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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

109-122
Informations diverses
Article mis en ligne le décembre 2002
dernière modification le 7 mai 2007

À propos de la photographie

Il s’agit probablement là de la maquette en plâtre de la statue de Fourier réalisée par Émile Derré. D’après La Rénovation, une photographie de cette maquette a été prise dans son atelier parisien (78, avenue de Breteuil) au début de l’année 1898 ; cette même maquette a été présentée au Salon de sculpture au printemps 1898, et elle y a été primée. Il semble que l’on aperçoive d’autres œuvres sur la photographie, ce qui peut laisser penser qu’elle a été prise dans l’un de ces lieux.

Cette maquette a été ensuite déplacée dans les ateliers de la coopérative Travail, dirigée par Buisson, puis présentée au palais des Beaux-Arts, dans le cadre de l’Exposition universelle en 1900. Cependant, étant donné que la photographie accompagne dans le dossier des pièces pour la plupart antérieures à 1900, il est douteux qu’elle ait été prise dans cette dernière circonstance. Il est donc probable qu’elle date de 1898, et possible qu’elle ait été prise au Salon.

Bernard DESMARS

Réactiver le passé dans l’espace public. Nouveaux lieux, nouveaux acteurs de l’Histoire dans l’Est parisien

On note depuis peu, à Paris et en banlieue, l’essor d’initiatives ayant trait à la pratique de l’histoire et à la transmission des mémoires sociales dans l’Est parisien, par de nouveaux acteurs individuels ou collectifs (habitants, associations). Ces réactivations du passé dans l’espace public, sous forme d’analyse critique (Histoire) ou de récit subjectivé (mémoire) soulignent un besoin croissant des habitants d’inscrire le quotidien dans une ou plusieurs temporalités. Cette implication collective dans la lisibilité du quotidien à la lumière du passé contribue à produire un sens commun permettant d’affronter les enjeux sociaux et politiques actuels. Ces initiatives se déroulent dans la rue (parcours de lecture historique du paysage urbain) ou au sein de lieux historiques des quartiers populaires de l’Est parisien, lieux que des habitants ont choisi de réinvestir, souvent face à l’appétit des promoteurs privés, pour y mener des activités sociales ou culturelles. Je me bornerai ici à présenter trois d’entre elles auxquelles j’ai participé plus ou moins directement, en tant que membre de l’association Trajectoires, association qui veut concilier recherche historique, éducation populaire et action sociale.

L’Histoire à La Maroquinerie

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La Maroquinerie est un café littéraire-salle de concert au 23 rue Boyer, Ménilmontant (20e arrondissement), dans les locaux d’une ancienne entreprise du travail du cuir, jouxtant le bâtiment de l’ancienne coopérative ouvrière La Bellevilloise. Trajectoires y mène depuis l’année 2000 deux actions régulières.

 Les samedis de l’histoire, conférences-débats mensuelles, organisées autour de cycles thématiques : histoire de l’utopie, mais aussi des femmes, des voyages, du colonialisme. Notons parmi les intervenants : Josianne Garnetel et Xavière Gauthier (Louise Michel), Nathalie Raoux (Walter Benjamin), Françoise Fichet-Poitrey (les saint-simoniens à Ménilmontant), Miguel Abensour (le Procès des maîtres-rêveurs), Éric Lecerf (L’association ouvrière en instruments de précision), Laura Graziela Gomes (l’utopie et le jésuitisme au Brésil), Frédéric Panni et Alejandra Riera (passé et présent du Familistère de Guise), Shalah Chafik (utopie et islam), Michel Grosman (utopie et messianisme)...

 Mémoires d’un quartier : Belleville-Ménilmontant. Des historiens, des écrivains, des photographes, des habitants viennent durant un après-midi évoquer des aspects de l’histoire du quartier : les rafles d’enfants juifs sous l’occupation, les cinémas, les jardins, les artisans, l’eau... Les interventions sont prolongées par des films ou des montages diapos. Notons que la séance de témoignages sur les rafles d’enfants juifs a été poursuivie par un travail d’enregistrement sonore de plusieurs heures de témoignages de 4 juifs polonais, trois hommes et une femme, ayant grandi à Belleville-Ménilmontant et fondateurs du Comité Tlemcen, premier comité a avoir œuvré pour poser des plaques sur les écoles à la mémoire des enfants juifs victimes des rafles.

