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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Tamisier, (François Laurent) Alphonse
Article mis en ligne le 1er avril 2021
dernière modification le 12 avril 2021

par Desmars, Bernard, Sosnowski, Jean-Claude

Né le 22 janvier 1809 à Lons-le-Saunier, décédé le 21 mai 1880 à Paris, 6e arrondissement (Seine). Polytechnicien, officier d’artillerie, député sous la Deuxième République, ingénieur dans une compagnie de chemins de fer sous le Second Empire. Représentant à l’Assemblée nationale (1871-1876), sénateur (1876-1880), conseiller général du Jura et conseiller municipal de Lons-le-Saunier.

Le père d’Alphonse Tamisier, Jean-François Tamisier (1774-1831) s’engage très jeune dans les armées révolutionnaires qu’il rejoint dès 1792. Il exerce ensuite la profession d’avoué, mais, resté fidèle aux principes républicains, « il devient suspect

(Source : Sénat)

au gouvernement impérial » [1]. Pendant les Cent-Jours, il est maire de Lons-le-Saunier. La monarchie rétablie, il est frappé par la proscription et doit s’exiler quelque temps. De retour en France, il est « littéralement […] traqué par le gouvernement de la Restauration, […] incessamment tracassé, inquiété, menacé même » ; cette période marque profondément Alphonse, qui éprouve une très grande admiration pour son père [2]. Quant à sa mère, elle est, écrit Charles Sauria en 1880 dans la nécrologie de son ami, « une femme lettrée, une femme dont l’esprit un peu poétique ne faisait qu’ajouter à l’élévation du cœur ». « De bonne heure, elle avait préparé le cœur de son fils à toutes les grandes, à toutes les nobles inspirations » [3].

Polytechnicien, spécialiste de l’artillerie et fouriériste

Alphonse Tamisier fait ses études au collège de Poligny, puis à celui de Lons-le-Saunier, et enfin à celui de Besançon, où il devient l’ami de Victor Considerant [4] ; il entre à l’École polytechnique à l’automne 1828. En juillet 1830, il participe aux journées révolutionnaires parisiennes ; cet engagement lui vaut, ainsi qu’à son camarade Joseph Goy, l’hommage public de la garde nationale et d’habitants de Lons-le-Saunier en août suivant ; les participants y louent le comportent de leurs « jeunes compatriotes qui ont honoré le pays en alliant le courage aux talents militaires ». À la fin du banquet, plusieurs convives prennent la parole. Alphonse Tamisier prononce lui-même quelques mots, et, « cédant à l’invitation de ses concitoyens, [il] entonne La Parisienne de Casimir Delavigne » [5]. Son père, redevenu maire de Lons-le-Saunier aux lendemains de la révolution de Juillet exerce cette fonction jusqu’à son décès en 1831 [6].

Après l’École polytechnique, Tamisier part à l’École d’artillerie à Metz, où il retrouve Victor Considerant, élève à l’École du génie. Il est déjà fouriériste et publie dans Le Phalanstère trois articles en 1832 : le premier dénonce l’« anarchie industrielle » et les souffrances des travailleurs ; grâce à la révolution de Juillet, écrit Tamisier, « la liberté est une conquête désormais assurée », mais « malgré les institutions libérales, le malaise des populations devient de jour en jour insupportable » ; il faut donc sortir du « champ infécond de la politique », s’occuper « sans relâche d’économie agricole, domestique et manufacturière » et « reconnaître le droit au travail » ; ainsi, bientôt, « on verra succéder à la misère et à l’immoralité une prospérité toujours croissante, qui s’étendra à toutes les classes et à tous les individus, quelle que soit l’inégalité des hommes » [7].

Le deuxième article présente le Journal des connaissances utiles publié par Émile de Girardin et la Société nationale pour l’émancipation intellectuelle ; il souligne l’objectif « éminemment philanthropique » de la publication, dont les rédacteurs « placés en dehors du terrain de la politique […], ne s’attachent qu’à hâter les progrès de l’agriculture et au bien-être du peuple » ; cependant, la Société nationale pour l’émancipation intellectuelle ne peut véritablement atteindre son but ; pour cela, il faudrait en effet qu’elle s’engage « dans la voie de la réalisation » en pratiquant « l’association domestique agricole et manufacturière » [8]. Le troisième article insiste sur l’importance de la commune et regrette que la loi municipale de 1831 n’ait pas eu plus d’ampleur.

