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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Pierre, Guillaume
Article mis en ligne le 31 mai 2016
dernière modification le 24 janvier 2018

par Desmars, Bernard

Né le 22 janvier 1811 à Guern (Morbihan), décédé le 9 octobre 1881 à Lorient (Morbihan). Professeur de lettres et de philosophie. Actionnaire de l’Union agricole d’Afrique. Abonné aux périodiques sociétaires. Directeur de la Maison rurale d’expérimentation sociétaire de Ry pendant quelques mois.

Guillaume Pierre est le fils d’un cultivateur, parfois qualifié de propriétaire. Bachelier es lettres, il obtient un poste de maître d’études en 1835 dans le collège royal de Pontivy, puis enseigne à Lannion, Nantes, Quimper, Lorient, ville où il effectue un long séjour, de 1840 à 1848. Il se marie en janvier 1844 avec Marie-Louise-Eugénie Dasnier, la fille d’un ancien avocat, devenu notaire et juge suppléant au tribunal de Lorient ; le couple a trois enfants, dont une fille, connue plus tard sous le nom d’Eugénie Potonié-Pierre, militante socialiste, féministe et pacifiste.

Professeur et phalanstérien

Dans les années 1840, les appréciations de ses supérieurs sont généralement favorables : il est « fort zélé » et « se conduit d’une manière fort honorable » [1]. Ses méthodes pédagogiques sont davantage discutées : en 1840, à son arrivée à Lorient, il indique au recteur que ses élèves

sont remuants et ont peu de goût pour les études littéraires. Je vais tâcher par une méthode facile et attrayante, d’imprimer à l’esprit de mes élèves une autre direction ; là se trouve pour mes résultats le point capital.

D’après les notes laissées lors des inspections, il favorise la participation de ses élèves ; si celui qui est interrogé commet une erreur, ses camarades doivent le reprendre et le corriger.
Sa façon de faire reçoit d’abord un accueil favorable : « tenue de la classe excellente, émulation toujours soutenue […] développement propre à intéresser les élèves, à éveiller leur intelligence », estiment les inspecteurs en 1840-1841 ; « il y a beaucoup de chaleur dans la méthode de M. Pierre, il donne à ses élèves une heureuse émulation », même si les résultats sont décevants, « les progrès des élèves ne répond[a]nt pas à toute la peine que se donne le professeur », dit-on en 1841-1842. Cependant, dans les années suivantes, les inspecteurs sont plus critiques et considèrent qu’« il y a quelques inconvénients à suivre trop exclusivement le mode établi par le régent » ; celui-ci y « tient d’une manière trop absolue » et « se montre peu disposé à en changer ». Ses résultats seraient médiocres et l’attention dans la classe insuffisante [2].

Les notices et les rapports dressés par ses supérieurs sous la monarchie de Juillet ne font pas allusion à ses convictions politiques ou sociales. C’est au lendemain de la révolution de février 1848, qu’on le voit particulièrement actif à Lorient : il participe à l’organisation de cours gratuits pour ouvriers adultes, initiative qui, d’après le recteur, est liée au « parti démocratique » ; il participe à la création d’une « petite bibliothèque de propagande » formée par souscription [3] ; il est candidat en avril 1848, aux élections qui désignent les membres de l’Assemblée constituante ; et, d’après le principal de son établissement et le recteur de l’Académie de Rennes, il fréquente le club des Travailleurs où il prononce des discours enflammés ; il va « prêcher le socialisme et tenir des discours scandaleux » à Pontivy et « dans bien d’autres localités du Morbihan » ; il aurait aussi manifesté ses convictions phalanstériennes dans sa classe, ce qui provoque le mécontentement des autorités et de certains parents. Ses supérieurs estiment sa « conduite régulière », mais lui trouvent un « caractère bizarre et difficile » ; il est « médiocrement considéré, à cause des opinions phalanstériennes qu’il affiche ».