L’Histoire à la Maison des métallos

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En 1999 un ensemble d’associations et d’individus, regroupées en un Comité Métallos, décidaient de s’opposer à la vente de l’ancienne Maison des métallos, rue Jean-Pierre Timbaud dans le 11e arrondissement, à des promoteurs privés. Elles voulaient que ces bâtiments qui appartenaient jusque là à la fédération CGT-métallurgie deviennent un lieu inter-associatif tourné vers la culture et la création, l’engagement social, la convivialité entre habitants... Le Comité Métallo obtint en partie gain de cause en 2001 : la municipalité de Paris acheta les trois quarts du lieu, l’Union Fraternelle Métallurgiste restant propriétaire de 800 mètres carrés dans lesquels elle installa ensuite l’Institut d’histoire sociale de la métallurgie. Cependant le Comité ne parvint pas à obtenir la gestion directe des lieux.

Au cours de la mobilisation, plusieurs personnes intéressées par l’Histoire, membres notamment des associations Topia-les ateliers du paysage, Trajectoires, Belleville Insolite..., se regroupèrent pour constituer le Groupe Histoire du comité métallos. Ce petit groupe décida d’organiser en 2001 des parcours de découverte historique du quartier sur le thème de la métallurgie d’abord (avec notamment une visite commentée de la Maison des métallos), thème élargi ensuite à l’histoire de l’artisanat et de l’industrie. Parallèlement à ces parcours, un travail d’inventaire du patrimoine industriel dans le quartier commença à être effectué. Puis fut lancée l’idée d’une publication sur l’histoire locale du travail, avec des contributions sur l’histoire de la Maison des métallos, les patrons de la métallurgie en 1848, le patrimoine industriel à la fin du XXe siècle...

Actuellement, ce groupe participe au projet du Centre d’histoire de l’université de Paris 1 sur la mémoire orale du travail dans une partie du Bas-Belleville (recueil de récits de vie d’habitants).

L’Histoire au Centre social Saint-Lazare

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En 1998, des élus du 10e arrondissement ont évoqué la possibilité de création d’un centre socio-culturel dans des locaux situés sur le site de l’ancien hôpital Saint-Lazare, près de la Gare de l’Est (transféré dans le nouvel hôpital Georges Pompidou). Cette proposition fut prolongée en 2000 par la mise en place d’un comité de pilotage pour le suivi du projet, puis par la création d’une association loi 1901 porteuse du projet : Le Pari’s des faubourgs. Les premières animations en direction des jeunes ont été lancées durant les étés 2000 et 2001. En 2002, Le Pari’s des faubourgs a inscrit l’histoire dans sa programmation. Une première animation a été confiée pendant les vacances de Pâques à Trajectoires qui a proposé à des jeunes de diverses conditions sociales de découvrir l’histoire du quartier de façon ludique à partir d’un objet emblématique : l’éventail (visites du musée de l’éventail, d’un théâtre, d’atelier d’artisans, réalisation d’une mini-exposition). À la rentrée de nouvelles animations sont prévues sous la forme de parcours-découvertes-rencontres sur le thème de l’histoire de l’artisanat et de l’industrie, en direction des jeunes, et également d’ateliers d’histoire, en direction des adultes.

Pierre-Jacques DERAINNE, Trajectoires

(pierre.derainne@wanadoo.fr)

250 ans

L’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Besançon, fondée en 1752 a fêté en septembre 2002 son 250e anniversaire. Au cours de son allocution sur l’histoire de l’Académie, Monsieur Jean Defrasne a cité notamment un extrait des sentiments de l’Académie, non sur le Cid, mais sur la conférence consacrée à Fourier en janvier 1906 par le jeune professeur Lucien Febvre, conférence que nous avons publiée dans le numéro 8 des Cahiers en 1997.

« La possibilité de fonder le bonheur de l’humanité sur le libre développement des passions et celle de concilier la liberté individuelle avec le socialisme sont des utopies et ne seront pas autre chose tant que l’âme humaine sera ce qu’elle est ». A-t-elle changé ? L’Académie de Besançon ne s’est pas prononcée sur ce point.

Cependant, dès 1825, elle avait été la première société savante à écouter un exposé sur les idées de Fourier, à propos d’un ouvrage de Just Muiron, Les vices de nos procédés industriels et l’urgence d’introduire le procédé sociétaire ». L’auteur de ce rapport, Génisset, secrétaire perpétuel de l’Académie, beau-père de Joseph Gauthier frère de Clarisse Vigoureux et grand ami de Muiron exposait notamment que : « M. Fourier a donné le plan d’un nouveau monde social où toutes les passions portées à leur plus haut degré de développement dans chaque individu seraient néanmoins en complète harmonie par rapport à l’ensemble ». Si Génisset se rangeait lui-même parmi les « expectants », il n’en faisait pas moins des réserves en estimant que « M. Fourier n’a pas pris le temps de pénétrer assez dans la doctrine religieuse pour mettre sa méthode en parfaite harmonie avec la foi ».