Chaque commune, tout en restant soumise aux lois établies, ne pourrait-elle pas arranger ses affaires elle-même et réaliser dans son sein une multitude d’améliorations importantes ? C’est une erreur puérile de tout espérer, de tout attendre du gouvernement [9].

En 1834, au lendemain de la deuxième révolte des canuts à Lyon, il critique la répression militaire ; ses propos lui valent d’être dénoncé comme républicain. Il adresse alors une longue lettre à ses supérieurs pour récuser toute sympathie envers les insurgés ; il indique être fouriériste, recherchant des « combinaisons industrielles » [10].

Le dernier numéro du Phalanstère paraît en février 1834. Mais rapidement Victor Considerant envisage la création d’un nouveau périodique. Son projet se précise en 1835. En octobre de cette année, Alphonse Tamisier lui écrit depuis Lons-le-Saunier afin de lui indiquer des noms de personnes qui pourraient être intéressées par le futur organe de l’École sociétaire, tout d’abord dans son Jura natal. Mais

la ville que j’habite est furieusement bête et rétrograde ; pas un jeune homme que l’on soit certain d’amener à nos idées et des vieillards effrayés par les évolutions […] se défient de tout ce qui leur serait apporté par la jeunesse.

La presse locale n’est pas plus accueillante : à Lons-le-Saunier, on lit un mauvais journal servile et vendu au pouvoir, recevant le mot d’ordre de la préfecture, adulant tout ce qui a une fonction de gouvernement ou de la fortune, accueillant les idées nouvelles avec ce grave dédain qui irrite ; un journal enfin dans les colonnes duquel on craindrait de professer la science de Fourier.

Il n’y a rien à attendre de ce côté à moins d’un heureux hasard.

Cependant, Tamisier signale l’activité d’une femme de Lons-le-Saunier :

une seule personne travaille ici de concert avec nous et c’est une dame ; elle se nomme Mme Gruisard, pleine de dévouement et pourvue de tout ce qui est nécessaire pour rendre le mouvement utile, il ne lui manque que de la fortune et un théâtre plus digne d’elle.

Il place d’ailleurs Mme Gruisard en tête d’une liste de 72 « personnes auxquelles Victor Considerant peut adresser la Phalange ». On y compte 32 officiers en activité (surtout des sous-lieutenants, lieutenants et quelques capitaines, pour beaucoup en garnison à Strasbourg, comme Tamisier), 3 officiers en retraite et de nombreux Francs-Comtois (26 du Jura, 5 de l’Ain, 1 du Doubs, 1 de la Haute-Saône). Ces 72 noms sont répartis en trois catégories : « Certains » (21 noms), « Probables » (19) et « Très douteux » (32) [11]. En 1836, Tamisier figure sur une liste des militants fouriéristes de Strasbourg où il est en garnison [12].

Dissidence et instabilité

Poème de Tamisier dans Correspondance harmonienne

Quand des fouriéristes contestent l’autorité de Victor Considerant sur le mouvement fouriériste et désirent constituer une organisation dans laquelle les disciples de province seraient mieux représentés, ils approchent Alphonse Tamisier [13]. Cependant, celui-ci assure Victor Considerant de son soutien. En 1837, on retrouve son nom parmi les abonnés à La Phalange devant recevoir les « gravures de Chartres » de César Daly [14]. Mais peu après, il collabore à la Correspondance harmonienne, une feuille publiée par des fouriéristes dissidents à laquelle il adresse des lettres ainsi qu’un poème. Il est inscrit dans l’Almanach social pour l’année 1840 comme membre correspondant de l’Union harmonienne à Strasbourg [15].

