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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Le fouriérisme en Russie-URSS
Article mis en ligne le 2 octobre 2016
dernière modification le 8 juillet 2022

par Antony, Michel

L’article qui suit se veut une première approche globale sur le fouriérisme en Russie et en URSS. Je n’ai pas la connaissance du russe, ce qui en réduit sérieusement la portée. Il est forcément incomplet, et contient peut-être des erreurs, notamment pour les noms propres soumis à de multiples transcriptions. Merci de m’aider à l’enrichir et à le corriger.

Michel Antony

Michel.antony@wanadoo.fr

Fourier et quelques antécédents

On évoque parfois un voyage de FOURIER en Russie, lié aux nécessités de ses emplois, mais rien ne le prouve [1]. FOURIER n’est pas dupe sur la Russie de son temps, ravagée par une mauvaise économie et un gouvernement autoritaire et arbitraire où règne le knout. Mais comme tout le globe, la Russie n’est pas fermée à l’utopie et aux grandes transformations. En 1835-36 FOURIER projette pour l’an 1843 de « délivrer la Sibérie », « contrée anéantie par les frimas » grâce à sa volonté de « restaurer progressivement les climatures » en se saisissant du retour de « l’anneau boréal » [2].

En Russie, le message fouriériste pourrait s’appuyer sur quelques antécédents. FOURIER a-t-il lu l’utopie présentée dans la deuxième partie de Rossiiskaya Pamela - La Paméla russe (1789) par Pavel Iou LVOV (1751-1803) ? Dans une île heureuse, évoquant une sorte d’âge d’or, les habitants vivraient en commun sous le même toit (« une seule maison extrêmement longue ») dans « un phalanstère avant la lettre » [3].

Un « obscur petit noble de province » Petr ZAKHARYINE publie en 1793 Arfaxade, une histoire chaldéenne [4]. Dans cette œuvre, un rebelle du nom d’ABBADON, combat pour des idées libertaires. Il ne recherche pas le pouvoir. Il affirme de manière quasi fouriériste que « la vraie liberté consiste dans la réalisation audacieuse et incontrôlée de tous ses désirs, sans craindre ni les reproches des autres, ni les tourments de sa propre conscience ». La vie semble communautaire. Pour Michel NIQUEUX et Leonid HELLER il incarne sans doute « le tout premier anarchiste de la littérature russe », ce dont on peut douter, au moins sur un plan, quand il est dit que la communauté dispose d’un temple de l’Être suprême.

Les premiers fouriéristes russes et le cercle de Petrachevski

Au début du XIX° siècle, si on suit Georges SOURINE, le premier penseur social (présocialiste) occidental connu et analysé serait Robert OWEN [5], puis SAINT SIMON. FOURIER vient naturellement ensuite et souvent en accord ou opposition avec SAINT SIMON puis avec PROUDHON. Helen REEVE confirme cette analyse en notant que « l’école naturaliste » russe s’inspire essentiellement de SAINT-SIMON et de FOURIER [6].

En Russie et dans le monde slave, FOURIER est d’abord surtout évoqué par Alexandre HERZEN (1812-1870) - mais parfois de manière critique [7] - à partir semble-t-il de 1833 [8] dans ses échanges avec Nikolaï OGAREV (1813-1877). OGAREV, parlant du trio qu’il fonde avec HERZEN et Nicolas Ivanovitch SAZONOV (1815-1862), rappelle qu’ils sont décabristes assumés et « élèves de FOURIER et SAINT-SIMON » [9]. Comme chez beaucoup de russes socialisants, diverses pensées utopiques sont mêlées et difficiles parfois à identifier spécifiquement. HERZEN et OGAREV sont arrêtés puis relégués vers 1834-1835 pour leurs pensées séditieuses et leur cercle est supprimé. Selon KAPLAN, les regroupements de même type, surtout à Moscou, permettent de réunir la noblesse contestataire et hostile à l’autocratie pétersbourgeoise de plus en plus bureaucratisée, dont ils ne partagent pas l’idéal fortement étatisé et dont ils subissent la concurrence en terme de places et d’influence auprès du Tsar [10]. Ceux qui comme HERZEN s’inspirent de l’occident sont appelés « occidentalistes », ceux qui rejettent cette influence se nomment « slavophiles ». Seuls les premiers, ainsi que BAKOUNINE [11], remettaient en cause autant l’autocratie seigneuriale que le régime bureaucratique central.

Ce fouriérisme initial de HERZEN, centré sur un « nouveau type d’association agraire et communale » [12], et marqué longtemps par son occidentalisme, est partiellement contré par le fouriérisme russe des années 1840 qui cherche (avant HERZEN) à plus s’ancrer dans la réalité orientale, non pour justifier l’autocratie bureaucratique qu’il combat, mais pour éviter à la Russie l’apparition d’un capitalisme destructeur des groupes sociaux qu’il représente [13]. Ces aristocrates ou fonctionnaires ou membres de l’intelligentsia se méfient d’une bourgeoisie triomphante qui s’impose alors à l’ouest de l’Europe. Conclure, comme KAPLAN, que « le fouriérisme russe fut la conception de l’utopie de la bureaucratie russe » semble cependant excessif (même si cette remarque vaut pour le seul fouriérisme moscovite des années 1840), car les motivations et la diversité sociologique des militants sont beaucoup plus larges et diversifiées.

Dans les années 1840 HERZEN reste fidèle aux penseurs utopistes de sa jeunesse et il a augmenté ses connaissances en lisant l’œuvre de CONSIDERANT (notamment Destinées sociales) qui est « la plus énergique, la plus pleine et la plus large sortie de l’école de FOURIER ». HERZEN lui-même a évolué. En 1843 il écrit dans son journal que « le fouriérisme a éclairé, certes, plus profondément que tout autre système, la question du socialisme » [14]. Mais désormais, surtout sans doute par sa proximité proudhonienne, HERZEN condamne la petitesse fouriériste, et critique par exemple l’autoritarisme qu’incarnerait le phalanstère, et la méconnaissance de la femme et de l’amour chez FOURIER. En 1844 il écrit encore : « FOURIER est, sur des fondements colossaux, mortellement prosaïque, mesquinement minutieux et particulariste » [15]. SOURINE note cependant que les traces du fouriérisme restent fortes longtemps dans le socialisme très pluraliste d’HERZEN, malgré ses préférences désormais plus fréquentes pour Michel BAKOUNINE (1814-1876). Il faut noter cependant qu’HERZEN a toujours su défendre avec talent FOURIER contre les attaques mesquines ; ainsi Johanson ZILBERFARB note que « selon un témoignage de Maxime KOVALEVSKY, ENGELS a dit qu’ « un seul doigt auriculaire de FOURIER contient plus de gages d’un avenir heureux pour le genre humain que toutes les connaissances encyclopédiques de son sévère critique DÜHRING, ramassées au petit bonheur de tous côtés. » — Maksim KOVALEVSKIJ, Guertsen i osvobodit’el’noje dvizhenije na Zapad’e. Vestnik Jevropy, 1912, VI, 221 (Maxime KOVALEVSKY, HERZEN et le mouvement de libération à l’Occident. Messager de l’Europe, 1912, VI, p. 221) » [16].

En 1837 Andrei Aleksandrovich KRAÉVSKY (1810-1889) ferait l’éloge de l’harmonie fouriériste dans le Supplément littéraire de L’Invalide russe [17]. Cet important éditeur et publiciste est lié à une bonne partie de l’intelligentsia russe progressiste : HERZEN, BELINSKI, DOSTOÏEVSKI, TURGUENEV [18]

Au début des années 1840 l’introducteur universitaire le plus complet du fouriérisme serait le professeur Victor Stepanovich POROCHINE (POROŠIN ou POROSHIN 1809-1867), enseignant en économie à Saint-Pétersbourg. Anticommuniste, il ne cache pas ses sympathies pour FOURIER et marque par ses cours et son mode de vie, humaniste et intègre, toute une génération [19]. La plupart des étudiants fouriéristes à venir sont passés par son enseignement ou par la connaissance de ses écrits. Selon l’expression d’Henri DESROCHE son cours est « une pépinière » du fouriérisme russe [20].

Vissarion Grigorievitch BELINSKI (ou BIELINSKI 1811-1848) discute à Saint-Pétersbourg du socialisme utopique, de source française, souvent par le canal des romans de George SAND, ou en partant des écrits d’HERZEN, même avant la création du cercle PETRACHEVSKI [21]. Il serait « le premier en Russie à penser l’avenir sous forme de l’utopie amoureuse » dénonçant le mariage et promouvant la liberté des amants et amantes [22] ; pour lui « le temps viendra où il n’y aura plus de devoirs et d’obligations, où la volonté se soumettra non plus à la volonté, mais à l’amour ; il n’y aura plus de maris et de femmes, mais des amants et des amantes… » (1841) [23]. Esprit ouvert, il n’est pas purement fouriériste, car il s’est jeté sur la lecture de toutes les tendances socialistes parisiennes note VENTURI [24], mais en liant « l’émancipation de la femme, l’amour libre et le socialisme », il marque tous les courants de son époque. Son influence sur l’intelligentsia russe est considérable, notamment sur DOSTOÏEVSKI qui en reconnaît l’importance ; il en est de même avec BAKOUNINE. Comme ce dernier, il revendique toutes les « passions créatrices » [25], ce qui est profondément fouriériste. BELINSKI est également important pour sa vision de l’art [26], qui contribue à donner une idée du réel, et dont le rôle est d’aider à poser des questions essentielles pour le corps social. Idées qui rappellent la position proudhonienne, sans être aussi catégorique ou utilitariste.

