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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Ledoux, Claude Mathias
Article mis en ligne le 4 mai 2020
dernière modification le 27 mai 2020

par Desmars, Bernard

Né le 24 février 1820 à Besançon (Doubs), décédé le 22 septembre 1890 à Besançon. Potier d’étain, marchand quincaillier, puis négociant. Membre du groupe phalanstérien de Besançon dès les années 1840, membre de la Société bisontine de capitalisation ; correspondant de l’École sociétaire à Besançon des années 1850 aux années 1870, abonné à La Science sociale, puis au Bulletin du mouvement social  ; membre de la Ligue du progrès social, abonné au Devoir et à La Rénovation dans les années 1880. Républicain et libre penseur.

Claude Mathias Ledoux est le fils d’un potier d’étain qui fabrique des ustensiles de cuisine en métal. Lui-même exerce ce métier – il est parfois qualifié aussi de fondeur. D’après l’un de ses amis qui prononce un discours sur sa tombe, il aurait travaillé quelque temps à Paris dans les années 1840 :

Simple ouvrier, presque sans ressources, il sut par un travail opiniâtre et une bonne conduite se créer une certaine aisance dans ce grand tourbillon parisien.

Fouriériste et républicain

D’après ce même ami, il aurait quitté la capitale en 1848 pour s’installer à Besançon [1]. Cependant, on trouve en 1846 son nom sur une liste de souscripteurs bisontins d’une « médaille à offrir à Eugène Sue, défenseur des classes sacrifiées et promoteur de l’organisation du travail » [2] ; et l’année suivante, il participe au banquet organisé à Besançon pour l’anniversaire de la naissance de Fourier, le 7 avril 1847, aux côtés d’Hippolyte Renaud. S’exprimant comme « ouvrier phalanstérien », il porte un toast « à l’organisation du travail » [3]. Il est sur la liste des électeurs de Besançon en 1848.

En 1850, Just Muiron envoie au centre sociétaire une liste de « renteurs », c’est-à-dire de disciples de Fourier qui se sont engagés à verser régulièrement, en général chaque trimestre, une somme d’argent au mouvement fouriériste afin de financer son fonctionnement. Ledoux y figure pour la somme de 3 francs [4].

Il aurait été menacé de poursuites au lendemain du coup d’État du 2 décembre 1851 en raison de l’ardeur de ses convictions républicaines et n’aurait dû « son salut qu’à l’intervention de quelques hauts fonctionnaires politiques » [5]. Il se marie en 1852 avec Henriette Marie Sarrazin, « demoiselle de magasin », née d’un père inconnu. Le couple a trois enfants, Victor Eugène né en 1853, Louise Victorine en 1856 et Jules Albert en 1864. Sur ces actes d’état civil, les recensements et les listes électorales, il figure encore en tant que potier d’étain. À partir du milieu des années 1860, il est qualifié de marchand potier d’étain ou de marchand quincaillier.

Il commande en 1853 un ouvrage d’Alphonse Toussenel, peut-être L’Esprit des bêtes. Le monde des oiseaux dont la parution commence cette même année [6]. Il devient alors le principal animateur du groupe fouriériste de Besançon. Il s’occupe de collecter les « rentes » de ses condisciples locaux, même si, observe-t-il en 1854,

malheureusement, le nombre des renteurs diminue toujours et on me fait des observations sur une foule de choses relatives aux dépenses […] un assez grand nombre de ceux qui nous ont retiré leur concours prétendent que l’on aurait pu depuis longtemps se restreindre sur beaucoup de choses […] ; il faut dire aussi que les temps sont durs et que la gêne où l’on se trouve presque tous a fait naître des objections [7].

Ce rôle de correspondant nous permet de mieux connaître ses convictions personnelles, même si, dans les lettres qu’il adresse à ses condisciples parisiens, il prétend parler au nom du groupe fouriériste de Besançon.

Le Texas, vu de Besançon

Début mai 1854, Victor Considerant publie Au Texas, dans lequel il fait le récit de son voyage aux États-Unis et propose à ses amis d’y installer un « champ d’asile » ouvert aux expérimentations sociales. Deux mois plus tard, Ledoux écrit à la direction parisienne du mouvement fouriériste car il a « bien des questions relatives à la proposition de V. Considerant » et à l’organisation de cette « grande entreprise », dont il souhaite qu’elle s’appuie, de façon décentralisée, sur les disciples de l’École :

Je crois qu’il serait bon d’organiser dans chaque groupe phalanstérien ou dans les principales villes, une commission chargée de prendre des renseignements sur ceux qui seraient disposés à partir. Cette commission serait chargée de transmettre les instructions nécessaires et indispensables aux émigrants. Inutile de dire que le travail de ces commissions sera pur dévouement sans aucune rétribution. Il ne faut pas se le dissimuler, c’est une rude entreprise que la fondation d’une colonie dans un pays magnifique, il est vrai, mais si loin et en conséquence coûteuse pour transporter les individus, les bagages et instruments de travail, etc.