Alphonse Tamisier est promu capitaine en 1838. La même année, sa soeur Laurence épouse l’un de ses amis, également officier et fouriériste, Jean-Baptiste Victor Danlion. Lui-même entre alors dans une période instable qui se prolonge pendant plusieurs années. Il entretient une liaison avec Virginie Gruisard, épouse d’un pharmacien de Lons-le-Saunier, dont, on l’a vu plus haut, il a fait l’éloge en 1835 auprès de Considerant pour son engagement au service de la cause sociétaire. Un enfant naît en décembre 1838 à Marseille – Tamisier est alors en garnison à Embrun (Hautes-Alpes) – qui est reconnu par son père, mais dont le nom de la mère n’est pas indiqué dans l’acte de naissance ; ce garçon meurt quatre mois plus tard à Embrun. Puis, en septembre 1840, à la mairie de Saint-Étienne (Loire), Alphonse Tamisier déclare la naissance d’une fille, Lucile, dont il dit être le père et dont le nom de la mère lui est inconnu, déclare-t-il. En quelques années, Tamisier change à plusieurs reprises de garnison ; parallèlement, son état de santé se dégrade très fortement et il obtient plusieurs congés pour maladie. En 1841, sa mère écrit à Victor Considerant, afin qu’il ramène son fils à plus de stabilité :

c’est un jeune homme qui, avec toutes les qualités de cœur, ne peut trouver le repos ou le bonheur nulle part ; depuis qu’il est militaire, il n’a fait que demandes et démarches toutes opposées à ses intérêts et à son repos. Lui-même quand il veut raisonner avec calme le reconnaît. Vous le savez, tous ses amis le savent, une fatale passion l’a dévoré pendant longtemps, il a demandé pour la satisfaire congés sur congés (en demi-solde), [il a] voyagé, il est obéré à tel point que nous le croyons dans des embarras très sérieux [16].

Au début des années 1840, Alphonse Tamisier est séparé de Virginie Gruizard. À la même époque, il s’éloigne des fouriéristes dissidents. Il est mentionné sur la liste des « rédacteurs habituels de la Phalange » en 1841 [17]. L’organe fouriériste reproduit en janvier et février des articles parus dans le Journal de Saint-Étienne [18], périodique qui reconnaît devoir « plus d’une communication remarquable » à Alphonse Tamisier [19]. Ces articles, qui soulignent les inconvénients de l’agriculture morcelée et de l’habitat isolé, montrent les avantages d’une association de trois cents familles.

Officier à Vincennes

Il est nommé en 1842 commandant de l’École de tir de Vincennes. Il se met en retrait du mouvement fouriériste. À Victor Considerant qui regrette de ne plus le voir, il explique qu’il lui garde son amitié et qu’il conserve toute sa sympathie pour les idées phalanstériennes :

Il est bien clair que je serais toujours fourré à La Phalange, si j’étais libre ; est-ce que tous mes désirs, toutes mes idées ne me portent pas près de toi et près de nos amis que j’aime bien quoi qu’il n’y paraisse guère.

On vient de me confier la direction d’expériences importantes qui me prennent la plus grande part de mon temps. Je présage de ne pouvoir continuer mon travail à notre grande affaire, et d’être obligé de m’escrimer sur les tubes en fer. […] Il faudrait plaindre en moi une Victime de la CIVILISATION [20].

Il travaille sur les armes et contribue au perfectionnement du canon rayé. Il est alors « regardé comme un des officiers les plus distingués de son arme » [21]. Il est fait chevalier de la Légion d’honneur en 1845. Sollicité par la direction de l’École sociétaire qui souhaite insérer un article sur ses recherches dans l’Almanach phalanstérien, il répond à Allyre Bureau :

Je me suis fait une loi de garder la plus grande réserve au sujet des expériences que je dirige à Vincennes. Il est à mon avis important que la France soit la première nation qui ait en son pouvoir les armes nouvelles qui ont été découvertes et perfectionnées dans ces derniers temps. Chargé par le comité d’artillerie d’étudier ces armes, je manquerais à un devoir de premier ordre, si je livrais à la publicité des résultats que personne ne peut connaître aussi bien que moi. Il importe peu que l’Almanach phalanstérien ait ou n’ait pas un article sur ce sujet qui n’a qu’un rapport très éloigné avec les questions d’harmonie, quelles que soient les intentions du comité de l’Almanach à cet égard, je ne dois pas me départir de ma ligne de conduite, il m’est impossible de faire aucun article sur le sujet que tu me proposes de traiter.