C’est BELINSKI qui découvre l’importance de l’écrivain Nikolaï Alekseïevitch NEKRASSOV (1821-1878). Tous deux connaissent bien les écrits de George SAND, très lue en Russie [27]. Elle peut sur certains aspects être une des passerelles du fouriérisme en ce pays. Dans les années 1840 NEKRASSOV fait l’éloge des phalanges fouriéristes en décrivant un joyeux phalanstère où on travaille « les fenêtres ouvertes et en chantant » en choisissant soi-même son type d’activité [28]. L’extrait cité est référencé par Helen REEVE comme provenant du roman autobiographique inachevé La Vie et les Aventures de Tikhon Trostnikova (écrit entre 1843-1848). L’idéal communautaire paysan serait également une des clés du roman Tonkij chelovek de 1853-55 ; le respect de la pensée libre, de « ’importance sociale des individus et de la foi en Dieu » témoignerait de l’influence fouriériste, la société juste et harmonieuse correspondant à la bonne volonté divine [29].

Dans l’émigration parisienne Ivan Gavrilovich GOLOVIN (ou GOLOVINE 1816-1890) évolue vers des positions plus sociales voire socialistes, pour s’engager et par exemple soutenir BLANQUI au procès de Bourges en 1849. D’après VENTURI, il évoque longuement FOURIER dans Des économistes et des socialistes, ouvrage publié à Paris en 1846. J’ai trouvé une référence chez Firmin Didot frères et Cappelle pour 1845 [30]. Il y écrit qu’en substance, dans la masse des œuvres « excentriques » (de l’ouest européen surtout) « une seule les domine toutes et forme le fil de ce labyrinthe, c’est l’association » [31]. Il avait tout compris. Il semble ensuite de plus en plus influencé par les idées d’HERZEN, et se tourne sur les ferments démocratiques et progressistes de son ancien pays russe (car il est peut-être naturalisé britannique).

Un autre exilé Vladimir Serguéievitch PETCHÉRINE (PEČËRIN 1807-1885) évolue vite vers un déisme assez débonnaire qu’il emprunte peut-être à FOURIER, qu’il connaît sans doute, notamment de manière indirecte. Il est comme BAKOUNINE un des lecteurs de George SAND [32] et a lu (et connu ?) HERZEN, bien que celui-ci affirme le contraire. « Le père PETCHÉRINE » se convertit au catholicisme et se rapproche des Rédemptoristes, proches des Jésuites [33].

On trouve ensuite le jeune Fedor DOSTOÏEVSKI (1821-1881) qui est passé comme d’autres fouriéristes occidentaux (à commencer par Victor CONSIDERANT) par les écoles de cadres militaires (École Supérieure des Ingénieurs Militaires de Saint-Pétersbourg - 1838). De sa période fouriériste date l’ouvrage Netochka Nezvanova, commencé en 1847, publié en feuilletons et interrompu par l’arrestation. Le roman est centré sur des personnages féminins, et notamment sur l’héroïne principale qu’on croise à différents moments de son existence. Est-ce que cette primauté d’un personnage féminin assez fort et autonome malgré les vicissitudes pourrait être une trace des lectures fouriéristes de l’auteur ?

Je cite DOSTOÏEVSKI en premier car sa renommée a contribué à mieux faire connaître tous les groupements russes et notamment le Cercle de PETRACHEVSKI. Cette célèbre organisation, l’importance de beaucoup de ses membres, les centaines de sympathisants [34], les multiples informations sur les procès… permettent de mettre en évidence ce qui constitue l’apogée du fouriérisme en Russie, même si les idées poursuivent leur chemin ensuite, et même si l’historiographie soviétique tend alors (années 1950) à la minimiser, pour des raisons disons plutôt nationalistes et idéologiques. Ce serait notamment le rôle de l’historien N. SLADKEVIČ si on suit RIASANOVSKY [35]. Cette sous-estimation et la méconnaissance de la totalité du corpus concernant la mouvance autour de PETRACHEVSKI est encore fortement dénoncée en 1984 [36].

Michel Vasiliev BOUTACHEVITCH-PETRACHEVSKI (ou PETRAŠEVSKIJ 1821-1886) est issu de famille noble libérale et aisée (ce qui tranche avec un mouvement surtout composé de membres des classes moyennes). Il se fait remarquer très tôt par son esprit d’indépendance, son intégrité, une solidarité et une générosité toutes deux actives, mais également par ses nombreuses facéties et une imagination sans limite. Diplômé en droit de l’université de Saint-Pétersbourg, il occupe un poste d’interprète au Ministère de l’Intérieur et travaille parallèlement comme avocat. C’est à la faculté de droit qu’il a été impressionné par les cours de POROCHINE. Dès 1841 il passe d’un républicanisme radical aux idées socialistes et il tente de créer une revue politico-sociale. Son socialisme (comme celui de la plupart de ceux avec qui il est en lien) dépasse le fouriérisme sur trois plans bien précis : l’athéisme, l’importance de la politique et l’usage requis de la force. La majorité des fouriéristes de son groupe semblent du même avis sur la question religieuse et manifestent un athéisme partagé par l’essentiel de la gauche socialiste russe de cette époque [37]. De FOURIER, « qui a dépassé toutes ses attentes » [38], il partage la passion pour l’émancipation féminine [39] mais également la manie du détail et de la précision [40]. Se définissant lui-même « vieux fouriériste, parvenu depuis longtemps et librement au socialisme » [41] il est vraisemblablement « le premier fouriériste » (SOURINE) revendiqué, y compris plus tard en prison où il rédige Exposition des principes essentiels du système de FOURIER. Il fait preuve d’une vraie connaissance de l’œuvre de celui qu’il appelle le « génie des génies » [42] dont « il fait son dieu » [43]. Il cite également CONSIDERANT et s’en prend à Louis REYBAUD (1799-1879) et PROUDHON qui ont caricaturé FOURIER.

Les multiples citations fournies par SOURINE nous évoquent un traité-plaidoyer apparemment très complet (et également critique, par exemple sur la cosmogonie) en faveur de la théorie phalanstérienne. Dans son testament écrit en prison, PETRACHEVSKI accorderait 1/3 de sa fortune pour les expérimentations de phalanstère de CONSIDERANT [44]. Comme prisonnier, dans une lettre adressée à l’empereur, il exhortait ce dernier à tenter un phalanstère dans un lieu central, pas forcément russe, pour dépasser en gloire et en universalité tout ce qu’avait pu faire Pierre le Grand [45]. PETRACHEVSKI serait également à l’origine d’un projet phalanstérien (1846-1847) sur ses propres terres, mais l’échec est immédiat.

C’est auprès des lycéens de Tsarskoye Selo où il a fait ses études qu’il commence à regrouper des disciples, puis auprès de jeunes intellectuels et cadres. En 1845-46 il profite de sa grande participation au Karmannyj slovar’ inostrannykh slov, vošedšikh v sostav Russkago jazyka - Dictionnaire des mots étrangers usités dans la langue russe du capitaine N. KIRILOV pour faire passer subrepticement ses idées, évoquer les nécessaires réformes, présenter les théories et courants socialistes et anarchistes (l’entrée « anarchie » est présente) et privilégier l’école fouriériste. Il se positionne pour le développement harmonieux des passions et contre leur répression [46] et à deux reprises pour l’émancipation féminine et contre le mariage, notamment dans l’article « monogamie » [47]. Les 2 premiers tomes sont saisis, l’édition interdite et jugée « très dangereuse et nuisible » (13 novembre 1849) et l’œuvre reste inachevée. La partie saisie (RIASANOWSKY évoque 1599 volumes) est brûlée le 3 février 1853. Ce qui est récupéré de l’ouvrage semble réédité à Odessa en 1916 [48].

En 1845 avec des amis il fonde une Bibliothèque de littérature occidentale, qui contient entre autres « CONSIDERANT, Adam SMITH, PROUDHON, VIDAL, PEREIRE » et des exemplaires de « La Revue Indépendante de Pierre LEROUX » [49]. Un des principaux utilisateurs est l’écrivain Mikhaïl Ievgrafovitch SALTYKOV (1826-1889) qui dévore tout ce qu’il peut. DOSTOÏEVSKI y découvre Louis BLANC, PROUDHON, CABET, STRAUSS (Vie de Jésus), BEAUMONT (Marie ou l’esclavage). SPECHNEV lit PELLARIN (sur FOURIER), VIDAL, CABET, PROUDHON, MARX, l’ami de BAKOUNINE Ivan Sergeevič TOURGUENIEV (1818-1883) et BEAUMONT… Parmi les autres auteurs demandés on trouve Just MUIRON, souvent considéré comme le premier fouriériste, et bien sûr FOURIER. L’éclectisme est donc la règle, et la pensée sociale et socialiste occidentale très présente. Le fouriérisme y est bien placé, mais pas forcément toujours dominant. CONSIDERANT semble cependant un des plus choisis, comme le révèle la lettre du fouriériste KAIDANOV [50]. Après ces énumérations, RIASANOWSKY note « qu’il est remarquable (de constater) comment le fouriérisme - autant que d’autres doctrines occidentales radicales - se soit implanté aussi facilement et aussi profondément dans la réactionnaire Russie de Nicolas II ».

Le fouriérisme de PETRACHEVSKI, et surtout de ses amis moins fortunés que lui, tient sans doute beaucoup à la reconnaissance par FOURIER des hiérarchies de talent et de fortune, et à son refus de tout nivellement social : c’est évidemment rassurant pour les nobles, étudiants ou bureaucrates sans reconnaissance, sans fonction importante, ou rejetés du système bureaucratique central, car, comme le note KAPLAN, ils trouvent dans cette pensée une manière de se voir reconnus et protégés dans leur spécificité [51].

