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Ambrogi, Paul André
Article mis en ligne le 19 août 2019

par Desmars, Bernard

Né le 1er décembre 1815 à Grosseto Prugna (Corse-du-Sud), décédé le 13 octobre 1891 à L’Île-Rousse (Haute-Corse). Instituteur, puis inspecteur de l’instruction primaire. Poète. Abonné au Bulletin du mouvement social et au Devoir.

Paul André Ambrogi (parfois prénommé Paolo Andrea) obtient son brevet d’instituteur en 1836. En octobre de la même année, il commence à enseigner à Belgodère (Haute-Corse). En 1839, il est nommé à L’Île-Rousse, où il prend la direction de l’école primaire supérieure et du pensionnat qui lui est associé. Il subit en 1846 un examen qui lui permet d’obtenir un certificat d’aptitude aux fonctions d’inspecteur de l’instruction primaire [1].

D’après le discours qu’il prononce lors de la distribution des prix en juillet 1848 – et qu’il fait imprimer – il adhère à la République et partage largement les idéaux quarante-huitards. Énumérant des généralités, il souhaite « le triomphe de la justice au point de vue de la liberté, de l’égalité, de la fraternité », le « bonheur social et individuel », la marche « vers l’unité, l’ordre, l’harmonie universelle » ; selon lui, « les lois morales et républicaines [sont] destinées à conquérir le monde » [2]. Il annonce, à tort, que « la République va proclamer bientôt le droit qu’ont tous les citoyens de recevoir gratuitement de l’Etat l’enseignement propre à développer les facultés physiques, intellectuelles et morales de chacun d’eux » ; enfin, « le travail seul est fécond, seul il est honorable » [3].

L’année suivante, il reprend les mêmes thèmes, mais en insistant sur les dangers représentés par le désordre et en rappelant que la Corse a donné naissance au « Génie » et que « le neveu de Napoléon préside » la France [4]. Les discours des années 1853, 1854 et 1855, également imprimés, abordent, dans un style très grandiloquent, les thèmes suivants : « La provocation, la vendetta, le duel, le suicide, le pardon » en 1853 ; « Instruction et éducation » en 1854 et « Vérité et mensonge » en 1855 [5].

Il participe en 1860 au concours lancé par le ministre de l’Instruction publique, qui invite les instituteurs français à répondre à la question suivante : « Quels sont les besoins de l’instruction primaire dans une commune rurale au triple point de vue de l’école, des élèves et du maître ? ». Son mémoire est pour l’essentiel composé de généralités sur les progrès de la civilisation grâce notamment à une instruction primaire qui « doit être chrétienne, mais progressive. Elle doit aider à développer les facultés morales, intellectuelles et physiques des enfants des populations laborieuses ». Néanmoins, il formule quelques demandes plus précises : l’enseignement primaire gratuit et obligatoire, de 3 à 14 ans, chaque école primaire devant disposer d’une salle d’asile, mais aussi d’une bibliothèque, d’un jardin et d’un gymnase. Il est d’ailleurs le seul en Corse à proposer ce dernier équipement [6].

Cependant, selon le recteur de l’académie d’Aix, dont dépend la Corse,

M. Ambrogi a de l’instruction, une bonne conduite, une moralité sans reproche. Il remplit ses fonctions avec assez de zèle. Mais les résultats de son enseignement laissent à désirer. M. le vice-recteur de la Corse en trouve la raison dans les habitudes de travail de cet instituteur : il suit son penchant pour la poésie et fait imprimer un recueil de pièces de vers assez médiocres en italien et en français, et y donne probablement plus de temps qu’à la préparation de sa classe et à la direction de son école [7].

Poète et bonapartiste

Paul André Ambrogi publie en effet plusieurs recueils de poésie. Cette production littéraire lui permet d’exprimer l’admiration qu’il éprouve pour Napoléon III, et plus généralement les Bonaparte. En 1861, il fait éditer un long poème, une Gerbe poétique offerte à l’empereur Napoléon III. La noblesse de cœur ; on y trouve notamment les vers suivants :

Napoléon est grand : il croit à son étoile,
Et la France le fait, et lui donne sa voile,
Pour avancer toujours où mène le devoir.
Il cherche à s’entourer des hommes de conscience,
Honorant le travail et protégeant la science,
Il gagne tous les cœurs, affermit le pouvoir.