En 1887, c’est un petit cousin de Fourier, mais qui ne l’avoua jamais publiquement, Alexandre Estignard, magistrat et député royaliste, qui présente ainsi Charles Fourier : « Le 7 avril 1772 naissait à Besançon un homme que ses disciples ont proclamé le plus grand génie de l’humanité, d’une trempe peu commune et auquel on ne peut refuser une puissance d’imagination surprenante et une force de logique extraordinaire dans la théorie absolument neuve qui à l’avenir devrait servir de base à la Société ».

Au XXe siècle, l’Académie devait peu s’intéresser à Charles Fourier. En 1937, pour le centenaire de sa mort, le bibliothécaire Georges Gazier choisit de présenter son disciple Just Muiron dans un exposé rapide et un peu superficiel. En 1976, Marie-Lucie Cornillot, conservateur des Musées de Besançon, présente à l’Académie « La salle des sociologues comtois - terme qu’elle préférait à socialistes - au Palais Granvelle », exposé essentiel pour la connaissance de l’iconographie de Fourier, mais aussi de Considerant et de Proudhon. En 1983, 1984 et 1987, c’est Janine Joliot - membre de notre Association - qui présente une femme de lettres injustement oubliée, Clarisse Coignet, épouse d’un industriel fouriériste lyonnais, petite-fille de Génisset et nièce de Clarisse Vigoureux, cousine par alliance de Considerant dont elle fut en 1895 la première biographe. Nous pouvons encore relever en 1992 l’exposé de Jean-Claude Dubos sur « Les Parentés académiques des premiers socialistes comtois : Fourier, Considerant, Proudhon, Clarisse et Julie Vigoureux », et enfin, the last but not the least, le professeur André Vergez a fait le 15 mai 2000 une communication sur « La métaphysique de Charles Fourier », publiée dans le volume 194 des Procès-verbaux et Mémoires de l’Académie (Année 2000).

Jean-Claude DUBOS

Maîtrises, thèses :

Astrid LÉGER, étudiante à l’Université de Clermont-Ferrand, prépare actuellement un mémoire de maîtrise sur Le fouriérisme en Puy-de-Dôme de la monarchie de Juillet au Second Empire.

Stéphanie BOCH, étudiante à l’Université de Bourgogne, a soutenu en octobre 2002 un mémoire de maîtrise intitulé Just Muiron, 1787-1881. Elle y apporte un certain nombre d’éléments nouveaux par rapport à ce que l’on savait déjà sur Muiron, notamment pour la dernière partie de son existence.

Olivier BAUDOUIN, étudiant à l’Université de Bourgogne, a soutenu en octobre 2002 un mémoire de maîtrise intitulé Les saint-simoniens en Bourgogne, 1831-1833. Certaines de ses analyses portent sur les relations entre saint-simoniens et fouriéristes pendant ces quelques années décisives.

Ivone Cecilia d’Avila GALLO, A Aurora do socialismo. Fourierismo e o falansterio do Saì (1839-1850) (thèse de doctorat d’histoire, Université de Campinas [Brésil], 2002, 297 p.) La thèse porte à la fois sur le mouvement fouriériste français et sur l’expérience du phalanstère du Saì (fondé dans la province de Santa Catarina, au sud-est du Brésil), qui donna naissance, à Rio de Janeiro, à un mouvement fouriériste brésilien dont l’influence resta limitée. Fondée sur la lecture très attentive de sources multiples en provenance de France, du Brésil ou de Grande-Bretagne, la recherche apporte beaucoup sur les « dissidents », sur le docteur Benoît Jules Mure - Ivone Gallo prévoit de poursuivre son travail sur cet homme passionnant -, sur l’aventure du Saì (déjà rapidement présentée par Antonio Carlos Guttler, dans le numéro des Cahiers Charles Fourier consacré à Réunion). L’œuvre de Mure - et notamment sa Philosophie absolue - fait l’objet d’analyses approfondies ; elle est mise en relation avec l’histoire de l’homéopathie, avec les pensées de Mesmer, de Swedenborg, de Wronsky. L’auteur s’interroge aussi, plus globalement, sur la question de l’utopie.

