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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Pereira, Luciano Lopes
Article mis en ligne le 11 janvier 2020
dernière modification le 27 décembre 2021

par Sosnowski, Jean-Claude

Né le 30 juillet 1806 à Tomar (Portugal). Médecin en France, au Portugal puis médecin homéopathe au Brésil. Enseignant à l’Institut d’homéopathie du Brésil à Rio de Janeiro (Brésil). Contributeur à la rente phalanstérienne en 1851. Initiateur d’un projet de colonie par association dans la province de Rio de Janeiro en 1858-1859.

Réfugié en France

Réfugié à Paris en 1828, probablement pour avoir soutenu la reine Maria II et s’être opposé à la tentative de rétablissement de la monarchie absolue par Don Miguel, Luciano Lopes Pereira suit des études de médecine de 1828 à 1830 à la faculté de Paris après des études à Coïmbra au Portugal, ce qui le dispense de baccalauréat pour être admis. Il réside 5 rue Corneille à Paris en janvier 1831, puis 16 passage Dauphine [1]. Sa thèse, soutenue à la Faculté de médecine de Paris le 18 août 1831, est transmise à l’Académie de médecine et présentée lors de la séance du 5 septembre 1831 afin d’être remise « selon le désir de l’auteur » [2] à la commission des prix Montyon. Selon ses propres dires, il est actif lors de la lutte contre l’épidémie de choléra qui sévit en 1832. À cette occasion, relate-t-il, un article portant sur l’efficacité de ses méthodes est publié dans un journal des hôpitaux de Paris. Intéressé par l’homéopathie, il fréquente la clinique privée d’Hahnemann [3] à Paris ; mais déclare-t-il, comme de nombreux médecins, il abandonne alors l’homéopathie, faute d’avoir décelé les vertus des médicaments homéopathiques. Ses revenus sont faibles et malgré son activité, il sollicite le versement des secours accordés par le gouvernement aux réfugiés [4]. A partir de janvier 1832, il bénéficie d’une aide d’un franc par jour. Au cours de l’année, il se rend en Angleterre et semble participer au corps expéditionnaire de Pedro IV du Portugal qui débarque aux Açores depuis l’Angleterre pour reconquérir le Portugal et rétablir sa fille Maria sur le trône. D’après ses propos, il aurait été membre du Conseil de santé de cette armée sur l’île de São Miguel [5]. En octobre 1832 à son retour en France, Luciano Pereira Lopes demande la reprise de l’aide du gouvernement français. Faute de moyens suffisants, il quitte Paris et s’installe à Recloses (Seine-et-Marne) en mars 1833 [6]. « Il donne des soins gratuits aux indigens malades » [7]. Il accueille son frère et sa belle-sœur en août 1833. Il renonce alors aux subsides accordés aux réfugiés [8]. En août 1836, une ordonnance royale l’autorise à s’établir en France et à bénéficier des droits civils durant toute la durée de son séjour. Il exerce alors à Milly-la-Forêt (Seine-et-Oise, auj. Essonne) [9].
Il retourne probablement au Portugal peu de temps après. En 1838, il y publie Politica industrial : obra offercida aos eleitores para servir de programma politico nas proximas eleições [10] En 1841, il exerce à Loulé dans la province de l’Algarve [11]. Le nom et la profession de Luciano Lopes Pereira sont donnés dans une liste de prisonniers, insurgés impliqués dans la révolte de Sétubal en juin 1847 [12]. L’intervention de la flotte anglaise et des troupes libérales espagnoles sauve la dynastie des Bragance-Cobourg confrontée à une insurrection populaire qui a pris le contrôle de Porto et qui unit la petite bourgeoisie aux paysans soutenant les tenants de la monarchie absolue (miguelistes).

Médecin homéopathe au Brésil

Peu de temps après, il rejoint le Brésil. Il débarque à Rio de Janeiro en provenance de Lisbonne le 7 août 1847 [13]. Il s’installe à Vassouras (province de Rio de Janeiro), mais fin décembre 1848, il est recherché par son frère Maximiano Lopes Pereira nouvellement arrivé de Porto. Il publie à cet effet un avis dans la presse [14]. Luciano Lopes Pereira semble très mobile. Durant près de deux ans, il parcourt la province de Rio. En juillet 1849, afin d’apaiser le débat entre allopathes et homéopathes, il propose une invention « allo-homéopathique » en effectuant des préparations homéopathiques à l’aide d’un appareil d’électro-galvanisation. Ses relevés doivent permettre de dresser une statistique médicale afin de démontrer les bénéfices de la médecine homéopathique [15]. L’annonce paraît à plusieurs reprises jusqu’au 1er août.