Selon les inspecteurs généraux,

ce régent, par ses prétentions socialistes politiques, non seulement s’est rendu ridicule, mais, ce qui est plus grave, a éloigné la confiance des familles. M. le préfet maritime se plaint vivement du rôle qu’il a joué et qu’il joue encore dans les clubs, et nous a déclaré qu’il considérait sa présence comme peu favorable au bon ordre. Au lieu de se jeter comme il s’en est fait plaisir dans les doctrines socialistes et d’aller prêcher comme il s’en est vanté, contre les riches, s’il s’était appliqué à améliorer sa méthode, à bien diriger ses élèves, ceux-ci travailleraient mieux, et la classe présenterait de meilleurs résultats. Rien n’y est satisfaisant. La tenue des enfants est agitée, leurs cahiers sont mal tenus et mal écrits ; dans l’explication grecque, ils ont montré qu’ils savaient fort peu de choses, à une exception près, et ils expliquent mal les mots [4].

Mutations et mises en congé

En décembre 1848, en raison de ses activités phalanstériennes, il est muté contre son gré à Quimper ; il proteste contre ce changement et en demande les raisons au ministère en passant par l’entremise du représentant du peuple Victor Considerant [5]. Il ne reste qu’une année à Quimper, où on lui reproche encore un « caractère bizarre » et des « excentricités politiques » ; il « porte ses idées de phalanstérien jusque dans sa classe qu’il tient médiocrement » [6]. Cela lui vaut d’être suspendu de ses fonctions pendant quelques mois. C’est pendant ce séjour quimpérois qu’il prend une action de l’Union du Sig, la société fondée par des phalanstériens lyonnais pour exploiter un domaine rural en Algérie [7]. En décembre 1849, il doit s’engager à ne plus s’occuper de politique auprès du ministre de l’Instruction publique qui l’éloigne de l’académie de Rennes en le nommant à Mamers (Sarthe) [8].

Il enseigne dans cette ville pendant près de quatre ans, en promettant de ne plus s’occuper de questions politiques ; selon ses supérieurs, c’est un « esprit bizarre, imbu d’opinions fausses et dangereuses en politique et en religion. Il ne les propose pas dans sa classe, mais ne les dissimule pas au dehors » [9]. Il figure d’ailleurs parmi les souscripteurs du Texas.

En 1853, le collège de Mamers est réorganisé, et le poste de Guillaume Pierre est supprimé. Ce dernier, malgré ses réclamations, n’obtient pas d’affectation pendant plusieurs années sous le Second Empire ; il paie alors son engagement phalanstérien et son activité socialiste en 1848, même s’il exprime dans sa correspondance avec le ministère sa loyauté envers l’Empereur, dont « les actes, empreints de sagesse, ont fait renaître l’ordre et le calme dans notre patrie et doivent lui faire espérer un avenir prospère » [10] ; en 1856, le recteur de Rennes lui trouve des « antécédents peu sûrs au point de vue politique » [11] ; et en 1862, le ministre se demande « s‘il y a lieu d’admettre M. Pierre à rentrer dans l’enseignement public », étant donné ses « antécédents » ainsi que ses « excentricités politiques » et « les idées étranges qu’il apportait jusque dans sa classe » sous la Seconde République [12].

Afin de faire vivre sa famille, il ouvre un petit établissement privé où il accueille quelques élèves externes, mais qui ne lui apporte que des revenus très modestes. Il s’efforce également de mettre au point une nouvelle méthode d’apprentissage de la lecture et de l’orthographe, plus aisée pour les débutants ; mais, malgré ses efforts et un séjour à Paris en 1862 afin de soumettre sa méthode aux autorités, il ne parvient pas à intéresser le ministère [13]. En 1874, il déclare encore : « je me sens d’une force au-dessus de la moyenne pour apprendre à lire très promptement et par l’attrait. Je doute que quelqu’un en France, depuis 20 ans, se soit plus occupé que moi de perfectionner des méthodes de lecture [et de] faciliter les premiers pas dans la voie de l’instruction » ; mais en attendant que les autorités veuillent bien procéder à une expérimentation, « mes tableaux dormiront dans mes caisses » [14].