[…]
En France, il fut un temps, pour être populaire,
Qu’aux pouvoirs établis, on déclarait la guerre,
On renversait les rois. Le vote universel
Redresse le pouvoir, à la loi le ramène.
Soyons bons citoyens ; nous n’aurons plus la chaîne :
On ne la met qu’au peuple où disparaît le sel.

Lorsque viendra le jour de la grande bataille
Les peuples prouveront qu’ils ne sont pas canaille,
Et qu’ils ont dans le sein la noblesse du cœur,
Par le glaive invincible et la mâle éloquence
Au nom du droit nouveau, proclamé par la France,
Les peuples revivront secondant l’Empereur [8].

Inspecteur primaire

À partir de 1864, Ambrogi effectue des démarches pour obtenir un poste d’inspecteur, d’abord sans succès, malgré la recommandation du conseiller d’État Charles Abbatucci. Le recteur de l’académie d’Aix, qui transmet sa candidature au ministère, semble perplexe. Après avoir souligné son « penchant pour la poésie » qui soustrait une partie du temps normalement dévolu au travail scolaire, il ajoute :

Peut-être réussirait-il mieux dans les fonctions de l’inspection, car il est intelligent et laborieux. Mais il a déjà 49 ans. Son âge et ses habitudes sédentaires lui rendraient peut-être bien pénibles les fonctions actives de l’inspection primaire [9].

Il publie en 1867 un livre qu’il présente comme un ouvrage de pédagogie [10], mais qui est aussi une manifestation de son adhésion au régime bonapartiste :

Nous avons écrit ce livre dans le but de coopérer à la réalisation de l’idée impériale, de l’idée qui dirige la France vers sa haute destinée, en l’élevant sur ses ailes dans les régions de la civilisation universelle.

Écrit au point de vue de la cause napoléonienne, cet ouvrage est donc fait pour le présent, qui prépare le terrain à l’avenir [11].

On y trouve pêle-mêle des généralités sur le rôle et les devoirs de l’instituteur, la reproduction de certains des discours prononcés lors des distribution de prix à L’Île-Rousse, des poèmes, dont La Gerbe, et aussi une poésie pour l’anniversaire du prince impérial :

Le 16 mars, l’aurore est souriante
Et le soleil apparaît éclatant.
Dans ce beau jour, la France s’oriente
Et ne craint pas les orages du temps.

Son cœur tressaille et se remplit de joie
Pour rendre hommage au futur empereur.
L’Europe rêve et jalonne la voie
De l’équité, de l’ordre et du labeur.

[…] [12]

En 1868, enfin, après avoir renouvelé son souhait de devenir inspecteur et avec l’appui de Franceschini Pietri, secrétaire particulier de l’Empereur, Ambrogi obtient enfin un poste à Brignoles (Var) ; il ne l’occupe que quelques jours, en janvier-février 1868 avant de se rendre à Orange (Vaucluse) où il passe environ deux années. Les jugements de ses supérieurs sont assez peu favorables. Si on reconnaît à l’inspecteur une bonne conduite, un caractère loyal, ses capacités intellectuelles paraissent limitées. Lui-même envisage un moment de quitter l’enseignement pour travailler dans une bibliothèque [13]. Finalement, ii il reste dans l’inspection, mais en 1870 il est chargé de l’arrondissement de Calvi, tout en demeurant à L’Île-Rousse. Il publie en 1874 un manuel d’arithmétique pour le primaire et pour les cours d’adultes. Promu inspecteur de 2e classe en octobre 1874, il obtient la première classe en octobre 1877, à chaque fois avec la recommandation du député bonapartiste Denis Gavini.

