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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Demeur, Adolphe (Louis Joseph)
Article mis en ligne le 8 décembre 2019

par Desmars, Bernard

Né le 23 décembre 1827 à Mons (Belgique), décédé le 25 mai 1892 à Ixelles (Belgique). Avocat, conseiller provincial, député. Abonné à La Démocratie pacifique, correspondant de l’École sociétaire à Bruxelles au début des années 1850, ami de Victor Considerant.

Adolphe Demeur est le fils d’un contrôleur du cadastre. Il fait des études de droit à l’université de Louvain, où il fait partie d’un groupe de disciples de Fourier [1]. En mars 1848, un certain nombre d’étudiants signent une Adresse de félicitations à leurs « frères d’Allemagne », en appelant au « règne de la Justice et de la Vérité ». Ce texte suscite la colère des autorités académiques qui excluent plusieurs étudiants, dont Adolphe Demeur [2]. Il continue ses études à l’université libre de Bruxelles où il obtient un doctorat [3]. Au début des années 1850, il devient avocat à la cour d’appel de Bruxelles. Il s’intéresse en particulier au droit des affaires et publie dès 1851 des ouvrages sur les systèmes de crédit et d’assurance [4].

Il s’engage du côté des progressistes de l’Association libérale ; il se situe à l’aile gauche de l’organisation, favorable à la démocratisation du régime et à des réformes sociales. Son aspiration à des changements sociaux se traduit également par son adhésion au fouriérisme.

Correspondant de l’École sociétaire

Il est un membre important du mouvement fouriériste en Belgique au début des années 1850. Il est le correspondant à Bruxelles du Centre parisien de l’École, chargé de percevoir la rente et le produit des abonnements auprès des souscripteurs belges et des abonnés à La Démocratie pacifique. En avril 1851, il envoie « la liste des renteurs », c’est-à-dire des disciples qui se sont engagés à verser régulièrement une somme d’argent pour subvenir aux besoins de l’École sociétaire. Au printemps 1851, cette rente n’a produit pour les premiers mois de l’année que 159,50 francs auxquels s’ajoutent 94 francs « pour cotisation exceptionnelle » (c’est-à-dire des dons versés par les renteurs en supplément à leur rente) : « c’est bien peu, comme vous voyez » [5]. En octobre 1851, il mentionne 22 renteurs, dont les versements réguliers se montent à 325 francs pour les trois premiers semestres, auxquels s’ajoutent 100 francs de « cotisations exceptionnelles » [6]. En 1852, seize renteurs envoient 268 francs 50 [7]. Lui-même verse 10 francs chaque trimestre, ce qui en fait un des principaux contributeurs belges à la rente. Une partie de l’argent collecté est remise directement à François Cantagrel, l’autre étant envoyée à Paris.

Il s’occupe également de la diffusion des publications fouriéristes sur le territoire belge. En juin 1851, il indique au Centre sociétaire parisien différents noms et adresses auxquels il faut envoyer La Démocratie pacifique, ainsi que la Revue de l’éducation nouvelle, un périodique fondé par Jules Delbruck. Lui-même commande plusieurs numéros de La Démocratie pacifique, qui manquent « à [sa] collection, par suite de donations, prêts, etc. » [8]. Il adresse également à la Librairie sociétaire des listes de livres qu’il commande en plusieurs exemplaires : on y trouve des ouvrages de Charles Fourier (Théorie de l’unité universelle, Cités ouvrières, Manuscrits), de François Cantagrel (Le Fou du Palais-Royal), d’Eugène Bonnemère (Les paysans au XIXe siècle), d’Alphonse Toussenel (L’Esprit des bêtes, Le Monde des oiseaux, Les Juifs rois de l’époque), d’Hippolyte Renaud (Solidarité), de Pierre Lachambeaudie, mais aussi d’auteurs non fouriéristes comme Émile de Girardin [9]. En 1853, il met en relation la Librairie sociétaire avec une librairie de Bruxelles, qui « offre de vendre pour 300 francs : 55 exemplaires de l’Esprit des bêtes et 55 [exemplaires] du Monde des oiseaux » ; certes, « ce prix est excessivement bas », mais peut intéresser l’École sociétaire, à un moment où son activité est très réduite [10].

La correspondance avec le centre sociétaire parisien conservée dans les archives sociétaires concerne principalement des questions comptables et administratives, Demeur se plaignant notamment de ne pas obtenir de quittances pour les sommes envoyées à Paris ou de ne pas recevoir des numéros de revues qui ont pourtant été commandés [11].