 Pierre MERCKLÉ, Le socialisme, l’utopie ou la science ? La « science sociale » de Charles Fourier et les expérimentations sociales de l’École sociétaire au XIXe siècle (thèse de doctorat de sociologie [dir. Y. Grafmeyer], Université Lyon 2, 2001, 527 p. et 250 p. d’annexes)

À l’instar de la « physiologie sociale » de Saint-Simon ou de la « sociologie » plus tardive d’Auguste Comte, la « science sociale » de Charles Fourier (1772-1837) ambitionnait d’introduire dans les études sociales la rigueur méthodologique des sciences dites « exactes ». Or, c’est cette ambition que les « réceptions » du fouriérisme, en particulier à partir de la distinction établie par Marx et Engels entre « socialisme utopique » et « socialisme scientifique », ont servi à occulter : cette « tradition utopique » à laquelle Fourier fut finalement assimilé s’est construite en réalité par la stratification de processus successifs d’excommunication par lesquels les penseurs sociaux du XIXe siècle s’efforçaient d’exclure leurs concurrents hors du domaine de la science. Pourtant, « l’intention » scientifique est explicite chez Fourier, et s’appuie sur l’emprunt aux mathématiques et aux sciences de la nature de leurs éléments constitutifs principaux, soit formels (idéologie de la découverte, mathématisation des énoncés, volonté systématique de classification des phénomènes sociaux...), soit plus « substantiels », par l’invocation d’une « exigence expérimentale » : Fourier et ses disciples se sont d’abord efforcés d’infléchir la doctrine originelle de telle façon que ses énoncés puissent être soumis à l’expérience. Ensuite, ils tentèrent des « expérimentations sociales », organisées soit par l’École sociétaire, soit par des groupes fouriéristes dissidents : les « phalanstères » fouriéristes apparaissent alors comme autant de « laboratoires » privilégiés pour l’observation des ambitions d’une doctrine qui prétendait y articuler « science sociale » et volonté de transformation sociale.

Dans un premier temps, il s’agissait de montrer que l’œuvre écrite de Charles Fourier était en partie structurée par deux distinctions fondamentales : l’une d’ordre épistémologique, entre critique et théorie positive ; l’autre d’ordre thématique, entre théorie générale du changement social et théorie spécifique de ce que Fourier appelle les « destins privés ». Ce faisant, il apparaissait rapidement que cette présentation était difficile à stabiliser ou systématiser, dans la mesure où en réalité, la pensée de Fourier n’était pas figée dès les premiers écrits, mais avait connu en réalité, au fur et à mesure de son élaboration, un certain nombre de reformulations notables, destinées à moraliser sa doctrine et à mettre en valeur son ambition scientifique. Il fallait alors se demander si ces deux évolutions avaient été le produit d’un premier processus de réception de l’œuvre par les disciples de Fourier, ou s’il n’était pas en réalité lui même l’auteur d’une « autocensure » qui avait fait de lui le premier entrepreneur de la moralisation et de la rationalisation de sa doctrine.

Cela dit, il apparaît pourtant que la doctrine fouriériste ne se présente qu’imparfaitement comme un « système », dans la mesure où l’articulation entre ses éléments reste ouverte, plastique : du point de vue thématique aussi, l’œuvre, loin d’être figée, a évolué dans le temps, comme en témoignent en particulier la place de plus en plus grande accordée par Fourier à la question de l’éducation, et au contraire la disparition presque totale des élucubrations cosmogoniques qui contredisaient la prétention scientifique de sa doctrine. Certaines permanences formelles doivent aussi être soulignées, dont la signification est cependant réévaluée : en particulier, Fourier maintint tout au long de son œuvre une remarquable capacité d’invention linguistique, que ses disciples soucieux d’une plus grande austérité stylistique déplorèrent constamment. Mais en réalité, au lieu d’éloigner sa doctrine de la science, la néologie de Fourier constituait à ses yeux un des attributs fondamentaux de la scientificité de son texte, dans lequel il fallait voir l’expression d’une stratégie de rupture épistémologique fondée sur un refus explicite des normes formelles constitutives de la bienséance intellectuelle de son temps.

Enfin, pour compléter cette première présentation de l’œuvre écrite de Fourier, nous avons essayé une première mise en œuvre d’une approche spécifiquement « réceptionniste », dont il est d’abord lui-même l’objet : Fourier peut alors être considéré lui-même comme un lecteur des œuvres intellectuelles qui précédèrent la sienne. Autrement dit, était-il « l’homme presque illitéré » qu’il prétendait être, ou bien la production de son œuvre s’appuyait-elle au contraire sur la réception d’œuvres antérieures ? Une étude quantitative détaillée du corpus des références et des citations relevées dans la totalité de son œuvre montre en fait, contre un dogme toujours vivace, que l’œuvre de Fourier n’était pas celle d’un « inculte », que de plus il ne citait pas « sans méthode » mais plutôt « sans façon », et qu’en définitive sa « parade de l’ignorance », loin d’être l’expression d’une modestie intellectuelle, était en réalité au service, comme les fantaisies stylistiques précédemment évoquées, d’une stratégie de rupture épistémologique.