En 1865, il retrouve un poste dans l’enseignement public, comme « régent des cours spéciaux » à Vannes ; en 1866, il est nommé professeur d’histoire à Fontenay (Vendée) ; il finit sa carrière comme professeur de philosophie et de rhétorique au collège communal de Mortain (Manche) ; son principal et les inspecteurs lui trouvent alors « un caractère assez difficile » et une « conduite laissant beaucoup à désirer du point de vue religieux », ainsi que des difficultés à « se mettre à la portée des élèves de l’enseignement spécial » [15].

Sa situation et ses relations avec son principal et les autorités locales se dégradent ; en 1869, la municipalité demande son départ, « affirmant que sa présence à Mortain compromettrait l’établissement » ; pendant l’année 1870-1871, le sous-préfet et le maire de Mortain déclarent qu’il professe « des opinions politiques […] en harmonie avec celles des démagogues les plus avancés » ; réprimandé par le recteur, il n’en continue pas moins à afficher ses convictions, en particulier son « absence complète de sentiment religieux » [16]. Les attitudes politiques et religieuses de Pierre, la dégradation de sa santé, et une altercation verbale avec son principal (qu’il traite publiquement de « gros butor ») provoquent sa mise à la retraite en avril 1872.

Des convictions fouriéristes persistantes

En mai 1874, il reprend contact avec le Centre parisien de l’École sociétaire, et demande qu’on lui envoie le Bulletin du mouvement social, son intention étant de le propager à Lorient, voire d’établir « un enseignement doctrinal » ; il affirme en même temps vouloir participer à une réalisation phalanstérienne ; il envisage la création d’une société commerciale pour exploiter une brasserie située aux environs de Lorient [17]. Il prend contact avec Adolphe Jouanne, le fondateur de la Maison rurale d’expérimentation sociétaire de Ry (Seine-Inférieure, auj. Seine-Maritime), qui souhaite éduquer les enfants qui lui sont confiés selon les principes fouriéristes [18]. Jouanne, qui ne possède pas de diplôme d’enseignement, a besoin d’une personne disposant des titres académiques exigés par les autorités pour la tenue d’un établissement scolaire. C’est donc Pierre qui est placé à la tête du pensionnat et de l’école secondaire à partir d’octobre 1874. Sans doute son caractère, plusieurs fois qualifié d’irascible par les inspecteurs dans les années précédentes, s’accommode-t-il difficilement de l’interventionnisme de Jouanne, qui entend bien garder la véritable direction de son œuvre ; Pierre dit lui-même « collabor[er] difficilement » avec M. Jouanne « pour implanter sur ce sol ingrat le principe de l’éducation attrayante » [19]. Surtout, le conseil départemental de l’instruction publique s’oppose à la nomination de Pierre, et il est remplacé dès février 1875 à ce poste, même s’il semble rester encore quelques mois à Ry [20].

Il retourne ensuite à Lorient, envisageant toujours la mise en pratique de ses méthodes sur l’enseignement de la lecture : « je puis prouver au ministre de l’Instruction publique, quand il me fera l’honneur de m’entendre, que, dans six mois, tous les adultes en France peuvent savoir lire et écrire un peu, sans qu’il ait à grossir son budget » [21]. Il reste abonné au Bulletin du mouvement social, exprime le souhait de participer à un banquet du 7 avril et sa satisfaction de voir enfin les républicains diriger la République, après les élections de 1877, même si ce n’est pas « la vraie république, la République de nos rêves » [22] ; il envoie ses suggestions, ses regrets et ses interrogations au Centre parisien : en janvier 1878, alors que s’approche l’Exposition universelle, « que n’avons-nous encore nos orateurs d’autrefois pour faire des conférences pendant la période de l’Exposition ? qu’on se tâte donc la tête et le cœur ! il y a œuvre à faire » [23]. Alors que la librairie des sciences sociales est menacée de disparition et que certains disciples souhaitent sa liquidation, il fait partie de ceux qui promettent leur souscription afin d’assurer sa survie [24].

Comme d’autres fouriéristes, Guillaume Pierre est un adepte du spiritisme [25].