Quand la répression consécutive à la manifestation du 13 juin 1849, puis le coup d’État du 2 décembre 1851 provoquent l’arrivée de démocrates-socialistes en Belgique, Demeur aide certains d’entre eux à s’installer [12]. Il est proche en particulier de François Cantagrel et de Victor Considerant, avec qui il « fait un petit voyage » en 1851. « Ils se portent tous deux à merveille. Considerant nous a pêché une masse de truites » [13].

En 1854, après la parution de la brochure Au Texas, Victor Considerant propose la création d’une « Société de colonisation européo-américaine au Texas » ; sans doute Demeur, spécialiste du droit des sociétés commerciales, a-t-il aidé ses amis dans la rédaction des statuts [14]. Il héberge à son propre domicile le « siège primitif [de la société] à Bruxelles, rue de la Régence, n°16 » [15]. Lors de son bref retour en Europe en 1858, Victor Considerant séjourne à Bruxelles chez lui ; les deux hommes continuent à correspondre dans les années suivantes [16].

Demeur reste aussi en contact avec certains dirigeants fouriéristes. En 1861, alors que des dissensions se manifestent parmi les actionnaires quant à l’avenir de la société fondée en juin 1840 pour exploiter la librairie de l’École sociétaire, il envoie un message de soutien à Émile Bourdon et lui assure qu’il « saisira avec empressement toute occasion de [lui] être utile ou agréable » [17].

Engagements en faveur de la démocratie, de l’instruction et de la laïcité

À partir de 1857, Adolphe Demeur commence une série de publications sur les sociétés anonymes et sur les sociétés commerciales de Belgique, qu’il poursuit jusqu’en 1877. Surtout, il s’engage dans différentes associations en faveur du développement de l’enseignement, de la laïcité et de la démocratie ; il collabore à plusieurs organes progressistes, La Liberté (1865-1866), puis La Discussion (1870-1873). Il est membre du Vlamingen Vooruit, une association qui réunit les combat pour « le flamingantisme, la laïcité, le libéralisme social et les premiers mouvements sociaux-démocrates », et qui joue un rôle important dans le développement de la libre pensée [18]. En 1866, il est admis à la loge maçonnique Les Amis philanthropes. Il participe au congrès de la paix à Genève en 1867. Déjà membre du Conseil provincial du Brabant, il est élu député à la Chambre des représentants en 1870 ; lors de la campagne électorale, il signe un manifeste réclamant une réforme électorale avec « la substitution de l’instruction au cens comme condition de l’exercice du droit », l’instruction obligatoire, des lois « protégeant l’enfance contre un travail prématuré ou excessif », une « répartition plus équitable des charges publiques », la révision des lois sur les cultes, sur le livret ouvrier, etc. [19]. Il s’oppose en 1871 à l’expulsion des Communards réfugiés en Belgique [20]. Il se marie l’année suivante avec Jeanne Delstanche, née en 1846, avec laquelle il a cinq enfants.

Il s’abonne au Bulletin du mouvement social, fondé en décembre 1872, dès les premières semaines de sa parution [21]. Sa correspondance témoigne aussi, au-delà de la fidélité à la cause sociétaire, des relations amicales qu’il entretient avec certains dirigeants de l’École, et notamment avec Émile Bourdon [22]. Il reste aussi en relations avec Victor Considerant qui, après son retour des États-Unis, lui rend visite avec sa femme à Bruxelles, séjour au cours duquel les deux hommes se livrent à « des jeux de réussite » [23]. Les deux amis se retrouvent encore en 1891 [24]. Entre temps, ils s’écrivent et se donnent des nouvelles de leur santé et de leurs amis [25].

À la Chambre des représentants, Adolphe Demeur fait partie de la commission des finances (1879-1884) et de celle de la comptabilité (1879-1883) : il combat en faveur du suffrage universel et de réformes améliorant les conditions du travail des ouvriers et limitant le travail des enfants. Il lutte également pour le développement de l’enseignement public [26]. En 1880, il fait partie du Comité général du Congrès international de l’enseignement, qui se tient à Bruxelles ; en 1882, il est vice-président de la Ligue nationale pour la réforme de l’enseignement. Son anticléricalisme lui vaut de violentes attaques de la part des milieux catholiques. Il abandonne son siège de député en 1884, mais reste au conseil provincial du Brabant jusqu’en 1891. En décembre de cette même année, dans une lettre adressée à Victor Considerant, il fait part de son intention d’être candidat aux prochaines élections législatives afin de soutenir la campagne du Parti ouvrier belge en faveur du suffrage universel. Considerant lui répond depuis Laon, où il séjourne chez son ami Auguste Kleine en le félicitant pour cette décision et en soulignant la qualité du travail fourni par les socialistes [belges], qui aboutira, un peu plus tôt, un peu plus tard à l’organisation sociétaire » [27]. Mais Demeur est déjà décédé d’une crise cardiaque quand la lettre lui est envoyée [28].