Mon plus grand désir serait de servir notre grande cause. La nécessité m’oblige à d’autres travaux. Il faut que je tâche au moins de les rendre utile à mon pays, à ce pays dont la force ne saurait être trop grande, puisque la destinée du monde est liée à celle de la France [22].

Tout en faisant l’éloge de La Démocratie pacifique – « le mieux rédigé de tous les journaux […] le seul que je lise avec plaisir » – et du « zèle que déploient les rédacteurs », Tamisier souhaite, dans une lettre adressée à François Cantagrel que l’on passe rapidement à la réalisation :

Le temps des paroles, des livres, des articles, me semble passé. […] Il faut passer au fait. Et le fait retrempera et développera l’idée. L’expérience en apprendra plus en quelques années que tous les efforts des théoriciens marchant à vide depuis 15 ans […]

Ou vous entrerez dans la pratique, ou vous vous effacerez petit à petit dans la mêlée des opinions ou vous tomberez dans les [mot illisible] inséparables de la théorie pure, ou vous laisserez l’idée mourir faute de corps [23].

Il rédige un mémoire qui est lu par Victor Considerant lors de la treizième session du congrès scientifique qui se tient à Reims en septembre 1845. Le texte, qui n’est pas inséré dans les actes du congrès publiés en 1846, est repris dans une brochure intitulée Coup d’œil sur la théorie des fonctions, dont une deuxième édition paraît en 1846 à la Librairie sociétaire.

De la politique aux chemins de fer

Alphonse Tamisier est élu en avril 1848 représentant du Jura à l’Assemblée constituante sur la liste de l’Union républicaine, menée par Jules Grévy (son nom est aussi présent sur d’autres listes) ; il siège à gauche et vote notamment pour le droit

(Source : Histoire d’un crime)

au travail et contre le projet d’interdiction des clubs. Réélu en mai 1849, il soutient la proposition de loi déposée par Considerant et Ledru-Rollin pour mettre en accusation le président de la République et le gouvernement, à la suite de l’envoi de troupes à Rome contre la jeune république. Il fait partie des députés qui tentent de s’opposer au coup d’État du 2 décembre 1851 et qui se rassemblent à la mairie du Xe arrondissement pour prononcer la déchéance du président de la République ; il est adjoint au général Oudinot pour organiser la résistance, en vain. Il est « jeté à Mazas » où il passe dix-sept jours [24] ; puis, à sa sortie de prison, refusant de servir le nouveau chef de l’État, il renonce à l’armée, malgré les sollicitations du pouvoir : selon l’un de ses amis,

on avait multiplié à son égard les caresses, les séductions, les concessions mêmes. L’homme du 2 décembre était intervenu directement pour s’attacher l’officier d’artillerie dont il voulait occuper la haute capacité [25].

Même si certaines sources signalent son départ pour la Belgique [26], il semble bien être resté en France, en travaillant dans le secteur privé, d’abord à Alençon, dans une entreprise dirigée par un Anglais – il aurait été dangereux, affirme-t-on lors de ses obsèques, à un employeur français de le recruter [27]. Puis il est employé à la construction de voies ferrées dans plusieurs départements (la Sarthe, l’Orne, la Corrèze et le Lot) au service notamment du Grand Central, puis de la compagnie d’Orléans [28]. Lui-même écrit en 1871 :

J’ai travaillé quinze ans dans les chemins de fer, j’ai fait exécuter des travaux de toutes sortes, j’ai suivi un grand nombre d’affaires contentieuses délicates, pour la compagne des chemins de fer d’Orléans, où j’ai obtenu, après avoir passé par les grades inférieurs, le titre d’ingénieur de la Compagnie [29].

