, le 29 novembre 2013.

Pendant ses cinq dernières années de vie, il s’investit auprès de la Société de sociologie de Paris. À plus de 80 ans, Vauthier est le doyen de la société, participe activement aux débats et présente régulièrement des communications qui sont ensuite publiées dans la Revue internationale de sociologie. Entre 1897 et 1901, ses communications portent sur la réforme des procédés électoraux par le vote cumulatif, les bases sociales selon Auguste Comte, la natalité en Europe et en Amérique du Sud, la sociologie dans l’enseignement secondaire, la morale et la science, ainsi que sur l’exposition universelle de 1900. Vauthier appartient au premier cercle des collaborateurs de la Société de Paris, qui compte aussi un autre ancien fouriériste, Charles Limousin. Sur la fin, pour des raisons de santé, il ne peut plus assister aux réunions, mais il continue à lire les comptes rendus et prend part aux débats en envoyant son avis par écrit. Lors de son décès survenu en octobre 1901 à Beauchamps, dans le Val-d’Oise, il « rédigeait son opinion sur le dernier sujet […] traité [à la Société de Sociologie de Paris], les relations de la richesse et du pouvoir » [45].
Au soir de sa vie, il reste, de manière générale, éloigné du mouvement sociétaire, mais l’héritage fouriériste l’accompagne jusqu’à la fin. Dans les années 1890, Vauthier ne semble pas participer directement aux activités de l’École sociétaire, mais il s’abonne à son organe La Rénovation en 1891, envoie sa souscription pour la statue de Fourier en 1897 et écrit aux fouriéristes dissidents de l’École Sociétaire Expérimentale pour s’excuser de son absence au banquet commémorant la naissance de Fourier en 1897 . Quelques mois avant son décès en 1901, Vauthier adresse une lettre à Jean-Adolphe Alhaiza, directeur de La Rénovation, où il écrit : « je ne suis plus phalanstérien doctrinal, mais j’ai appartenu à l’école phalanstérienne et m’en honore » [46].
Vauthier est mort à 87 ans, au moment où la mémoire des « vieilles barbes » est de moins en moins présente chez les nouvelles générations de républicains. Pourtant, plusieurs journaux mentionnent son décès. Dans un article de première page paru dans Le Radical, Sigismond Lacroix retrace sa carrière, louant son républicanisme sincère et affirmant : « encore un républicain de vieille roche qui disparaît, oublié des générations actuelles ! » [47]. Très vite après son décès, son nom tombe dans l’oubli, en France comme au Brésil.
Quelques décennies plus tard, le nom de Vauthier est réhabilité au Brésil à partir de la découverte de son journal intime. Ce document, spontané et riche de descriptions de la société du Pernambouc, attire l’intérêt du sociologue Gilberto Freyre qui consacre à Vauthier l’ouvrage Um Engenheiro Francês no Brasil [48] paru en 1940. Dès lors, Vauthier est le sujet de divers ouvrages, son nom est associé à la construction du théâtre de Recife et sa mémoire est valorisée au Pernambouc. Une rue de la ville reçoit son nom et sa statue est installée sur la place de la République – l’une des plus importantes de Recife –, face au théâtre Santa Isabel et au palais du gouvernement de l’état du Pernambouc.
En France, son nom est attribué en 1999 à une rue de Bergerac, sa ville de naissance.

La mémoire de Vauthier au Pernambouc

Le théâtre Santa Isabel à Recife

Portrait de Vauthier par Murillo la Greca, 1952 (théâtre Santa Isabel)

Statue de Vauthier érigée sur la place de la République à Recife, 1974

Inscription qui figure au pied de la statue

Photographies de l’auteur