Le rôle essentiel de PETRACHEVSKI réside dans son Cercle de Saint-Pétersbourg, créé vers 1842-1844 dans la maison familiale. Il y invite (de manière très conviviale et fouriériste en fournissant une nourriture abondante) des personnalités de tous les milieux et de diverses tendances du socialisme même si le fouriérisme reste dominant. Au début nous nous trouvons devant un véritable gynécée, Michel vivant avec sa mère et ses 5 sœurs. Il semble que les réunions deviennent régulières seulement en 1845, en général les vendredis et se poursuivent jusqu’en avril 1849. Il s’agit d’une sorte de club ou de salon littéraire et politique, qui ne se structure jamais totalement, sauf à la marge vers 1847-1848, peut-être à l’initiative de Nikolaï Alexandrovitch SPECHNEV (SPEŠNEV ou SPESHNEV 1821-1883) ou de Constantin TIMKOVSKY, son disciple, né en 1814. Massivement fouriériste, le mouvement de PETRACHEVSKI ne fut ni un parti, ni une organisation secrète rigide, ni un mouvement philosophico-politique unifié.

SPECHNEV est comme PETRACHEVSKI membre d’une famille aisée. Très actif en France et en Suisse dans les mouvements sociaux et socialistes, il est souvent présenté comme un des membres du cercle parmi les plus radicaux à son retour en Russie, le mâtinant de socialisme, d’athéisme (sans doute issu des lectures de Ludwig FEUERBACH) et de terrorisme. Avec son ami Vladimir ENGELSON, il puiserait également dans l’anarchisme individualiste de STIRNER [52]. Mais VENTURI rappelle à plusieurs reprises qu’il est surtout un communiste revendiqué [53], et insiste sur son côté organisateur autocratique. Ce n’est donc pas un fouriériste, seulement un momentané compagnon de route. Il peut passer pour un des précurseurs théoriques de la propagande par le fait et pense que la fin justifie quasiment tous les moyens. La rigueur des statuts organisationnels qu’il rédige et l’importance donnée à un « comité central » restreint et puissant l’acommune au moins partiellement au futur révolutionnaire professionnel et sans scrupule Sergueï Guennadievitch NECHAÏEV (1847-1882). Il rêve de révoltes paysannes radicales et de la création d’une dictature. Il semble intéressant plus comme un des antécédents du léninisme que comme fouriériste ; PETRACHEVSKI le contrait systématiquement pour ses idées de conjurations et de dictature [54]. SPECHNEV semble être le modèle de Nicolas STAVROGUINE [55] dans Les Possédés de DOSTOÏEVSKY, l’auteur ayant été marqué par cette personnalité qu’il juge inquiétante [56]. Le cercle est donc plus varié et pluraliste qu’on ne l’écrit.

Les premiers qui fréquentent le cercle sont souvent des étudiants, comme Aleksander Vladimirovič KHANYKOV (ou CHANYKOV 1825-1853) et Dmitri D. AKHCHAROUMOV (ou AKHSHARUMOV 1823-1910). On trouve aussi des officiers (Fedor Nikolaevič L’VOV 1823-1885), des fonctionnaires comme BALASSOGLO, BARANOVSKY, Constantin et Hippolyte DESBOUT (ou Konstantin DEBU, 1810-1868, et Ippolit DEBU, 1819 ou 1824-1890), Nikolai S. KACHKINE (ou KASHKIN 1829-1914). Il y a aussi des artistes, des poètes comme Sergueï Fiodorovitch DOUROV, Alexeï Nicolaïevitch PLECHTCHEIEV (1825-1893) et SPECHNEV et la poétesse lulia ZHADOVSKAIA (1824-1883) - rare femme militante malgré la volonté générale d’œuvrer pour l’émancipation de la femme -, et des écrivains (Mikhaïl Ievgrafovitch SALTYKOV et Apollon Nikolaïevitch MAYKOV ou MAÏKOV 1821-1897, Sergueï Fiodorovitch DOUROV 1815-1869, et bien sûr DOSTOÏEVSKY…) [57]. Ils viennent en nombre (plus de 50 personnes à chaque fois vers 1846) y commenter des ouvrages sulfureux car libéraux et souvent censurés, et débattre d’évolutions politiques et sociales nécessaires. Ils s’expriment de plus en plus contre le tsarisme, et s’intéressent, d’après SOURINE, à trois grandes questions : la fin du servage, la liberté de la presse, la réorganisation de la justice. PETRACHEVSKI se positionne pour l’établissement d’une République fédérale. Cet intérêt pour la vie politique de leur temps, et donc sur ce plan leur dissonance avec les idées fouriériennes, sont confirmés par l’article de RIASANOVSKY [58].

Comme de nombreux fouriéristes, les frères DEBU lient le phalanstère et la communauté paysanne russe, le mir ou obščina [59], qui sur une terre commune permet l’exploitation individuelle de parcelles. A.P. BEKLEMISHEV (ou BEKLEMIŠEV), pourtant non socialiste, pense de la même manière que l’association fouriériste est un bon moyen pour résoudre pacifiquement les conflits sociaux agraires en Russie [60] ; une brochure de 1848 proposait le phalanstère aux propriétaires qui voulaient réformer leurs exploitations [61]. Il est un vrai spécialiste de la Phalange, et reprend les arguments de FOURIER pour montrer l’intérêt de l’association, notamment pour la cuisine collective, l’école ou les laveries [62]. Très réformiste, BEKLEMISHEV est très proche du célèbre naturaliste et économiste panslaviste Nikolaï Yakovlevitch DANILEVSKI (1822-1885) que VENTURI considère, au même titre que PETRACHEVSKI, comme le meilleur connaisseur de FOURIER en Russie [63].

Vladimirovič KHANYKOV est un de plus radicaux contre le despotisme familial [64]. Il semble être un des fouriéristes les plus convaincus, et un des rares à accepter FOURIER en bloc [65], y compris pour son déisme et sa cosmogonie. Il est un de ceux qui font le lien entre fouriérisme et populisme.

A. EVROPEUS prête sa maison, notamment pour le banquet en l’honneur de FOURIER organisé par PETRACHEVSKI. Il se tient le 7 avril 1849 en présence des 11 militants les plus engagés : KHANYKOV, AKHSHARUMOV, PETRACHEVSKI, KACHKINE, les 2 EVROPEUS, les 2 DESBOUT (ou DEBU), SPECHNEV, ESSAKOV et VASTCHENKO [66]. VENTURI fait de cette commémoration l’apogée du mouvement fouriériste en Russie, et évoque surtout le discours dithyrambique de PETRACHEVSKI qui présente la doctrine fouriériste comme « l’étoile polaire » à suivre par le mouvement progressiste de son pays. Conscient de la barbarie encore forte de la Russie il encourage les présents à se coltiner plus profondément avec la réalité sociale russe pour tenter de s’ancrer en milieu populaire. C’est sans doute une des racines du populisme. Comme les DEBU, PETRACHEVSKI est persuadé que l’idée phalanstérienne est le moyen de « réorganiser le travail au sein du mir [67] ; sa volonté d’association misant sur le collectif l’éloigne cependant des vrais populistes qui sont plutôt favorables à la redistribution des terres.

L’initiative de PETRACHEVSKI et des fouriéristes les plus déterminés rayonnent. D’autres cercles ou groupes se fondent, ils sont très variés et de pratiques ou de volontés politiques disparates. SEDDON en compte au minimum une dizaine dont 7 sur Saint-Pétersbourg [68]. Constantin TIMKOVSKY crée deux cercles fouriéristes à Revel en 1849 [69]. À Rostov sur le Don est actif Vladimir KAYDANOF. Il y a un groupe méconnu mais nombreux et influent à Kazan, notamment à l’Université, animé par les frères Nikolai et Andrei BEKETOV, et par les frères Nikolai et Vladimir BLAGOVESHCHENSKII. D’autres cercles existent à Tambov, Kostroma, et Moscou.

Mais l’activité essentielle reste à Saint-Pétersbourg. L’autre cercle pétersbourgeois célèbre, et exclusivement fouriériste cette fois, est celui d’un des plus jeunes fouriéristes, Nikolaï KACHKINE ; avant la répression ses membres tentent de réunir les moyens de fonder un phalanstère [70]. Il regroupe surtout des membres des classes moyennes, de la petite noblesse et des étudiants [71].

Le cercle de DOUROV qui compte les deux frères DOSTOÏEVSKI et là encore l’incontournable SPECHNEV, est plus éclectique, s’inspirant d’autres modèles sociaux (mais massivement français). D’autres lieux plus secondaires abritent des réunions ou petits cercles, comme chez le lieutenant Nikolai MOMBELLI (1823-1902) ou chez le poète PLECHTCHEIEV. C’est autour de DOUROV que se développent les idées plutôt blanquistes, conspiratrices, la volonté de s’organiser secrètement, et de pousser en avant autant les prolétaires que les sectes religieuses ou les minorités ethniques.

Le poète D. AKHCHAROUMOV est un des partisans les plus présents. Il le reste longtemps et est connu pour avoir gravé une poésie dédiée à FOURIER sur le mur de sa cellule : « L’avenir de la terre et de ses habitants (d’après FOURIER). Étude psychophysique » [72].