Certaines des évolutions fondamentales de l’œuvre de Fourier trouvent en partie leur explication dans la constitution autour de celle-ci d’une école de pensée, dans le rassemblement de disciples autour d’un maître, et leurs efforts pour obtenir une présentation « respectable » de la doctrine. Si Fourier avait été à l’origine un penseur solitaire, le fouriérisme fut en réalité une œuvre collective, modelée au moins autant par la production par Fourier de ses textes constitutifs que par leur réception par ses disciples. Les enjeux liés à l’appropriation des textes de Fourier par un mouvement intellectuel qui se réclamait de son nom apparaissent particulièrement bien dans les conflits qui ont éclaté autour de son testament et de la captation de ses manuscrits : à partir de cet épisode décisif, la réception de l’œuvre de Fourier par ses disciples relève effectivement d’une censure, dont il s’agissait de détailler les différentes formes et les objectifs principaux.

Les modalités de cette première réception de l’œuvre de Fourier par ses disciples ont contribué à nourrir la signification sociale accordée ensuite à la doctrine fouriériste et son assimilation à une certaine tradition intellectuelle, celle du « socialisme utopique ». Le propos n’est pas ici évidemment de statuer sur l’effectivité de son « utopisme », mais de mettre plutôt l’accent, à travers l’exemple particulier de la réception de Fourier, sur les enjeux de l’usage de la qualification d’utopisme au XIXe siècle. Charles Fourier s’est trouvé intégré dans la tradition utopique alors même qu’il n’a lui-même employé la notion d’utopie qu’à titre péjoratif, pour disqualifier les doctrines concurrentes de Robert Owen et de Saint-Simon, essentiellement à partir du moment où il commença de les percevoir comme des concurrents de sa prétention à être reconnu comme l’introducteur de la science dans le domaine des études sociales.

En réalité, l’assimilation du fouriérisme ou du saint-simonisme à un utopisme au pire, au socialisme au mieux, apparaît comme le résultat de véritables « stratégies » de réception, mises en œuvre dans la moitié suivante du siècle, en particulier par Marx et Engels, mais aussi dans une certaine mesure par Émile Durkheim. Les modalités de cette réception ont principalement eu pour effet (pour objectif en réalité) de masquer un aspect essentiel de l’œuvre de Charles Fourier et de l’École sociétaire : ses ambitions scientifiques, sa volonté de fonder la science de l’homme sur la démarche expérimentale. C’est précisément dans le cadre d’une compétition pour l’élaboration d’une définition légitime de la science sociale que peuvent être déchiffrées les relations entre fouriéristes, owénistes et saint-simoniens. L’historiographie du fouriérisme a peu commenté les pamphlets contre Owen et Saint-Simon, parce que Fourier s’y montrait un « mauvais camarade » de ceux que les entreprises ultérieures de réception s’efforcèrent de lui adjoindre en utopie ou en socialisme. Et si Engels rendit hommage à ses qualités de polémiste et de satiriste, c’était pour mieux renvoyer cette dimension de son œuvre dans la tradition littéraire, alors qu’elle a pour Fourier une fonction épistémologique essentielle, et constitue une des formes principales de son discours sur la science. Par cette constante volonté polémique, Fourier est amené à tenir au sein de la partie épistémologique de son œuvre un discours sur lui-même, par lequel il se représente de façon récurrente comme un « inventeur hérétique ». Nous avons fait appel ici à certains des outils conceptuels élaborés par Pierre Bourdieu autour de la notion de champ pour rendre compte des significations sociales de la représentation que Fourier donne de sa propre position dans le champ intellectuel, et comment cette représentation entend servir la prétention à une « révolution inaugurale » fondatrice de la science sociale.

Cette prétention ne s’appuie pas seulement sur la rhétorique du sujet ainsi mise en lumière, mais aussi et surtout sur la structuration du discours par un certain nombre d’attributs externes de la scientificité, comme l’effort systématique de classification et de mathématisation du monde, ou encore le recours systématique à l’analogie discursive, qui apparaît comme un des principaux fondements de sa stratégie de rationalisation de la réflexion sociale. Après avoir défini les différentes formes que peut prendre l’analogie, d’un usage méthodologique strictement contrôlé qui en fait seulement une « analogie de moyens » jusqu’à la dérive substantialiste des métaphores morphologiques, il fallait essayer de dégager les différents registres analogiques à l’œuvre dans le texte fouriériste - modèle newtonien, emprunts à la botanique et à la musicologie, recours enfin à la figure de l’organisme vivant, pour montrer que malgré les dérives substantialistes que ce foisonnement analogique entraîne en partie, il reste dans l’esprit de Fourier non pas le produit d’une volonté d’affaiblissement de la rationalité du discours, mais est au contraire pensé comme un des moteurs de son projet épistémologique [1].