En juillet 1850, avec un condisciple médecin formé à Coïmbra, J. B. P. De Figueiredo, Luciano Lopes Pereira dirige le périodique A Homoepathia, periodico das doutrinas medicas e sciencias accessorias. L’hebdomadaire ne survit pas au second numéro qui paraît le 4 août suivant. Les deux rédacteurs tiennent un cabinet homéopathique 5 rua d’Assembléa à Rio de Janeiro. Ils délivrent gratuitement des médicaments homéopathiques lors de leurs consultations [16].
En 1851, Luciano Lopes Pereira enseigne aux élèves de première année la botanique à l’École d’homéopathie du Brésil à Rio de Janeiro fondée en 1844 par Benoît Mure et João Vicente Martins et autorisée depuis le 27 mars 1848 [17]. En 1852 et 1853, il est recensé parmi les médecins et chirurgiens de Massouras. Il est le seul qui fasse état d’une pratique homéopathique [18]. Cette même année, il propose un appareil de son invention destiné à la mesure de la latitude à l’Académie de marine du Brésil [19]. En août 1855, il reprend la consultation homéopathique tenue autrefois par Benoît Mure et João Vicente Martins au 59 rua de San José [20]. En novembre 1855, une annonce publiée par le Correio da tarde signale qu’il donne des consultations homéopathiques au 40 rua da Alfandega [21]. Il est associé à un autre médecin, Francisco de Paulo Travassos [22]. Cette même année et l’année suivante, on le retrouve établi au 40 rua das Violas à Rio de Janeiro [23]. Selon une annonce qu’il fait paraître de décembre 1856 au 13 août 1857, il est spécialisé dans le traitement des « maladies syphilitiques par l’emploi de médicaments homoeopathiques indigènes […]. Les pauvres sont traités gratuitement » [24]. En mai, il s’associe à un autre médecin, J. R. de Oliveira Vereza [25]. Il consulte également à son domicile personnel, 80 rua das Violas [26]. Son dévouement lors des différentes épidémies est salué par la population de la province [27] Depuis le début d’année 1858, il donne des consultations homéopathiques à São Paulo, tout d’abord à l’Hôtel de l’Univers où il réside puis 29 rua da Gloria [28]. Il paraît être également adepte du somnambulisme et du magnétisme animal [29]. Revenu à São Paulo au début de l’année 1859 [30], il reprend ses consultations homéopathiques gratuites pour les pauvres à l’Hôtel Lefebre [31].

Un adepte ancien des théories sociétaires

En octobre 1851, Luciano Lopes Pereira est présenté comme toute nouvelle recrue du groupe phalanstérien de Rio de Janeiro. Son adhésion aux théories sociétaires n’est cependant pas nouvelle. Selon Vannet, il est « un homme de cœur, un poète, émigré du Portugal, ayant connaissance de toute la théorie de Fourier, habitant à Vassouras à 25 lieues de distance de Rio [...] » [32]. Il est l’auteur d’une brochure que Vannet joint en 4 exemplaires à son courrier pour deux destinataires non-nommés [33]. Il s’engage à verser 25 francs mensuels à la rente. Il contribue par ailleurs pour la somme de 25 francs « pour la caisse générale des proscrits ». Vannet considère qu’« il serait […] de quelque utilité que son nom paraisse dans la Démocratie [pacifique], posé comme il est, ce nom ferait jaillir quelques étincelles parmi ses compatriotes et les Brésiliens ». La Démocratie pacifique accuse réception du message et des versements [34] mais n’a pas le loisir de mettre en exergue le nom de Luciano Lopes Pereira ; elle cesse de paraître avec le coup d’État du 2 décembre 1851.

Auteur d’un projet de réforme et de nationalisation du commerce

Il s’implique dans la vie politique du Brésil. En août 1853, il propose au Parlement brésilien un projet de réforme et de nationalisation du commerce [35]. Il y développe une thèse démontrant les effets néfastes de l’intérêt privé engendré par le commerce alors que « toutes les impulsions sociales tendent manifestement à l’ordre et au progrès, le commerce, si dépourvu d’intérêts généraux, ne fonctionnant que par un intérêt privé, est un ressort essentiellement préjudiciable » [36]. Il voit le commerce comme un « principe de la prostitution sociale » [37]. Il affirme que « le progrès de la richesse publique est dû au progrès des sciences et de l’industrie, fils du progrès de la civilisation » [38]. Il considère le commerce comme une « classe essentiellement non productive, parasitaire, monopolisante [qui tire] parti des carences de la législation pour imposer les conditions les plus sévères à la production et au consommateur » [39] Il oppose plus particulièrement le commerce aux lois du christianisme sans aller au-delà de la dénonciation. Il ne fait aucune référence directe aux théories sociétaires.