Ces Cercles sont espionnés puis durement réprimés en avril 1849. 232 dossiers personnels furent constitués. Sur 23 inculpations au Tribunal de novembre 1849, il y a 9 condamnations à mort, dont celles de DOSTOÏEVSKI - Cf. son Souvenirs de la maison des morts de 1860-1862. Un nouveau jugement porte le nombre à 21 ; sur les deux manquants, un est mort en prison et l’autre est déclaré inapte. La grâce tsariste commue les peines en perpétuité (TCHERNICHEVSKY), travaux forcés (15 pour MOMBELLI, 12 pour L’VOV, 10 pour SPECHNEV, 4 pour Konstantin DEBU, 4 pour DOSTOÏEVSKY, 2 pour Ippolit DEBU, 2 pour TOL’…) et déportation ou résidence surveillée très souvent à l’est. Par exemple DANILEVSKI, après 100 jours de prison, est relégué à Vologda. Une amnistie partielle a lieu en 1856. Beaucoup meurent durant leur déportation sibérienne, dont PETRACHEVSKI.

Pour l’écrivain célèbre, une des causes de la condamnation tient au fait que DOSTOÏEVSKI défie le tsarisme en lisant dans une réunion du Cercle une partie de la lettre de Vissarion Grigorievitch BIELINSKI qui condamne avec des termes très durs Nicolas GOGOL devenu réactionnaire mystique, et qui s’en prend au servage. Incarcéré dans la forteresse Pierre-et-Paul l’auteur est d’abord condamné à mort, et subit un traumatisant simulacre d’exécution en décembre 1849. Il est en début 1850 envoyé au bagne en Sibérie (d’abord Tobolsk puis Omsk) et mis aux fers. Libéré en janvier 1854 il est rétrogradé en tant que soldat à Semipalatinsk. Il n’est rétabli dans ses titres de noblesse qu’en avril 1957 et revient à Saint-Pétersbourg en 1859 en récupérant également sa retraite d’officier. Marqué par l’épreuve, DOSTOÏEVSKI a progressivement renié ses convictions de jeunesse et accepté sa condamnation même s’il cherche à en limiter les excès, ce qui lui cause l’inimitié de codétenus et de radicaux. Cependant on peut penser qu’il en a rajouté dans les reniements et le rejet de la doctrine car espions et participants aux réunions ont noté son assiduité et son intérêt antérieurs aux diverses activités du Cercle. Le rejet est donc alors à ce moment peut être tactique pour éviter une peine trop lourde, comme le fait BAKOUNINE avec sa Confession. Par la suite il cultive l’ambiguïté, comme dans Le rêve d’un homme ridicule écrit vers 1877, ou avec sa condamnation de tout utopisme dans la réfutation qu’il fait de TCHERNYCHEVSKI dans Notes (ou Mémoires) d’un souterrain ou Carnets du sous-sol de 1864. Ce livre est particulièrement anti-utopique et pessimiste ; il dénonce la folie et l’impossibilité de régénérer le genre humain, car chez l’homme dominent irrationalité et illogisme. Pire encore, ce sont ceux qui se disent les plus civilisés (dans le sens de progressistes) qui tuent le plus [73]. Cette anticipation des génocides totalitaires du XX° siècle semble donc en totale rupture avec l’espérance fouriériste. Pourtant dans son Explication pour la commission d’enquête de 1849, il écrivait également que « Le fouriérisme est une théorie pacifique : il charme l’âme par son élégance, séduit le cœur par l’amour de l’humanité qui animait FOURIER tandis qu’il élaborait sa théorie, et il étonne l’esprit par son harmonie… » [74].

Lors de son retour à la vie civile DOSTOÏEVSKI recommence prudemment à écrire. C’est dans la Revue Monde Russe (n.67 de septembre 1860 et n.1, 3, 7 de janvier 1861) qu’il publie en feuilletons Souvenirs de la Maison des Morts (Zapiski iz mertvago doma) dont j’ai relu la traduction de M. NEYROUD [75]. Il contribue à fonder Le Temps (Vremia - 1861-1863) une revue plutôt slavophile, dans laquelle il republie ses Souvenirs en avril 1861. Cet ouvrage qui évoque la détention d’Omsk n’apporte rien sur le fouriérisme russe (par choix autant que par prudence). Il nous décrit les conditions de détentions, les quelques privilèges qu’obtient l’auteur (peu ou pas de châtiment physique) et d’autres membres des castes supérieures. La vie y est terrible mais pour qui a lu les évocations du goulag stalinien, elle est bien en deçà des horreurs des années 1920-1950. À part quelques nobles, y sont surtout présents des membres des minorités nationales ou religieuses et beaucoup de criminels de droit commun. Les rares égards accordés à la noblesse est là aussi à l’antithèse des camps staliniens qui privilégient souvent les droits communs pour l’organisation interne des camps. L’ouvrage est un des grands succès de la littérature russe, et émeut même les cercles du pouvoir tsariste ; on pense qu’il a contribué aux évolutions libérales de ces années : régime moins sévère, abandon progressif du knout… et qu’il a accompagné la volonté de réforme agraire et de suppression du servage.

L’écrivain Feliks-Emmanuil Gustavovich TOLL (ou Feliksa TOLLJA ou F.G. TOL’ 1823-1867 [76]) est proche du Cercle de PETRACHEVSKI. C’est un pédagogue diplômé en 1844 du Haut Institut Pédagogique de l’université de Saint-Pétersbourg. Il enseigne l’histoire de la littérature. Arrêté il doit faire des travaux forcés dans le Kereyskii Zavod de la province de Tomsk. Pour VENTURI [77] qui s’appuie sur KOZ’MIN [78], ses romans sociaux reflètent bien le rayonnement culturel du fouriérisme et des visions utopiques des années 1840-1850. De retour d’exil, il écrit Travail et Capital dans la revue Russkoe slovo (1860, n.10 & 11). En 1863 il rédige un Dictionnaire de références sur le savoir universel qui serait une somme incontournable pour comprendre les positions culturelles et pédagogiques du mouvement de PETRACHEVSKI.

L’écrivain Mikhaïl Ievgrafovitch SALTYKOV (pseudonyme : SALTYKOV-CHTCHEDRINE) est, très jeune, membre du Cercle de BELINSKI (vers 1841). Il passe quelque fois dans celui de PETRACHEVSKI entre 1845-1846. Dans son ouvrage Zaputannoe delo (Une affaire embrouillée) paru dans les Annales de la Patrie (Otechestvennye Zapiski) de mars 1848 Helen REEVE découvre l’influence phalanstérienne et un fouriérisme de base évoquant l’harmonie de l’économie rurale comparée à la ville tentaculaire et liberticide [79]. Cet ouvrage est considéré par d’autres analystes comme une critique ironique de ses convictions utopiques de jeunesse et de ses anciens amis du cercle de PÉTRACHEVSKI. Mais l’ironie semble mal comprise puisque c’est surtout à partir de ce roman jugé dangereux qu’en 1848 il est mis aux arrêts et révoqué de ses charges officielles puis exilé à Viatka, notamment pour son évocation des « loups voraces ». L’exil lui évite la répression contre le cercle de PÉTRACHEVSKI, malgré un nouvel interrogatoire. SALTYKOV aurait mis en scène la pensée fouriériste dans l’article Kak komu ugodno - Chacun à sa guise (1863) [80]. En 1861 il a des velléités de créer une exploitation agricole exemplaire vers Moscou (Vitenevo). En 1864 il polémique avec DOSTOÏEVSKI qui vient de publier Mémoires d’un souterrain. La ville des sots, sa contre-utopie [81] burlesque de 1869-1870 évoquée dans son Histoire d’une ville [82], en condamnant tous les totalitarismes (vécus et à venir), se présente comme un bel avertissement libertaire en condamnant autant le tsarisme de son temps que les socialismes autoritaires, mais aussi les libéralismes ambigus. Les traces du fouriérisme de sa jeunesse y sont rares, par exemple : l’évocation d’un phalanstère qui ne peut être l’œuvre que d’un utopiste farfelu [83] ; le goût des manies et des passions, comme celle pour les pâtés en croûte [84] ; le style inventif et l’imagination débordante et farfelue partagées par les deux auteurs ; etc.