La dernière partie de l’étude est consacrée à cette « exigence expérimentale » qui nous a semblé être véritablement au cœur du projet fouriériste de fondation d’une « science sociale ». Le fouriérisme se présente alors tout à la fois comme une « théorie » du social, une réflexion sur la possibilité de fonder scientifiquement cette théorie sur l’importation de la méthode expérimentale, et la volonté d’une mise en œuvre concrète de cette méthode. Après la première période de la « théorie de la pratique expérimentale » qui s’étend de sa formulation sur le papier à sa première mise en œuvre à Condé-sur-Vesgre, d’ailleurs conclue par un échec, il apparaît que dans la décennie qui suivit, la question de l’exigence expérimentale fut au cœur des conflits qui secouèrent l’École sociétaire. Ces conflits entraînèrent la scission entre d’un côté des dissidents qui se voulaient plus « réalisateurs » qu’expérimentateurs et poursuivirent inlassablement la mise en pratique immédiate des principes fouriéristes, et des fouriéristes orthodoxes qui privilégiaient au contraire la poursuite de la « propagation » de l’œuvre de Fourier. Tandis que les premiers tentaient sans succès d’établir des phalanstères en France, mais aussi au Brésil ou en Algérie, les seconds élaboraient dans les années 1840 le programme théorique d’un « expérimentalisme d’État » qui déboucha sur un projet de « Ministère de l’Expérience » resté lettre morte après le délitement des espérances révolutionnaires de 1848.

L’exil des dirigeants fouriéristes après les événements de juin 1849 marqua la fin de l’orientation propagatrice de l’École sociétaire et scella la réconciliation des orthodoxes et des dissidents autour des objectifs qui avaient justement provoqué la dissidence, ceux d’une réalisation rapide de la doctrine de Fourier. À travers l’étude des préparatifs et du déroulement de l’expérience qu’ils conduisirent ensemble au Texas au milieu des années 1850, il apparaît cependant que les lignes de fracture anciennes, malgré la « réunion » (c’est le nom qui fut symboliquement donné à cette expérience) formelle des deux tendances antagonistes, continuaient de structurer fortement l’action de l’École sociétaire. En particulier, Victor Considerant, chef de l’École sociétaire et héraut de sa tendance « propagatrice », était moins empressé que les anciens « réalisateurs » d’inaugurer cette mise en œuvre pratique, car son impréparation et l’exil dans lequel il était tenu risquaient de lui en faire perdre le contrôle ; et dans l’échec même de cette dernière expérience, on peut en partie voir la conséquence d’une réactualisation de cet antagonisme, opposant cette fois encore « l’œcuménisme expérimental » d’un Victor Considerant désireux de créer au Texas un laboratoire d’expérimentation sociale ouvert à toutes les doctrines sociales de progrès, et la volonté des anciens réalisateurs de mettre en place à Réunion un phalanstère où seraient pratiqués immédiatement et exclusivement les principes fouriéristes d’organisation domestique et d’organisation du travail.

Enfin, nous avons souhaité procéder à l’examen d’un ultime épisode de l’histoire des expérimentations sociales de la théorie de Fourier, celui du « Familistère » créé à Guise par le fabricant d’appareils de chauffage Jean-Baptiste Godin. En prenant appui sur l’étude extrêmement détaillée qui a été faite par Jules Prudhommeaux de certaines des expériences de Godin, nous avons essayé de montrer en quoi, malgré le dénigrement dont elles furent parfois l’objet, ces expériences se démarquent des précédentes par la mise en place d’un véritable dispositif expérimental, un effort de contrôle des paramètres et des hypothèses expérimentées, et le recueil réglé des observations issues de ces expériences successives. D’après cet examen des différentes expérimentations sociales de la théorie de Fourier qui furent tentées au XIXe siècle, il devient possible de dire jusqu’à quel point l’exigence expérimentale du fouriérisme ne fut pas seulement une « métaphore » par lequel il mimait un des attributs fondamentaux de la scientificité pour appuyer une stratégie polémique de distinction vis-à-vis des doctrines sociales concurrentes : à ce titre, les quelques indications d’une interpénétration dialectique entre théorie positive et pratique expérimentale que nous avons pu ainsi dégager, permettent de voir dans quelle mesure cette « idéologie de la pratique expérimentale » constituait le point d’articulation fondamental entre le programme épistémologique de la « science sociale » de Fourier et sa volonté de transformation sociale.