Projet de colonie

Il semble jouir d’un certain crédit auprès des autorités. En mai 1858, l’Assemblée législative de la province de São Paulo lui apporte sa garantie pour les crédits nécessaires à un projet de création de colonie « par noyau ou association » :

Colonie normale. Le gouvernement était autorisé à garantir au Dr Luciano Lopes Pereira, sur 30 ans, un intérêt de 2% [40] à concurrence de 2,000:000$000 [2 000 contos de reis], afin de concrétiser l’idée de Colonie normale par noyau ou association dans un délai de huit à dix ans ; ainsi que l’importation de dix mille colons en l’espace de cinq ans, le tout conformément à sa proposition adressée à l’assemblée provinciale, soumettant la contrepartie à l’approbation de la même assemblée. - Loi n. 39 du 4 mai 1858 art. 15 [41].

Selon le Courrier du Brésil [42], le projet s’apparente à celui du Palais de familles porté en France par des sympathisants de la cause phalanstérienne [43]. Cependant, le projet de Luciano Lopes Pereira diffère assez nettement de celui de Victor Calland, en particulier dans le recrutement des futurs habitants ; le Palais de familles est destiné aux rentiers des classes moyennes alors que :

La Colonie Normale comprendra 400 familles, et, au lieu de borner son action à une ou plusieurs branches de l’industrie manufacturière, cette colonie embrassera le triple domaine : de l’agriculture, des manufactures et du commerce, toujours basé sur le principe de l’association et en vue de la prospérité des classes ouvrières. La Colonie Normale aura des maisons d’éducation pour les deux sexes, de premier et second degré, un théâtre, une église, et tous les établissemens qui se rattachent à un grand Palais de Famille : ce sera la Ville-Miniature. Elle sera probablement située sur la rivière du Jouquiá (Juquiá) qui se jette dans celle de l’Iguape. Les terres riveraines, d’après les meilleures informations, paraissent être d’une qualité très propice a [sic] toute sorte de culture. Les colons auront l’avantage de n’avoir pas besoin de mulets pour le transport des objets d’importation et d’exportation. […] La création de cette cité agricole n’aura pas pour effet simple de doter le pays d’une institution modèle qui sera promptement imitée sur les divers points de l’empire, mais elle amènera en un délai très court un surcroît de population de travailleurs dont le gérant même assure la venue. Le Dr. Lopes s’engage même à conduire a [sic] São Paulo 10,000 colons à raison de 60$000 [60 mil reis] par colon, moitié du prix ordinaire.

Le projet est soutenu par

le Dr. José Boniface de Andrade, héritier de l’une des plus hautes gloires du Brésil ; le Dr Ribas, professeur de l’école de droit et député, le Dr Nébias, député ; le Dr Martins Francisco, professeur de droit et député ; le Dr Lessa et le Dr Godoy, députés.

Ce haut patronage et la garantie de 2 % assurée par l’assemblée provinciale doivent selon le journal assurer une coopération de l’assemblée générale à hauteur de 5 %. En août 1858, Luciano Lopes Pereira annonce qu’il se retire à Rio de Janeiro afin de « mener à bien la mission de colonisation [...] commencé[e] dans cette province » [44].
Au début de l’année 1859, il tente d’éditer un hebdomadaire, O verdadeiro credito rural, commercial e industrial dont l’objet est de promouvoir la science sociale en général sous l’angle du crédit [45]. Il en est le rédacteur principal et propriétaire. Le siège est établi l’adresse de sa consultation homéopathique, 40 rua das Violas à Rio de Janeiro. Un seul numéro semble paraître. L’objet de ce numéro est d’annoncer la fondation d’une nouvelle compagnie de crédit par action destinée à financer les projets de colonisation et de voies de circulation desquelles dépend la colonisation [46].
Ce projet de colonisation ne paraît pas aboutir.

En novembre 1859, il devient président de la Sociedade portugueza de benificencia [47]. En 1860 [48], il épouse Marcelina de Oliveira Gondret née le 16 avril 1841 à Porto Alegre, fille d’un natif de Carcassonne, Antoine Gondret. Luciano Lopes Pereira décède peu de temps après et celle-ci se remarie en 1875 avec un ancien officier confédéré exilé au Brésil après la guerre de Sécession.