Pour tenter de faire une synthèse des mouvances tournant autour du pétrachevskisme, on peut d’abord retenir la grande diversité des influences. Les idées occidentales font bon ménage avec quelques aspects spécifiquement russes, ce qui relativise les interprétations classiques sur l’opposition entre occidentalistes et slavophiles. La pensée de FOURIER, grande référence, se mêle au rationalisme philosophique, à l’athéisme de FEUERBACH et d’autres Jeunes Hégéliens, aux idées de SAINT-SIMON et de PROUDHON, parfois à l’individualisme stirnérien... Pour SEDDON, les deux principaux économistes du mouvement, Vladimir Alekseevich MILIUTIN (1826-1855) et Ivan-Ferdinand JASTRZĘBSKI, l’ouvrent à la pensée libérale et à sa critique, et pour MILIUTIN à la pensée positiviste comtienne. Selon les personnes ou les moments, la pensée pétrachevskiste peut paraître plus socialiste ou plus individualiste, plus athée ou plus déiste. Il semble cependant que la grande majorité, à l’image du fouriérisme, privilégie l’harmonie homme nature, l’égalité homme-femme et l’émancipation préalable de la femme, et place au premier plan la satisfaction des besoins individuels [85], sans pour autant négliger les côtés collectifs de la nouvelle société régénérée qu’ils souhaitent contribuer à mettre en œuvre. Avant HERZEN (1851) ils pensent dès 1847 environ qu’il faut à tout prix éviter le capitalisme destructeur, dont ils ont analysé les erreurs et horreurs en Occident, et tenter de passer directement en Russie du féodalisme au socialisme en s’appuyant sur une rénovée commune rurale (mir ou obshchina-obščina) [86]. Les similitudes à leurs yeux entre la commune russe et les propositions associatives fouriéristes renforceraient donc l’influence du bisontin. Passant de la pensée aux actes, ils furent « les premiers à tenter d’implanter le socialisme en Russie » : velléités ou essais phalanstériens de PETRACHEVSKI, SPECHNEV et de KACHKINE, et tentatives urbaines de « ménages associés » (logements ou cuisines communautaires, dont deux sont connus) [87]. Plus réformistes que révolutionnaires, ils ont multiplié les propositions de réformes sociales (émancipation des serfs), économiques, militaires (élection des officiers)… et donc montré du doigt tout ce qui était inégalitaire, archaïque et antidémocratique, mélange détonnant qui explique la rigueur de la répression dont ils furent victimes. La présence parmi eux d’intellectuels, écrivains et universitaires de qualité et donc habiles propagandistes les rendait encore plus dangereux, tout comme les volontés d’une partie d’entre eux (et contre PETRACHEVSKI) de passer à des voies conspiratrices, voire terroristes. Il est bon enfin de rappeler que l’importance du peuple, de son rôle essentiel futur anticipent largement ce que le populisme et le bakouninisme vont développer peu après. Beaucoup de pétrachevskistes s’intègrent dans les différents mouvements d’opposition, notamment autour de la revue Sovremnennik que lance TCHERNYCHEVSKI une décennie plus tard [88] ou aux côtés d’HERZEN. Il n’y a donc pas rupture mais continuité, comme le prouve avec talent et maints exemples l’article de SEDDON.

L’importance de Nikolaï Gavrilovitch Tchernychevski

Avant celui de LÉNINE en 1902, un des premiers Tchto delat ? Que faire ? Un récit sur les hommes nouveaux, celui de Nikolaï Gavrilovitch TCHERNYCHEVSKI (ou CHERNYSHEVSII 1828-1889), est écrit en prison en 1862 et sort en feuilleton dans l’influente revue Le contemporain (Sovremennik) en 1863 (6 à 7 000 abonnés en 1861). Le livre, malgré des aspects qui restent autoritaires dans l’exposé (l’admiration de LÉNINE sera toujours très forte, et selon Fernand RUDE, celle de STALINE également [89]), est en partie largement redevable aux idées du socialiste bisontin, que son auteur avait sans doute lu, comme d’autres penseurs « utopiques », lors de sa formation en histoire et philosophie à Saint-Pétersbourg. Il aurait eu accès direct à « Théorie de l’Unité universelle et Traité du libre-arbitre » [90]. Que Faire ? est considéré comme une utopie fouriériste « radicale » [91]. Parmi les principaux vecteurs, dès 1848, on trouve les « petrachevtsi » Aleksander KHANYKOV (qui meurt du choléra dans la forteresse d’Orsk) [92] et Hippolyte DESBOUT (DEBU) ; il connaît également DOSTOIEVSKY et PHILIPPOV. De FOURIER il retient surtout les idées d’attraction et d’association [93]. Il a lu aussi CONSIDERANT et d’autres ouvrages de vulgarisation. VENTURI note que du fouriérisme il garde la primauté des considérations éthiques, alors que le principe associatif appartient pour lui à tous les courants du socialisme romantique. TCHERNYCHEVSKI est un écrivain, pas un militant, mais il paie chèrement pour ses idées : emprisonnement, humiliations, 25 ans d’exil intérieur.

Georges SOURINE nous offre une analyse intéressante des multiples emprunts faits par l’auteur à FOURIER ; de la lecture du dernier chapitre de sa thèse, il ressort que le fouriérisme, certes critiqué et aménagé, demeure sans doute l’influence primordiale dans la pensée de TCHERNYCHEVSKI. Ainsi dès 1860 dans un article Le Travail et le Capital qu’il publie dans le numéro 1 du Sovremnennik, TCHERNYCHEVSKI expose une ébauche d’association qui est un mixte entre les principes du phalanstère et les organismes prônés par Louis BLANC en 1848 [94]. Du fouriérisme il retient alors le nombre (entre 1500 et 2000 associés), l’attractivité de tout travail, le volontarisme, la liberté de choix, la rotation des tâches (papillonne ?), la mise côte à côte de parties privées et collectives, la dénonciation des parasites marchands… Certes c’est l’État qui fournit les fonds (et qui donc garde un certain contrôle), mais on peut apparenter cette primauté à la recherche permanente par FOURIER d’un donateur extérieur pour financer ses propres expérimentations. VENTURI pense que l’influence de Robert OWEN est majeure [95], au moins sur l’organisation coopérative qu’il prône.

Dans Que Faire ? qui marqua toute une génération il définit « un homme nouveau » aux traits utopiques et volontaristes bien marqués [96]. Son héroïne Vera PAVLONA y exprime la suppression de toutes les dominations (« je ne veux ni imposer ma domination, ni subir celle d’autrui » [97], et rêve d’une communauté égalitaire où mariage, jalousie et propriété privée auraient disparus. « L’égalité des droits » entre les sexes, en plus d’être une nécessité humaine, est la garantie de tout amour véritable : c’est tout l’objet du 4° songe de Vera [98]. Verotchka condamne la vie de couple trop longue et sans intimité et donc insatisfaisante [99], et réclame pour la femme (et l’homme évidemment) l’indépendance économique et l’indépendance physique, ne serait-ce que par la possession de sa propre chambre, inviolable sans son consentement [100]. Curieusement l’amour est au début surtout platonique et conventionnellement respectueux des deux partenaires, mais FOURIER lui-même avait justifié cette possibilité ; d’autre part l’amour physique n’est pas exclu, seulement différé. La jalousie et l’égoïsme en amour ne sont pas de mise, puisqu’« aimer quelqu’un, cela signifie être heureux de tout ce qui est bon pour lui » [101], ce qui implique accepter le changement amoureux ou l’apparition d’un autre amour chez l’être aimé, car « il n’est point de bonheur sans liberté » [102]. De manière chevaleresque le premier mari (Dmitri LOPOUKHOV) laisse la place au second (Alexandre KIRSANOV) mais jamais n’envisage la possibilité simultanée d’amours multiples ou de poly-amour. L’auteur « utilise les ressorts conjugués de l’égoïsme rationnel et de l’attraction passionnée en supprimant entre autres choses la jalousie et le pseudo-instinct de propriété » affirme Wanda BANNOUR au Colloque d’Arc-et-Senans de septembre 1972 [103]. Pour elle, TCHERNYCHEVSKI anticipe ce qui est une des grandes avancées du Nouveau monde amoureux qu’on vient juste de (re)découvrir (1967). Verotchka est influencée par une autre femme, certes entretenue, mais dont le statut n’empêche aucunement une morale solidaire et indépendante, Julie LE TELLIER.

La société à venir, comme pour FOURIER, se juge donc à la place accordée à la femme [104]. FOURIER n’est d’ailleurs pas la seule référence puisque le féminisme de l’ouvrage rend aussi hommage au ROUSSEAU de La nouvelle Héloïse [105]. VENTURI ajoute l’apport de George SAND et celle du proto-anarchiste William GODWIN (1756-1836) [106]. Tous les deux peuvent appuyer la pensée féministe du premier socialisme. La compagne de GODWIN, Mary WOLLSTONECRAFT (1759-1797) est célèbre pour être la mère de Mary SHELLEY (1797-1851) et pour son manifeste sur la Défense des Droits de la Femme (1792) [107].

Le socialiste libertaire Benoit MALON (1841-1893) fait de TCHERNYCHEVSKI un curieux « communiste fédéraliste libertaire » qui accouple les pensées de FEUERBACH (humanisme), d’OWEN (communiste associationniste) avec « l’harmonisme sériaire de FOURIER » (Histoire du socialisme 1884) [108]. Du fouriérisme TCHERNYCHEVSKI connaît aussi Destinée sociale de Victor CONSIDERANT où « on y parle de séries… » [109].

L’atelier coopératif de couture que crée Vera a peu à voir avec le fouriérisme, il est plus proche des expériences de gestion ouvrière égalitaire (notamment pour les bénéfices partagés de manière identique sans distinguer les concepts de talent, capital et travail). Cependant son exemplarité, et la création d’un deuxième atelier sur le même modèle, rappelle le rêve fouriériste de phalanstères qui s’étendraient par contagion, tellement leur réussite et leurs réalisations seraient attractives.

Justement, lors du 4° songe de Vera est évoqué sur 8 pages un phalanstère et la vie de ses habitants et invités. « L’immense édifice » [110] est placé au cœur d’une campagne luxuriante, proche d’une rivière : arbres, plantes de jardins, champs de blé… s’y épanouissent, et pas seulement les plantes locales, car les serres, soutenues par des colonnes, permettent d’autres plantations méditerranéennes en pleine zone nordique. L’ensemble est prévu pour 2000 personnes sans les invités, soit un peu plus que ce que préconisait FOURIER ou son disciple PELLARIN. Le vaste bâtiment mêle verre et fonte (vision inspirée du Crystal Palace sur la colline de Sydenham lors de l’Exposition universelle de 1851) : cet habitat du futur répond donc aux exigences fouriéristes de légèreté, d’ouverture et de transparence. Les immenses galeries intérieures, les vastes fenêtres, l’aspect aérien de la construction, des meubles métalliques légers et des planchers dépolis (aluminium) confortent cette influence. Le bâtiment annonce toutes les architectures basées sur le verre et la transparence qui font fleurir dès le début du XX° siècle [111]. Plantes et fleurs sont omniprésentes dans la maison. Liberté, plaisir et hédonisme y sont magnifiés. Tous les habitants participent aux travaux, les jeunes sont friands des activités domestiques (sans doute un rappel des petites hordes de FOURIER ?). Le travail est attrayant, il se fait souvent en chansons, et est sans doute peu difficile car le mode de vie de ce phalanstère recule l’âge de la vieillesse et préserve les corps. La bonne cuisine y contribue aussi, et les repas peuvent se prendre collectivement ou isolément. La cantine est décorée avec soin, les tables fleuries.