Sa situation professionnelle est fragilisée à partir de 1876-1877, à la fois en raison de son âge qui fait douter de ses capacités à bien assurer sa tâche, et en raison aussi de son admiration passée pour Napoléon III :

On m’affirme que, malgré ses 65 ans, il suffit encore au service de ses douze cantons. Cependant, à ses rapports et à ses conversations, on sent qu’il est plus vieux qu’il ne le pense. Il est d’ailleurs peu instruit ; on trouve chez lui plus de mots que d’idées pédagogiques. D’un autre côté, il passe dans sa circonscription comme bonapartiste et son témoignage est souvent contesté. Il me paraît mûr pour la retraite [14].

M. Ambrogi s’est signalé jadis par son dévouement à l’Empire ; il est l’auteur d’un écrit dithyrambique en l’honneur de Napoléon III et de l’impératrice Eugénie.

À ce titre, il est suspect aux partisans des institutions républicaines [15].

Selon le préfet de la Corse,

ce fonctionnaire est un ennemi déclaré de nos institutions ; c’est un bonapartiste avéré et il est entièrement à la dévotion des hommes du régime déchu […] À l’occasion de la première fête nationale de la République, il n’a ni illuminé, ni pavoisé sa maison [16].

Le recteur le présente ainsi en 1879 : « fonctionnaire consciencieux, assez actif pour son âge, esprit droit, peu pénétrant, commence à vieillir » [17]. On lui reproche ses rapports « généralement trop succincts » [18]. Pour récompenser ses longues années de service, Ambrogi reçoit les palmes académiques en 1879 [19] ; puis il est placé en retraite en 1880. Il écrit à Ferdinand Buisson, le directeur de l’enseignement primaire, pour manifester sa déception ; il met en avant le fait qu’il s’occupe de l’entretien de ses quatre neveux et nièces, dont le père, lui-même instituteur, est décédé. Il obtient une indemnité, le titre d’inspecteur honoraire et une bourse pour l’aîné de ses neveux, interne au lycée de Bastia.

Fouriérisme et pacifisme

Vers la fin des années 1870, ses préoccupations pacifistes amènent Ambrogi à entrer en contact avec le centre parisien de l’École sociétaire :

je sais que votre intéressant Bulletin du mouvement social consacre une place importante à la question de la paix. Désirant m’abonner à cet intéressant journal, je vous prie de me faire connaître le prix de l’abonnement et le prix de la collection des numéros déjà parus, dont je voudrais faire l’acquisition [20].

Sans doute la réponse le satisfait-elle, puisque quelques semaines plus tard, il écrit :

je veux m’abonner à votre Bulletin du mouvement social, espérant trouver les renseignements statistiques qui démontrent les bienfaits de la paix et l’historique des efforts tentés pour substituer l’arbitrage à la guerre [21].

Il se réabonne en janvier 1878 – il commande alors un ouvrage en deux volumes consacré à la paix paru en 1829 [22] – et en 1879 [23].
Dans les années 1880, il est abonné au Devoir, dirigé par Jean-Baptiste Godin, le fondateur du Familistère de Guise [24]. Mais c’est encore le combat pacifiste qui mobilise son énergie : il signale au périodique pacifiste également publié par Godin – Le désarmement européen et l’arbitrage international – son action en faveur de la paix :
En Corse, L’Île-Rousse a pris l’initiative : l’idée sublime d’arbitrage rayonne dans l’arrondissement de Calvi ; elle ne peut tarder à se répandre sur l’île entière [25].
Il accentue son action à la veille des élections législatives d’octobre 1885 : selon la Revue du mouvement social, qui a succédé au Bulletin du mouvement social :
Un de nos amis, M. Ambrogi, qui habite L’Île-Rousse (Corse), a récemment publié, dans le Petit Bastiais, une lettre adressée aux candidats qui sollicitent les suffrages dans les prochaines élections, pour leur demander de se prononcer en faveur de la substitution de l’arbitrage à la guerre.
M. Ambrogi ne se fait certainement aucune illusion sur la réponse des candidats, politiciens politicianisants [sic] ; mais il profite d’une excellente occasion pour poser la question de la paix par l’arbitrage devant le corps électoral ; il fait bien [26].
Il est par ailleurs membre de la Société des sciences historiques de la Corse [27].