En mai 1857, il dépose une demande de brevet d’invention pour « un procédé ayant pour objet d’augmenter les effets de la poudre dans les mines, dit procédé de la surcharge » ; il demeure alors à Brive-la-Gaillarde [30]. Lors du mariage de sa fille, en 1862, il réside à Périgueux en tant que « sous-ingénieur au réseau d’Orléans » ; il y est toujours lors du recensement de 1866. Deux ans plus tard, il quitte son emploi et s’installe dans le Jura, où il contribue avec plusieurs républicains (Jules Grévy, Alphonse Jobez, Max Buchon) à la fondation du périodique Le Jura, qui présente ainsi ses objectifs :

Nous voudrions étendre et fortifier ce mouvement qui a la liberté pour but et pour moyen. En joignant à la fermeté des principes et des opinions la modération du langage, nous voudrions attirer à notre cause le plus grand nombre possible d’adhérents et les grouper autour d’un centre commun, […] à quelque nuance libérale qu’ils appartiennent [31].

Ce journal publie en juin 1869 un article du fouriériste Jules Duval, qui fait notamment l’éloge de la société de secours mutuels de son condisciple Jean Leclaire, sans que l’on sache si Tamisier a joué un rôle dans l’insertion de ce texte [32].

Cependant, d’après les témoignages laissés par ses amis, il mène une vie discrète et solitaire, s’intéressant aux travaux scientifiques et à l’astronomie :

Il vivait seul, livré à l’étude, estimé et aimé de tous, mais évitant toute relation dans la crainte que ses opinions ne puissent nuire à ceux qui l’auraient accueilli [33].

Victor Considerant de retour en France au printemps 1869, effectue pendant l’automne un séjour dans le Jura où il rend visite à sa famille et à ses amis, dont Alphonse Tamisier, qui lui écrit auparavant :

Quand tu as quitté la France pour l’Amérique, il y a bien des années, j’ai vu dans ce départ un très mauvais présage et pour le pays et pour ton vieil ami en particulier. Aujourd’hui, il me semble que ton retour dans la patrie est un bon signe pour elle et pour nous tous. C’est un bonheur bien grand que de te revoir dans notre cher Jura après tant de fatigues et de douleurs qui ne t’ont pas ôté, si j’en juge par tes lettres, ta bonne humeur [34].

Conseiller municipal, conseiller général, député et sénateur

Au début de la guerre franco-prussienne de 1870-1871, Tamisier participe à l’organisation d’un corps de volontaires dans le Jura. Après la chute de l’Empire, il se rend à Paris où le gouvernement de la Défense nationale le nomme commandant en chef des gardes nationales de la Seine. Il démissionne après la journée insurrectionnelle du 31 octobre. Mais il continue à servir dans l’artillerie jusqu’à la fin du siège. Il est promu officier de la Légion d’honneur par décret du 7 janvier 1871.

Lors des élections de février 1871, il est désigné par les électeurs du Jura pour siéger à l’Assemblée nationale. Peu après, il est aussi élu membre du conseil municipal de Lons-le-Saunier, puis membre du conseil général du Jura en octobre 1871 comme représentant du canton de Clairvaux. Dans sa profession de foi, il se présente comme faisant partie des « conservateurs républicains », attachés à maintenir le régime républicain menacé par la majorité monarchiste à l’Assemblée nationale, et soutenant Adolphe Thiers, « un sage président de la République » [35]. Il se prévaut alors de « l’opinion démocratique libérale » [36].

Il préside l’assemblée départementale de 1871 à 1873. En 1872, tout en se défendant de faire de la politique, il inaugure la session par un éloge de Thiers. Même s’il est d’une opinion républicaine très modérée, il soutient Wladimir Gagneur, lors d’une élection législative partielle en avril 1873 dans le Jura ; certes, « c’est un radical », mais il est « le candidat de la démocratie » et de la République [37].