Comme chez FOURIER cette communauté est ouverte et itinérante : elle accueille des invités, se déplace l’hiver vers les régions plus chaudes et fertiles proches de la Crimée, gagnées sur le désert grâce aux innovations techniques et aux soins adaptés [112]. Il s’y trouve un autre édifice de cristal et cette fois d’aluminium (qui a remplacé la fonte), avec une immense toile humidifiée qui rafraîchit l’ensemble. La vie est heureuse, les bals se succèdent, la musique et le chant sont de haut niveau, le théâtre utilisés par tous autant comme spectateurs que comme acteurs (tout cela aurait plu à FOURIER), les vêtements sont chatoyants et variés même si la tenue grecque légère et ample est préférée [113] ; ce souci du luxe ordinaire et du bien être annonce l’utopie de William MORRIS (Nouvelles de Nulle part). Chacun choisit librement ses loisirs, et dispose aussi du droit de s’isoler dans ses propres appartements ; le collectif n’est pas étouffant ni imposé : « tous ici jouissent d’une entière et pleine liberté » [114].

Mais sans doute par prudence l’auteur supprime la moitié des références à l’amour libre qu’il avait envisagée [115], même si au début du songe il fait rimer amour avec liberté et égalité des droits pour les deux sexes. La vie au phalanstère est donc heureuse, gourmande, et ouverte à la liberté sexuelle (notamment avec les « chambres d’amour »)… Nous sommes dans un « paradis hédoniste fouriériste » commentent Leonid HELLER et Michel NIQUEUX qui ajoutent qu’en « bon fouriériste » TCHERNYCHEVSKI considère « l’éros comme le moteur de la vie » [116].

Que faire ? contribue en Russie au développement du féminisme socialiste (nombreuses sont les femmes qui comme Vera recherchent alors leur autonomie) et à l’essor de communes et de coopératives, surtout en milieu urbain (Saint-Pétersbourg principalement) [117]. Curieusement, cet ouvrage d’esprit pragmatique et libertaire, est pourtant surtout utilisé et référencé par la suite comme une anticipation du marxisme léninisme, pourtant véritable antithèse de l’anarchisme et du fouriérisme. On peut penser que la reprise du titre par LÉNINE a fortement contribué à cette interprétation contestable.

Fouriérisme fin de siècle et antérieur à la révolution de 1917

SLEPTSOV (sans doute l’écrivain Vasily SLEPTSOV 1836-1878), lecteur de FOURIER, évoque également des milieux communautaires : les « foyers de vie communes - obchtchejitie » devant devenir de vrais « phalanstères » [118]. Il propose de commencer ici et maintenant, au sein de la mauvaise société actuelle, pour édifier les premiers jalons du développement futur [119]. Il anime une Commune urbaine essentiellement composée d’artistes dans les années 1860.

Les années 1860, qui voient la consécration d’autres courants socialistes, gardent une place certaine à FOURIER. Par exemple Ivan KRASNOPEROV, lié aux troubles de l’université de Kazan et peut être proche des premiers groupes populistes de Zemlia i Volia (Terre et Liberté), profite de ses années de prison (1863-1867) pour parfaire ses connaissances du socialisme. Parmi ces lectures très diversifiées figure celle de FOURIER [120]. Cela nous permet de rappeler 2 éléments clés. Le premier est l’étonnante permissivité des prisons tsaristes qui offrent autant de possibilités de formations contestataires. Le second est que pour les penseurs sociaux russes du XIX°, la multiplicité des influences théoriques est toujours très grande, ce qui ne rend pas aisée la tentation de classification des différents courants.

Le futur anarchiste bakouniniste Nikolaï Vasilevič SOKOLOV (1835-1889) offre le même éclectisme. Traducteur des Réfractaires de Jules VALLÈS, il s’inspire de LEROUX, PROUDHON et FOURIER pour proposer une vision anarchiste plutôt radicale et individualiste [121].

Le futur socialiste révolutionnaire de gauche Mark Andreïevich NATANSON (1850-1919) se forme prioritairement à lecture de FOURIER et d’OWEN en fin des années 1860 à Saint-Pétersbourg [122].

Le penseur matérialiste, loué par MARX, Vladimir Ivanovitch TANEEV (1840-1921) tenterait de mêler FOURIER et l’épicurisme à LAMARCK et DARWIN [123] pour tenter d’esquisser la future société communiste.

C’est en 1881 (particulièrement dans les marges de la Russie tsariste, en Ukraine) que se constitue le mouvement juif Am Oylom (Am Olam, Peuple éternel) qui prône la création de colonies agricoles en Amérique du Nord, donc hors d’un pays qui écrase le peuple juif. Certains d’entre eux sont influencés par des intellectuels juifs plus ou moins libertaires (car voulant la disparation de l’État, et la création d’une une « confédération de petites unités économiques autonomes » [124]) liés au populisme et au fouriérisme (notamment via TCHERNYCHEVSKI). Le mouvement serait sous le triple patronage « de Robert OWEN, FOURIER, TOLSTOÏ ». Les liens avec le nationaliste et socialiste modéré ukrainien établi en Suisse Michel DRAGOMANOV (1841-1895) et pour certains membres avec Narodnaja Volja (Volonté du peuple) semblent confirmer quelques rares aspects socialistes libertaires de ce regroupement. Moins d’une dizaine de départs collectifs vers les États-Unis conduisent à la création d’une demi-douzaine d’expérimentations communautaires qui ne dépassent pas en existence la fin des années 1880, l’échec est donc très rapide. Pour Michel CORDILLOT les liens avec le fouriérisme restent très superficiels, et l’idéologie du mouvement bien peu élaborée, même s’il note que de nombreux membres éparpillés sur le sol états-unien vont par la suite rester socialistes. On aimerait bien connaître à quelle branche du socialisme ils se rattachent.

On se rend aisément compte de l’énorme dette que le jeune populisme russe, et d’autres mouvances socialistes utopiques, contactent par rapport au fouriérisme. Ici aussi HERZEN est de grande influence : il mise très tôt (années 1840 surtout) sur la nouvelle fonction cultivée et éducatrice (intelligentsia) que membres de la noblesse antibureaucratique et déclassés doivent assumer pour faire évoluer le pays [125].

Même le futur anarchiste Michel BAKOUNINE (1814-1876) participa à quelques soirées parisiennes de La Phalange [126]. Ses liens parfois étroits avec George SAND, Alexandre HERZEN, Nicolas OGAREV et bien d’autres permettent de penser que sa connaissance du fouriérisme est bien réelle. Certes il choisit plutôt PROUDHON et les jurassiens sur le fédéralisme, et les sources autochtones russes (mouvements ruraux, traditions assembléistes cosaques, importance du mir…) pour avancer ses propres idées. Sur le tard il classe les fouriéristes parmi la « fraction socialiste de la démocratie bourgeoise », et parmi les « utopistes », au sens péjoratif, car « tout le système repose sur une transaction à l’amiable entre le capital, le talent et le travail » [127].

À Zürich, carrefour de l’exil révolutionnaire russe, l’ami de BAKOUNINE, l’imprimeur Armand ROSS (en fait Mikhail Petrovic SAJINE ou SAZIN 1845-1934), offre ses appuis et ouvre sa grande bibliothèque dans les années 1870. Elle contient des œuvres des socialismes premiers, notamment SAINT-SIMON, FOURIER et PROUDHON [128].

L’anarchiste Sergueï STEPNIAK (pseudonyme de Sergueï Mikhailovitch KRAVTCHINSKI 1852-1895) est un de ces écrivains ; avant son exil en Occident il aurait publié deux petits textes évoquant le communisme primitif et des sociétés harmonieuses plus ou moins autogérées vivant aux marges de l’État : Le conte du kopek (1870) et Le conte de Moudritsa Naoumovna (1875) [129].

Mais l’influence fouriériste, au moins pour le courant populiste, semble de plus en plus limitée. En reprenant les 3 tomes de Il populismo russo de Franco VENTURI, les références au seul FOURIER dans l’index alphabétique sont en nette diminution :

 19 pages évoquées dans le 1° tome

 4 pages dans le 2° tome

 0 page dans le 3° tome.

Avec Le sens de l’amour (1891-1892) Vladimir SOLOVIEV (1853-1900) aborde l’érotisme mais semble plutôt privilégier l’union spirituelle entre les êtres, ce qui reste fort réducteur.

S’inspirant de ces idées, mais les dépassant et réhabilitant l’amour physique (et sans doute également l’homosexualité dans son Les Gens du clair de lune de 1911), Vasilij ROZANOV (1856-1919) marque encore plus son époque, d’autant qu’il semble être un excellent écrivain [130]. Malgré son sens religieux très fort, ROZANOV n’hésite pas à rallier le « cercle libertin » moscovite lié aux symbolistes au début du XX° siècle.