Finalement, il apparaît que la pensée de Fourier, et l’École qui s’est constituée autour d’elle, mettaient en œuvre des conceptions méthodologiques originales, dont l’examen permet de mieux saisir certains des enjeux fondamentaux de la lutte pour la construction d’une « science sociale » au XIXe siècle, organisées autour de l’association problématique de trois exigences : la prétention scientifique, l’exigence expérimentale et la volonté de transformation sociale. Certes, un siècle et demi plus tard, la question des tensions entre la science sociale et l’action n’est toujours pas résolue ; il se peut même qu’en raison de la spécificité des objets que la sociologie se propose de connaître scientifiquement, cette question soit appelée à demeurer sans réponse. Mais d’une part cela n’empêche pas que cette question est certainement destinée à rester une question centrale du débat sociologique ; et d’autre part, il n’est pas interdit de penser que depuis le milieu du XIXe siècle, ce débat a permis au moins une meilleure formulation des termes du problème ainsi posé. Et en définitive, l’étude que nous avons essayé de mener sur quelques-uns des aspects qui nous ont parus centraux dans le projet fouriériste peut aussi servir, très modestement, à illustrer un état initial de ce problème, et à faciliter la compréhension d’une modalité, particulière à un moment de l’histoire des études sur les sociétés, de cette croyance dans la « compossibilité » de l’exigence scientifique et de la volonté de transformation sociale qui demeure l’horizon d’une bonne partie des conceptions actuelles du travail sociologique.

Pierre MERCKLÉ

Nouvelles brèves

 Les Cahiers Charles Fourier sont présentés par Jonathan Beecher dans Utopian Studies, Journal of the Society of Utopian Studies (XII-2, 2002, pp. 279-280) tandis que le numéro 10 des Cahiers (« Fouriérisme, révolution, république. Autour de 1848 ») fait l’objet d’un compte rendu par Bernard Desmars dans la Revue d’histoire du XIXe siècle (n° 23, 2001, pp. 276-279).

 La 17e livraison du Bulletin des amis de Pierre Leroux a paru en mai 2002 (204 p., 16 euros), grâce aux efforts remarquables que déploie depuis de longues années Jacques Viard. Pour tout renseignement : Association des amis de Pierre Leroux, 39 rue Emeric David, 13100 Aix-en-Provence.

On signale :

 Philippe RÉGNIER [dir.], Études saint-simoniennes, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2002, 390 p.

 Stéphane PELTIER, « La pathographie associative » dans Yves VARGAS [dir.], De la puissance du peuple. La démocratie de Platon à Rawls, Pantin, Le Temps des cerises, 2000, pp. 267-274.

 En septembre 2000, Solange Mercier-Josas a présenté une communication sur « La périodisation historique selon Victor Considerant » au congrès de l’Internationale Gesellschaft für Dialektische Philosophie - Societas Hegeliana consacré à « l’idée d’époque historique » (Université de Nice, Sophia-Antipolis).

 Christian Ronse (professeur d’informatique, Université de Strasbourg) a consacré un site à Charles Fourier. Sur la page d’accueil du site figure la citation suivante, extraite de la Théorie des quatre mouvements : « Si vos sciences dictées par la sagesse n’ont servi qu’à perpétuer l’indigence et les déchirements, donnez-nous plutôt des sciences dictées par la folie, pourvu qu’elles calment les fureurs, qu’elles soulagent les misères des peuples. » Le site de Christian Ronse, en anglais, fourmille d’idées, d’images, d’informations de toutes sortes, de liens avec d’autres sites. Il vaut la peine d’aller y faire une visite.

(adresse : http://arthur.u-strasbourg.fr/~ronse/CF/)

 Le 8 avril 2002, au Conseil municipal de Paris, trois représentants du groupe « les Verts », ont émis le vœu que soit remise en place une statue à la mémoire de Fourier (souhait exprimé déjà par les élus Verts et socialistes au conseil municipal du XVIIIe arrondissement, qui l’a adopté). Les débats, fort courts, ont surtout porté sur la manière dont les vœux émanant des conseils municipaux d’arrondissements sont relayés au Conseil municipal de Paris. Sandrine Mazetier, adjointe, a déclaré pour sa part : « J’ai trouvé une citation de Charles Fourier qui devrait inspirer fortement cette Assemblée, et je pense de nombreux artistes. Si de nombreuses organisations de l’Assemblée s’inspirent du socialisme utopique, je ne suis pas sûre que ce soit le cas sur tous les bancs de l’Assemblée. Je pense qu’elle pourra contribuer à votre culture. Elle fera très certainement plaisir à mon collègue Christophe Girard à laquelle je la dédie : "Une planète est un corps androgyne pourvu des deux sexes et fonctionnant en masculin par les copulations du pôle nord, et en féminin par celles du pôle sud." » Un concours d’artistes sera organisé pour la statue. Pour prendre connaissance de l’intégralité de ces débats : http://www.paris-france.org/BMO/débat/

 Des projets artistiques sont également en préparation, pour que la ville de Besançon accueille elle aussi un « monument », œuvre d’art qui fasse écho à Charles Fourier et son œuvre.