En 1876, il se présente aux élections sénatoriales ; lui et l’autre candidat républicain dans le Jura déclarent être « des hommes franchement attachés à la République constitutionnelle » ; ils affirment que la désignation de monarchistes aurait pour conséquence le retour des tensions et des troubles en France [38] ; il est effectivement élu et reconduit dans ses fonctions en 1879. Son mandat au Conseil général est également renouvelé en 1877. Dans sa profession de foi, il se présente comme « un républicain éprouvé et […] aussi modéré que résolu », se distinguant « des radicaux, c’est-à-dire des hommes trop bouillants dans leurs opinions carrées » [39]. Dans ces différentes fonctions, il se montre attentif à la lutte contre le phylloxéra, à la défense de la production fromagère, ainsi qu’à l’instruction publique et au développement du réseau des routes départementales.

Il continue à correspondre avec Victor Considerant : en 1878, celui-ci lui demande d’intervenir auprès du ministère de l’Intérieur en faveur de l’époux de sa « nièce », Sosthène Auguste Desprez, afin que ce conseiller de préfecture dans l’Oise obtienne une promotion et soit nommé secrétaire de préfecture ou sous-préfet dans la Somme ou dans un des départements du Nord de la France [40].

Il décède à Paris. Son corps est ramené en train à Lons-le-Saunier où ont lieu des obsèques civiles, conformément à sa volonté. Le cortège funéraire se forme à la gare, entouré d’« un fort détachement de soldats », de « la compagnie des sapeurs-pompiers », de « la musique municipale accompagnant de ses modulations douces et voilées les sourds gémissements des tambours » ; la Société de Tir du Jura et la Société de Secours mutuels des travailleurs déposent chacune une couronne, ainsi que la municipalité de Lons-le-Saunier. Les cordons du poêle sont tenus par un représentant du président de la République, le préfet du Jura, un député et le receveur général du Jura. Le « convoi, moins funéraire que triomphal » se rend au cimetière au milieu d’une foule très importante :

le nombre des personnes qui suivaient le corps et l’immense concours du peuple de la ville et de tout le département qui se pressait sur le passage du convoi, témoignaient assez que toutes les classes de la société jurassienne se trouvaient réunies et comme confondues dans le même deuil et que personne ne restait indifférent à la perte considérable qu’ont faite en un malheureux jour la ville, le département, la France et la République [41].

Trois discours sont prononcés sur la tombe. L’un de Lelièvre, député du Jura et président du Conseil général, insiste sur l’homme, « modèle de désintéressement, de patriotisme », au « caractère ferme, loyal », ayant mené « une vie de dévouement à la patrie, à la science, à la liberté, au progrès ». Puis, Jabouille, aussi député du Jura apporte quelques informations biographiques sur le défunt, sans cependant mentionner sa participation au mouvement phalanstérien, mais en insistant sur son engagement républicain et son action au service du Jura :

l’instruction publique, l’achèvement de nos routes départementales, de notre réseau vicinal, la création des chemins de fer de la montagne, le développement de notre industrie fromagère ont toujours trouvé en lui un défenseur éloquent et consciencieux.

Mais le maire de Lons-le-Saunier, qui annonce la prochaine attribution du nom du sénateur décédé à une rue de la ville, évoque peut-être son adhésion au fouriérisme, quand il présente Tamisier comme

partageant toutes les aspirations, épris de toutes les grandes idées que la révolution de 1830 avait fait éclore, accueillant avec enthousiasme le mouvement littéraire de cette époque, bercé quelquefois par les rêves décevants de son imagination, et toujours enflammé par les ardeurs d’un cœur généreux. Il devait, hélas, laisser bien des illusions aux buissons épineux du chemin de la vie [42].

Charles Sauria, ancien fouriériste devenu disciple d’Auguste Comte, rédige sa nécrologie, dans laquelle il écrit :

arrivé par l’ensemble de ses études scientifiques, mathématiques, astronomiques et balistiques au Positivisme, comme il aimait à me le dire dans nos conversations intimes des dernières années de sa vie, ce vieil ami n’en est pas moins resté attaché à certains principes de l’école fouriériste ; il fut toujours un des plus zélés partisans de l’association [43].