La Grande Encyclopédie qui paraît vers 1900 est parfois teintée de fouriérisme, grâce à son coordinateur Sergei Nikolajevits JUZAKOV (1849-1910), un sociologue plutôt de filiation comtienne. L’essentiel de son article sur le mode de vie (Byt) [131] évoque les étapes de la sauvagerie primitive à la civilisation actuelle en s’inspirant des principales phases de FOURIER, de l’édénisme à l’harmonisme. Il ne garde que des bribes du fouriérisme et semble le trahir selon Éric AUNOBLE : « Populiste ayant connu la répression [132], disciple de LAVROV et MIXAJLOVSKIJ [133], JUZAKOV semble avoir raconté son propre itinéraire intellectuel dans sa bibliographie. Au début du siècle, quelque peu assagi politiquement [134], il n’a guère gardé de FOURIER que la condition féminine prise comme indicateur du développement social [135]. Il a répudié les rêves passés et futurs pour cause de non-scientificité (L. 29-36) et a oublié les multiples remarques de l’utopiste sur le mode de vie quotidien [136]. D’autres visions occupaient peut-être son esprit. Lisant son illustration de la cohérence de chaque mode de vie ("Ainsi, les "lumières" et le despotisme ne peuvent guère coexister longtemps au sein d’une même société", L. 17-18), on est tenté d’y voir un appel implicite au changement en Russie » [137].

Comme la redécouvert l’ami Florent PERRIER [138], dans les Annales sociétaires. Organe mensuel de la Société L’Union phalanstérienne. Doctrine de Charles Fourier publiées à Paris entre août 1898 et juin 1899, est évoquée l’association de Nicolas de NEPLUYEFF (Nikolaï Nikolaevitch NEPLIOUEV ; 1851-1908). Le numéro 5, daté du 25 mars 1899, contient un article (En Russie, p.7-8) d’un peu plus de 2 colonnes consacré à ce « grand et riche propriétaire à Janpol, gouvernement de Tshernigosky, en Russie », fondateur de la « Confrérie ouvrière agricole industrielle et commerciale », « basée sur les principes de la doctrine de Charles FOURIER ». Il s’agit sans doute de la « communauté slavophile » étudiée par Régis LADOUS [139]. Un Nicolas NEPLUYEFF est l’auteur de La Confrérie ouvrière et ses écoles livre de 220 pages publié chez Alcan à Paris en 1900, et accessible en microfiches à la Bibliothèque nationale de Paris depuis 1979. L’article des Annales, qui ne fait que résumer l’intervention de NEPLUYEFF, note que la Confrérie existe depuis une vingtaine d’années. Elle fut donc fondée vers 1879 grâce à la fortune de son réalisateur et comme il le dit lui-même à son esprit « d’amour fraternel » envers les classes laborieuses. Elle se maintiendrait avec succès au point que lors de la réunion parisienne dans laquelle NEPLUYEFF expose son expérimentation, on lui décerne le titre pompeux « d’Apôtre de l’humanité ». Plus que d’une communauté le court article nous fait plutôt penser à une école « d’éducation harmonique » originellement ouverte à des orphelins ; plus ils grandissent plus ils contribuent à leur tour à la formation des nouveaux arrivants plus jeunes. Ensuite ils disposent de lots de terre loués « à rente » dans lesquels ils s’emploient toujours avec un encadrement pédagogique (« écoles agronomiques »). Le modèle se serait répandu à d’autres localités, avec d’autres initiateurs, notamment à Kiev et à Saint-Pétersbourg.

Les traces associatives fouriéristes perdurent donc longtemps. Leonid HELLER et Michel NIQUEUX notent l’existence de « structures fouriéristes (phalanstères) » [140] dans un écrit de 1916 de l’adepte du cosmisme Constantin Edouardovitch TSIOLKOVSKI (né en Pologne Konstanty CIOŁKOWSKI 1857-1935). Mais, hormis ces structures, ce qu’ils relatent n’a rien avoir avec le fouriérisme, sauf peut-être un certain déisme. De même, comme chez FOURIER, l’homme nouveau du cosmisme, notamment celui avancé par Nikolai Fedorovitch FEDOROV (1828-1903), doit progressivement gérer les phénomènes atmosphériques [141].

La vie libérée et le ménage ouvert de la symboliste Zinaïda HIPPIUS (ou GIPPIUS 1869-1945), qui comme Madeleine PELLETIER s’habille parfois en homme, peuvent évoquer une sorte de mini-communauté spirituelle et sexuelle.

L’Étoile rouge d’Alexandre Alexandrovitch MALINOVSKI (plus connu sous son pseudonyme BOGDANOV 1873-1928) est considérée par VERSINS comme la préconisation d’un « système social libertaire soutenu par la technique » [142] et par Leonid HELLER comme « la première utopie communiste russe » [143]. BOGDANOV décrit le régime socialiste intégral que connaît la planète Mars. Un russe (Léonid), amené sur Mars, découvre une société similaire à la société terrestre. Il investigue, a des aventures sexuelles, fait d’autres rencontres qui lui permettent d’avoir une vision large. La civilisation y a connu une évolution par étapes, comme une orthodoxe vision du matérialisme historique l’impose. Cependant, les martiens sont plus en avance dans l’évolution, et on déjà atteint un stade qui se rapproche du communisme : les machines ont remplacé les travaux pénibles, l’argent a disparu, le travail est libre et spontané, la prise au tas selon ses besoins devient la règle, la xénophobie semble disparue (le héros s’amourache d’une martienne)… Comme chez FOURIER, le travail est agréable sinon attractif, les hommes sont polyvalents et adoptent spontanément la rotation des tâches, celles-ci étant particulièrement écourtées. La durée du travail total n’excède pas 6 heures par jour, et est plutôt de 4 heures. L’éducation des enfants se fait collectivement, dans un mélange qui évoque FOURIER et les premières réalisations des kibboutzim. La coupure n’est cependant pas totale avec les parents, qui peuvent visiter leurs enfants ou séjourner de temps en temps dans la structure collective où ils résident. Même si le mariage reste maintenu, l’amour y est libre, l’égalité étant absolue entre les sexes [144]. Sur Mars - ce qui est en lien avec toutes les idées propres à l’utopisme russe d’alors - les recherches pour augmenter la durée de vie sont exemplaires, et utilisent les transfusions sanguines pour la réjuvénation [145].

Nikolai Fridrikhovich OLIGER (ou OLIGUER 1882-1919) dans la La Fête du printemps de 1910 fait « l’exaltation on ne peut plus fouriériste du corps et de la jouissance » [146]. « Utopie dans le style Art nouveau » cette œuvre est sans doute fortement influencée par William MORRIS (1834-1896) [147]. Classes, races et pouvoir d’État auraient disparu. Le haut niveau technologique libère les habitants des tâches lourdes et dangereuses et leur donne une haute qualité de vie et une grande mobilité, dans un milieu environnemental contrôlé et préservé. La production, comme chez MORRIS, se rapproche du mouvement Art & Crafts, « d’artisanat artistique » à échelle humaine. La vie y est libérée, hédoniste, flamboyante ; l’art et l’amour libres, les loisirs et les coutumes d’une grande imagination, les parures vestimentaires utilisées par tou-te-s [148]. Ce paradis libertaire conserve cependant le culte de l’Être suprême.

Le futurisme russe prend racine vers 1911, surtout à Moscou, avec notamment David BURLIOUK (1882-1967), Vélimir JLEBNIKOV (ou XLEBNIKOV ou Vladimir KHLEBNIKOV, 1885-1922), et Vladimir MAÏAKOVKSI (1893-1930). Ils doivent évidemment beaucoup à l’italien MARINETTI, malgré leur indépendance idéologique. Leurs thématiques et leurs postures peuvent parfois apparaître post-fouriéristes. Leur premier texte important de 1912 Une gifle au goût du public met en avant leur volonté de rupture avec le passé, donc une sorte de volonté d’écart absolu avec les idées et les formes artistiques. Leur écriture informelle, totalement libre, et l’invention d’une sorte de langage propre (le zaum) évoquent les inventions et les formules innovantes de FOURIER : toute utopie cohérente s’exprime avec ses propres objets, et pas seulement en détournant les matériaux du présent ; les futuristes russes et italiens pratiquaient donc à leur échelle une forme d’écart absolu avec le monde de leur temps qui ne les satisfaisait plus. Seule une langue libre permet de s’exprimer sans contrainte et de libérer l’imagination [149].

Le fouriérisme postrévolutionnaire

Avec la révolution de 1917 et le succès du marxisme-léninisme, la situation du fouriérisme est paradoxale. D’un côté FOURIER n’est pas à l’honneur chez les marxistes, sauf trop rares exceptions et « en dépit du parrainage ambigu de MARX et ENGELS, (ils) semblent donc avoir "manqué" FOURIER » [150]. Pire, quasiment tous les penseurs avec et après ENGELS (et ses analyses du socialisme utopique 1878-1880) l’ont réduit et instrumenté. Les rares marxistes hétérodoxes ou sensibles au fouriérisme (Wilhelm REICH, Ernst BLOCH, Walter BENJAMIN, Herbert MARCUSE…) ont peu de diffusion et/ou sont partiellement ou totalement contrés en URSS et dans son aire d’influence. Il suffit de penser aux pressions contre BLOCH dans la RDA qu’il avait pourtant choisie et qu’il doit fuir en 1961.

