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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

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PANNI Frédéric K., FONTAINE Hugues (dir.) : L’Album du Familistère (2017)

Guise, Les éditions du Familistère, 2017

Article mis en ligne le 15 avril 2018

par Gacon, Stéphane

Nous irons ou nous retournerons au Familistère parce que l’endroit est beau, restauré, vivant. Parce que d’autres prirent la route avant nous pour voir, comprendre et vérifier qu’il est toujours possible d’agir autrement. Nous irons comme d’autres allèrent à New Lanark, par curiosité, ou en pèlerinage, ou en quête de réponses à nos angoisses actuelles, celles d’un temps si proche et si éloigné de Jean-Baptiste Godin. Après tout, « le Familistère est fait pour être vu et étudié » avait-il dit dans les années 1880, affirmant que « l’idée qui y a donné naissance est impérissable », qu’« elle vivra autant que le monde ». Nous disposons aujourd’hui pour faire le voyage d’un ouvrage remarquable qui nous permettra de nous promener savamment sous les verrières, de flâner sur les coursives, de pousser les portes des appartements, de nous asseoir sur les bancs de l’école ou les fauteuils du théâtre, de fantasmer sur la sociabilité des lieux, d’imaginer le mouvement, les bruits, les cris, la vie. C’est un beau livre, relié, solide, avec trois jolis rubans marque page, bleu, jaune et vert, avec une impressionnante collection de documents – photographies, fac-similés, extraits de conférences, d’articles, d’essais – et toute une série de notices incisives qui nous racontent les lieux et les hommes avec le souci permanent de faire dialoguer l’expérience locale avec d’autres temps et d’autres lieux. Nous pourrons, en feuilletant le livre, et sans communier indéfiniment au culte du grand homme, suivre Jean-Baptiste Godin, artisan et industriel, maire et député, réformateur social et philanthrope – ce qui est peu original –, lecteur de Fourier – ce qui l’est davantage –, qui imagine et construit pour ses ouvriers un « Palais social » (section 2). Nous pourrons vivre au rythme de l’usine et de sa production, du brevet du premier poêle aux catalogues des années 1930, de l’atelier des modèles à celui d’emballage (section 3). Nous comprendrons que cette expérience relève des « fabriques de l’utopie » (section 4), d’une volonté de mettre au service du plus grand nombre « les équivalents de la richesse », c’est-à-dire « les avantages analogues à ceux que la fortune accorde », pouponnière, école, théâtre, jardin, économat, selon une logique qui juxtapose subtilement vie individuelle et collective (section 5). Nous verrons ce que le projet architectural, aujourd’hui remarquablement mis en valeur par les restaurations (section 8), doit au phalanstère et, surtout, aux conceptions hygiénistes du temps qui placent le logement au cœur de la pensée réformatrice (section 7). Nous réfléchirons à ce que coopérer veut dire en observant, au-delà de la réussite industrielle et sociale de l’entreprise du fondateur, la longue histoire de la coopérative de production qu’il fonde en 1880 sur la base d’une formule partiellement fouriériste associant « le capital et le travail » (section 6). Au terme du voyage, nous chercherons immanquablement à savoir, comme tous ceux qui nous ont précédé, qui est M. Godin, et de quoi le Familistère est le nom. La question a beaucoup préoccupé en leur temps les membres de l’École sociétaire qui, pour certains, n’ont vu là que le dévoiement de la noble théorie du Maître. Mais nous savons aussi que Godin lui-même avait pris ses distances avec l’École après l’échec de l’expérience de Réunion, au Texas, qu’il avait largement financée. Nous savons qu’il se réclamait d’un fouriérisme « pratique », débarrassé, selon la formule de Jonathan Beecher, « du côté psychologique, psychique ou moral de la théorie », c’est-à-dire de la doctrine de l’attraction passionnée, ce qui en fait, évidemment, un médiocre fouriériste. Mais nous savons aussi, pour avoir lu Bernard Desmars, que, si Godin est « un fouriériste hétérodoxe », il l’est comme bien d’autres qui, à un moment où la pensée de Fourier se diffuse dans la société, nourrissant le monde associatif et coopératif, choisissent de partir à la recherche d’une voie concrète vers plus de solidarité humaine, remettant à plus tard l’avènement de l’harmonie universelle.