 L’association Civisme et Démocratie (CIDEM), créée en 1984 par la Ligue des droits de l’homme et par la Ligue de l’enseignement, regroupe aujourd’hui dix associations qui « veulent promouvoir civisme et éducation à la citoyenneté ». Sur le site de cette association (rubrique « Économie sociale et solidaire »), un portrait est consacré à Charles Fourier.

Adresse : http: www.cidem.org/cidem/index.html

 Dans un article publié en rubrique « rebonds » de Libération (29 octobre 2002), Michel-Antoine Burnier a reproduit un dialogue animé entre le spectre de Charles Fourier et Christine Boutin.

 En accord avec Jean-Claude Wartelle, la rédaction a remis à un prochain numéro la parution de la 2e partie de l’étude consacrée à « une famille d’intellectuels de gauche au XIXe siècle. Les Gagneur ».

 Le Cahier Charles Fourier 14 (déc. 2003), thématique, sera consacré à « l’amour » (coordination par Laurence Bouchet et Louis Ucciani). Propositions d’articles ou de comptes rendus sont à faire parvenir avant le 1er juillet 2003. Le Cahier Charles Fourier 15 (déc. 2004) sera ouvert. Propositions d’articles ou de comptes rendus sont à faire parvenir avant le 15 mai 2004.

[merci d’envoyer vos textes sur disquette, avec un tirage papier, à Thomas Bouchet, 13 rue du Levant, F-25160 Saint-Point]

 Assemblée générale de l’Association d’études fouriéristes : à Besançon le 12 décembre 2002 (à partir de 20 heures, brasserie Granvelle). Ordre du jour : rapport moral, rapport financier, modification des statuts, élection du conseil d’administration.

- Erratum : c’est par erreur que dans le numéro 12 des Cahiers (décembre 2001), le portrait de Fourier par le Docteur Baudet-Dulary, publié après le sommaire (p. 6) a été daté de 1813. Il date en fait de 1833, comme nous l’avions indiqué dans les Cahiers Charles Fourier n° 8 (1997), p. 48 : « simple croquis à la mine de plomb saisi pendant un dîner par Baudet-Dulary ».

 Vladimir : plusieurs lecteurs nous ont fait remarquer que c’est à tort que dans son article sur la statue de Fourier paru dans les Cahiers n° 11 (décembre 2000), M. Desmars situait à Saint-Claude (p. 43, note 4) la statue de Wladimir Gagneur par sa fille Syamour. Elle était en réalité à Poligny, sa ville natale.

En fait, M. Desmars a reproduit les affirmations de La Rénovation qui, après avoir situé la statue de Gagneur à Grenoble, l’a située à Saint-Claude, la confondant avec celle de Voltaire et Christin, œuvre aussi de Syamour. La statue de Wladimir Gagneur à Poligny a été emportée par les Allemands pendant la guerre, mais les résistants polinois ont réussi à sauver le bas-relief du Vigneron qui a repris sa place après la guerre.

Ajoutons que, certainement à la demande de Mme Griess-Traut, Syamour a réalisé un buste de Charles Fourier qui a été présenté au Salon de 1893 - on ignore ce qu’il est devenu - et qu’elle est aussi l’auteur du buste de Victor Considerant inauguré à Salins en 1901 et toujours en place dans un jardin public, où se trouve aussi celui de Max Buchon. Quoique Considerant soit mort en 1893, huit ans après Victor Hugo, l’inauguration de son buste a précédé d’un an celle de la statue de Hugo à Besançon par Just Becquet (1902).

Nos adhérents ont publié

 Agulhon (Maurice), « Victor Hugo et notre temps », Cahiers Rationalistes, n° 560, septembre-octobre 2002.

 Fornasiero (Jean), « Nerval vers 1850 : éléments d’une biographie politique », Australian Journal of French Studies, tome XXXVI, novembre 1999.

 Fornasiero (Jean), « Fouriérisme, politique et chimères chez Gérard de Nerval », Revue Romane, 36, 1, 2001.

 Scherer (René), Enfantines, Paris, Anthropos, 2002, 184 p.

 Vernus (Michel), Mariage et noces d’autrefois : rites et traditions, Cabedita, 2002.

 Vernus (Michel), « Une pratique ordinaire : la lecture en France, Alain Suthon, 2002.

Par ailleurs, dans le cadre du bi-centenaire de Victor Hugo, Gaston Bordet, Jean-Claude Dubos et Michel Vernus ont participé au cycle de conférences organisé par l’Université de Franche-Comté dans le cadre de l’Université Ouverte.


Aphorisme du jour :
Les sectes suffisent à elles seules à guider la politique humaine dans le labyrinthe des passions
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