Pourtant tous les socialismes utopiques bénéficient dans la jeune URSS d’un regain d’intérêt, même s’ils sont surtout analysés à la lumière et dans le cadre du marxisme ; ainsi une dizaine d’éditions de FOURIER se font entre 1917-1926 [151]. Les analyses du Cercle PETRACHEVSKI abondent : l’ensemble des matériaux du procès (Delo Petraševcev) est édité entre 1937 et 1951 en 3 gros volumes par l’Académie des Sciences de l’URSS. Les œuvres de Nikolaï Gavrilovitch TCHERNYCHEVSKI sortent à Moscou en 16 volumes entre 1939-1950. En milieu anarcho-communiste Apollon Andreïevitch KARELIN (1863-1926) lie FOURIER aux idées libertaires dans le journal Vol’naia Zhizn’ - La Vie libre, qu’il dirige de mai 1919 à 1922.

En 1919 les frères GORDIN dont le plus connu est Abba (1887-1964) publient une étrange utopie, marquée du signe symbolique 5 : 5 héros, 5 montagnes, 5 valeurs… Il s’agit d’Anarchie en rêve. Pays-anarchie (utopie-poème) [152]. Ces anarcho-communistes de Saint-Pétersbourg, fondateurs du pan-anarchisme, ont fondé, d’après le Dictionnaire des militants anarchistes [153], « "L’Union des cinq opprimés", faisant référence aux catégories les plus exploitées et opprimées - l’ouvrier trimardeur, les minorités nationales, les femmes, la jeunesse et l’individu - par cinq institutions : l’État, le capitalisme, le colonialisme, l’école et la famille ». Leur pensée refuse tout dogme, tout rationalisme réducteur et mise sur un naturalisme et un mysticisme primaire afin de laisser toute liberté à ceux qui se reconnaissent en elle. L’utopie est donc chatoyante, fantaisiste, de création totalement libre voire fantasque, et libérée de toute institution contraignante. Cet ouvrage est aux confluences entre suprématisme, cosmismes et autres mouvements plus ou moins spiritualistes russes, et sans doute en lien, notent Leonid HELLER et Michel NIQUEUX, avec la pensée « du biocosmiste A. IAROSLAVSKI ».

Avec Voyage de mon frère Alexis au pays de l’utopie paysanne, Ivan KREMNIOV s’en prend aux rigueurs et à la violence du « communisme de guerre » qui sévit en URSS de 1918 à 1921. L’auteur s’appelle en réalité Alexandre TCHAYANOF ou TCHAÏANOV (1888-1937) et exerce des responsabilités dans l’agriculture jusqu’en 1930 ; il est arrêté à plusieurs reprises, connaît la relégation durant 5 ans, et finit fusillé à la suite des grandes « purges » staliniennes, en octobre 1937 à Alma-Ata. On lui reproche son indépendance d’esprit et sa critique de la politique agraire : il est qualifié comme beaucoup dans le délire stalinien « d’ennemi du peuple ». Dans son Voyage, il annonce pour 1984 (ORWELL connaissait-il ce texte ?) une société qui a renoué avec la vie rurale, autonome, familiale. L’individualisme des producteurs et leur diversité semble reconnue. Les producteurs agraires sont au pouvoir depuis 1934 et ont contribué à contrer le gigantisme urbain et industriel. Les villes sont devenues de vraies cités-jardins, comme Moscou qui ne dépasse pas les 100 000 habitants. Une démocratie presque directe et décentralisée remplace l’étatisme écrasant de l’époque, étatisme justifié par un marxisme-léninisme caricatural. La démocratie et le pluralisme sont restaurés, les pouvoirs et l’économie sont décentralisés. Leonid HELLER et Michel NIQUEUX parlent de « néo-populisme » [154] alors que l’on pourrait tout aussi bien évoquer l’esprit libertaire et les évocations depuis 1921 de l’idée d’une troisième révolution qui rétablirait le pluralisme et préserverait les campagnes (Cf. Kronstadt). Le confort économique, intellectuel et moral est garanti dans des formes qui rappellent un peu l’utopie morrissienne. Les coopératives artisanales semblent prospèrent et évitent les drames d’une industrialisation accélérée. La propriété rurale individuelle est respectée, et liée à des entités collectives ; cet idéal proudhonien, qui va connaître des essais de réalisation avec les collectivités espagnoles de 1936-1937, permettent là aussi de relier l’utopie à la littérature libertaire.

Ce texte est repris dans l’ouvrage d’Henri MENDRAS Voyage au pays de l’utopie rustique, en 1979. Il devient ainsi une des sources des utopies alternatives des sixties et des seventies qui multiplient les petites communautés mêlant ville et campagne dans une société décentralisée.

On assiste à un regain d’intérêt pour le fouriérisme plus tardivement, notamment avec les travaux de Johanson ZILBERFARB dans les années 1950-60. On lui doit notamment La philosophie sociale de Charles Fourier et sa place dans l’histoire de la pensée socialiste de la première moitié du XIXe siècle (en russe, Moscou, 1964) presqu’aussitôt analysée dans Le Mouvement Social (n.52, 1965). En français ses articles sont notamment hébergés par la Revue Internationale de Philosophie (1962 [155]), les Cahiers du communisme (1965 [156]), les Annales historiques de la révolution française (1966 [157]) et Le Mouvement Social (1967 [158]). FOURIER est analysé de manière bienveillante, et réhabilité puisqu’il (re)devient aux yeux de l’historien soviétique « une des sources du marxisme », sans doute pour le réalisme de son analyse de la société de son temps et pour les prévisions raisonnées qu’il apporte à un avenir socio-économique prévisible. Cependant ZILBERFARB n’exclut aucunement les aspects dérangeants, particulièrement le déisme fouriériste. Dans son article de 1967 il évoque l’importance de la volonté de rénovation du milieu naturel chez FOURIER. S’il l’expose de manière critique, cette évocation d’un pré-écologisme est alors rare chez les exégètes du bisontin et c’est un concept peu développé dans l’URSS des années 1960.

Plusieurs auteurs comparent les phalanstères et les nouvelles communes ou associations soviétiques. Ce n’est pas toujours très heureux.

La comparaison avec « l’appareil industriel » soviétique [159], et avec des kolkhozes et sovkhozes (« dans les sovkhoz et les kolkhoz, FOURIER retrouverait l’image moderne de son phalanstère ») faite par ARMAND et MAUBLANC ne tient évidemment pas la route [160], d’autant que leur formule « pour les Soviets comme pour FOURIER la clé du problème social est économique » [161] est trop réductrice de la pensée du bisontin. Il faut rappeler que le livre sort en 1937, en pleine période stalinienne. Ces deux marxistes français ont cependant l’habileté de mettre en parallèle le fait que « à la base du fouriérisme comme à la base du soviétisme, (on trouve) cette idée profondément juste que la gestion socialiste rend possible une production démesurément accrue » [162]. DEBU-BRIDEL qui fait une analyse de l’ouvrage montre bien que malgré quelques analogies, le fouriérisme est bien l’antithèse du soviétisme stalinien, ne serait-ce qu’en mettant en avant ses côtés libertaires et foncièrement anti-étatistes [163].

Henri DESROCHE donne la terrible citation de La Moisson de Galina NICOLAIEVA (édité en français par EFR en 1953) : « Le Phalanstère n’est autre chose qu’une commune russe et une caserne de travailleurs, une colonie militaire sur le pied civil, un régiment industrieux » [164]. On le voit, les poncifs ont la vie dure.

Dans les années 1920, les curieux projets « soviétiques » de maisons communes (Dom-Komouna) évoquent partiellement les phalanstères. À leur début, ce sont des lieux d’habitation et de vie mêlant de multiples locaux collectifs (de la buanderie à la bibliothèque, de la cuisine à la salle de loisir et de réunion - les fameux « clubs ouvriers » de l’époque) à des espaces réservés pour célibataires ou couples, les enfants étant pris en charge collectivement [165]. On y trouve également des galeries chauffées… Tout est fait pour que la famille disparaisse. Mais à la différence énorme de FOURIER, le caporalisme des utopies classiques se manifeste très vite dans ces essais communautaires.

Mais sur le plan de la libre sexualité et du libre épanouissement des passions, il ne semble pas y avoir de « FOURIER russe » conclut Leonid HELLER en 1992 [166]. C’est peut-être un peu réducteur si on lit Alexandra KOLLONTAÏ (1872-1952) ou la fameuse Révolution sexuelle- Die Sexualität im Kulturkampf : Zur sozialistischen Umstrukturierung des Menschen (1936) de Wilhelm REICH (1987-1957). La relecture de l’œuvre de ce psychanalyste marxiste semble donc nécessaire, d’autant qu’elle a été marquante dans la France des années 1960, au même moment où se publie Le Nouveau monde amoureux. Il y a sans doute plus qu’une proximité purement chronologique.

Par contre une étude approfondie nous manque pour analyser l’influence des socialistes utopiques, dont FOURIER, sur les milieux artistiques et notamment sur les architectes, particulièrement ceux qui sont concernés par le « collectivisme des cités-communes » [167]. Est-ce que le phalanstère est une des sources du « condensateur social » de Moisseï GUINZBOURG (1892-1946) ? Son immeuble du Commissariat aux Finances (Narkofim) réalisé à Moscou vers 1928-1932, qui enthousiasme LE CORBUSIER, répond bien à certains principes fouriéristes : site paysager, services collectifs (cuisines, laveries, crèches…) alternant parties privées, toit-terrasse jardin…

Le fouriérisme russe et les emprunts à FOURIER abondent dans le monde russe et soviétique. Certes il est utilisé sous tous les angles, y compris les plus paradoxaux au point d’en travestir le message initial. Mais cet État-continent mérite d’avoir une place plus grande pour l’étude de FOURIER et de ses disciples.

Dernière mise à jour : 02/10/2016


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