Il demande aussi que l’on prenne en compte les expériences en cours, celle des Icariens et l’Union agricole de Saint-Denis-du-Sig, dont le conseil d’administration a compris plusieurs de ses amis lorsqu’il a siégé à Besançon de 1847 à 1851.

On nous a assuré que les communistes de Cabet ont échoué au Texas et qu’ils sont allés s’établir dans l’Ilinois [sic]. Il paraît qu’ils n’ont pu s’acclimater, ou est-ce une autre cause qui les aura obligés d’abandonner un si beau pays ? Considerant ne dit pas un mot à ce sujet.

Il faudrait consulter les fondateurs de la colonie du Sig afin de ne pas tomber dans les mêmes fautes ; il paraît que cette colonie ne va pas très bien, qu’elle serait bientôt perdue pour l’idée, si les phalanstériens ne font pas un effort suprême pour la sauver ; on a beaucoup dépensé d’argent dans cette entreprise.

Il souhaite une nouvelle « édition à bon marché » de la brochure de Considerant, qui « se placerait bien » :

il faudrait y joindre les statuts et indiquer la marche à suivre pour se faire accepter, soit comme colon associé ou isolé, quel est le minimum d’action ou la somme d’argent qu’il fait pour faire partie de la colonie, soit comme associé ou autrement ; le temps qu’il faut pour faire ce voyage, la saison où l’on doit préférablement s’embarquer, si ce sont les agences qui se chargent de faire transporter les individus, les bagages, les outils, etc. Ou si c’est à chaque individu de s’en charger ; combien cela peut coûter à peu près, enfin une foule des détails très utiles et que l’on désire connaître avant d’aller si loin. Il faut bien vous renseigner sur ces questions importantes afin de nous les transmettre, […] en les consignant dans une brochure ou dans une lettre. […]

Je crois que, pour que la colonie prospère, il faudrait exiger des émigrants qu’ils soient actionnaires, qu’ils versent une somme fixé par vous, représentant une ou plusieurs actions ; de cette manière ils seront intéressés à la prospérité de l’entreprise ; dans les débuts il faudra des agriculteurs, vignerons, jardiniers ; comme je crois qu’ils ne sont pas nombreux chez les phalanstériens, on pourra s’adresser aux commissions instituées dans chaque groupe qui ne manqueront pas de connaître des hommes dont on est sûr de la moralité ; s’ils n’ont pas le minimum exigé, on pourra les admettre et prendre des engagements avec eux selon qu’on jugera leur présence utile autant que possible qu’ils fassent le voyage à leurs frais.

Parlant au nom de ses amis phalanstériens de Besançon, il ajoute :

Le livre de notre ami Considerant nous a séduits ; le récit qu’il fait sur le climat, la richesse, la beauté du Texas, la réunion d’hommes sympathiques unis par la même foi sur une terre libre, suffit pour ébranler les plus irrésolus ; mais nous ne pouvons pas partir dans les débuts n’étant pas agriculteurs, ayant femmes et enfants ; nous attendrons que la phase agricole soit commencée pour venir y prendre part et exercer nos professions industrielles, nous avons déjà des notions en agriculture, le travail parcelaire [sic] et par groupes rendra la chose facile, l’important c’est la bonne direction. Quand nous partirons nous emporterons tout ce que nous possédons [8].

Finalement, Ledoux reste à Besançon comme ses amis bisontins.

Pour l’essai sociétaire

Cet intérêt pour le projet texan le montre : Ledoux est un partisan de la réalisation sociétaire. Aussi, il fait partie des actionnaires de la Société bisontine de capitalisation fondée au début des années 1860 par Just Muiron, afin, grâce aux versements réguliers de ses membres, de réunir un capital pouvant contribuer au financement d’un essai phalanstérien. Et quand, vers la fin des années 1860 et au début des années 1870, des débats opposent d’un côté les partisans du garantisme qui veulent faire évoluer la société grâce à la création de coopératives et de mutuelles, et de l’autre côté les promoteurs d’une expérimentation sociétaire qui conduirait plus vite vers l’Harmonie, Ledoux se situe du côté des seconds.

Il est bien à désirer que l’on se mette d’accord pour agir, pour réaliser progressivement ; sans faire de l’opposition à ceux de nos amis qui veulent se lancer dans le garantisme, nous croyons que cette phase du mouvement social peut être abrégée, franchie ou supprimée, comme Fourier l’affirme.

[…] Le garantisme ne peut donner que de très faibles résultats et d’une lenteur désespérante, Fourier le savait bien. Tandis que l’application progressive du régime sériaire, du mode sociétaire donnera promptement des résultats merveilleux et ralliera à la doctrine phalanstérienne les plus incrédules [9].

Cependant la Société bisontine de capitalisation, au bout d’une dizaine d’années, ne réunit que 1343,40 francs, la contribution personnelle de Ledoux s’élevant à 70,40 francs. Ses membres prononcent sa dissolution en 1872 et remettent son capital à Adolphe Jouanne, le fondateur et dirigeant de la Maison rurale d’expérimentation sociétaire, située à Ry, près de Rouen [10].

Ledoux est cependant circonspect :

Je ne sais si on doit fonder quelque espoir sur la Maison rurale du Docteur Jouanne, ses Bulletins ne donnent pas beaucoup d’explications ni de détails de ce qu’il fait à Ry. On regrette qu’il ait parlé dans ses Bulletins du ralliement à l’autorité religieuse et des dogmes. Je lui ai écrit à ce sujet, il m’a répondu que dans le pays on cherche à le faire passer pour un homme sans religion et c’est pour ce motif qu’il a parlé de la question religieuse. Nous espérons toujours qu’un de nos amis de Paris se décidera à aller à Ry pour se rendre compte de cette entreprise et donner à nos amis, dans le Bulletin du mouvement social, les explications et les appréciations que nous désirons si vivement connaître depuis si longtemps [11].

Correspondant de l’École sociétaire et libre penseur

Dans les années 1860 et 1870, Ledoux reste « le plus actif et le plus zélé des phalanstériens bisontins », selon son condisciple Benoît Brun [12]. C’est en effet lui qui envoie à Paris les abonnements à La Science sociale, puis au Bulletin du mouvement social à partir de 1872 (sauf ceux de Just Muiron, qui contacte directement ses condisciples parisiens). Quand des « primes » sont envoyées gratuitement aux abonnés qui le demandent – L’Association d’Étienne Barat en 1876 – c’est lui qui les réceptionne avant de les remettre à ses « amis ». Si certains abonnés n’ont pas reçu un exemplaire de leur revue, il se charge de le signaler auprès de la direction. Il intervient aussi pour faire cesser l’envoi du périodique à un condisciple décédé [13]. Cependant, le nombre d’abonnés diminue au fil des années : en septembre 1872, Ledoux envoie dix noms de personnes qui prévoient de s’abonner au futur Bulletin, alors en préparation [14] ; en janvier 1873, ils sont finalement onze à vouloir recevoir le Bulletin du mouvement social  ; mais en 1879, il n’y en a plus que cinq à renouveler leur abonnement [15]. D’ailleurs, au cours des années 1870, l’activité du groupe phalanstérien de Besançon décline très nettement. En janvier 1877, Ledoux admet n’avoir « pas vu depuis longtemps les autres abonnés de notre ville » [16]. La librairie des sciences sociales se trouve à la fin des années 1870 dans une situation très précaire ; afin d’assurer sa survie, ses dirigeants lancent un appel à leurs condisciples afin qu’ils s’engagent à verser une « subvention ». Ledoux promet de verser 6 francs pendant trois années, ce qu’il fait en 1880 et 1881 ; en 1882, il fait partie des nombreux retardataires [17].

Se présentant comme négociant à la fin des années 1860 et dans les années 1870 dans sa correspondance avec l’École sociétaire, Ledoux abandonne son activité professionnelle dans les années 1880. Tout en gardant son domicile bisontin, il réside parfois à Beure, une commune située à quelques kilomètres de Besançon. Il y fonde une société de libre pensée [18]. Il est abonné au Devoir, le périodique fondé par Jean-Baptiste Godin, le fondateur du Familistère de Guise [19]. Il rejoint la Ligue du progrès social, créée en 1885-1886 autour d’Étienne Barat, d’Hippolyte Destrem et de Jenny Fumet [20]. Il s’abonne à la revue publiée par ce groupe à partir de 1888, La Rénovation. Peu avant sa mort, il renouvelle son abonnement [21]. Le périodique fouriériste signale le décès de Ledoux en reproduisant une nécrologie parue dans Le Petit Comtois. [22]

Lors de ses obsèques, civiles, le député Charles Beauquier fait un discours, « comme ami, comme républicain et comme libre penseur ».

j’aimais en lui cette ardeur de propagande toujours vivante, jamais abattue, cette foi de néophyte qu’il conserva même dans sa vieillesse, jusqu’à ses derniers jours, et qui lui faisait concevoir, comme facilement réalisables, les réformes les plus profondes de l’ordre social.

[…] Qui de nous n’a été témoin de son zèle de prosélytisme en faveur des doctrines phalanstériennes ? Il cherchait à les propager non seulement par la parole, par la lecture des ouvrages de l’École, mais encore par l’action. Ledoux, malgré ses modiques ressources, a souscrit à tous les essais qui ont été faits pour mettre en pratique les idées de Fourrier [sic] [23].

Sa femme et sa fille restent en relation avec l’École sociétaire pendant plusieurs années.