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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Gruizard-Jousserandot, (Marie) Virginie
Article mis en ligne le 1er avril 2021
dernière modification le 26 juin 2022

par Desmars, Bernard

Née le 13 avril 1804 à Marconay (Jura), décédée le 22 décembre 1875 à La Spezia (Italie). Fait partie des phalanstériens de Lons-le-Saunier.

Virginie Gruizard-Jousserandot est la fille née hors mariage d’Augustine Boullier, domestique chez Jean Simon Jousserandot, propriétaire à Marconay. Elle et son frère Louis-François, né en 1806, sont légitimés par le mariage de leur mère et de Jean Simon Jousserandot en 1809.

Elle se marie en 1819 – elle a alors à peine 16 ans – avec Joseph Étienne Gruizard, âgé de 24 ans, pharmacien à Lons-le-Saunier et fils d’un maître de poste de l’Isère. Un garçon naît en 1820.

Engagement fouriériste

En octobre 1835, Alphonse Tamisier souligne les conditions difficiles de la propagande fouriériste à Lons-le-Saunier, « une ville furieusement bête et rétrograde », avec des « vieillards […] se défiant de tout ce qui leur serait apporté par la jeunesse » et « un mauvais journal servile et vendu au pouvoir [dans les colonnes duquel] on craindrait de professer la science de Fourier ». Il ajoute :

Une seule personne travaille ici de concert avec nous et c’est une dame, pleine de dévouement et pourvue de tout ce qui est nécessaire pour rendre le mouvement utile, il ne lui manque que de la fortune et un théâtre plus digne d’elle.

Cette « dame » est Virginie Gruizard-Jousserandot. Tamisier la place en tête de la liste des abonnés « certains » au périodique que Victor Considerant envisage dès ce moment de créer [1].

En 1836, elle est en relation épistolaire avec la direction du mouvement fouriériste. Elle sollicite l’insertion dans La Phalange d’une « pièce de vers » qui

appartient à un jeune talent dont les premières inspirations promettent pour l’avenir ; à une jeune fille [très probablement Louise Crombach] d’autant plus étonnante qu’elle est sans fortune et ne doit rien à l’éducation ou du moins à ce que l’on est convenu d’appeler ainsi ; pauvre enfant du peuple obligé de subvenir par son travail manuel à l’existence d’un vieux père, à la sienne … le malheur a eu pour elle de cruels enseignements ! Oui elle a vu sa table sans pain, ainsi qu’elle vous l’a dit.

Elle ajoute :

Ce n’est point hélas ! non ce n’est point de la poésie, mais bien une effrayante vérité, et vous le savez, monsieur, cet exemple n’est malheureusement pas rare, même dans nos montagnes aux populations si pleines d’industrie, si sobres et si laborieuses.

Oh ! oui, que tous les échos répètent ce long cri de douleur qui retentit partout où s’agitent des hommes ! oui, sans vous lasser, répétez aux heureux de la terre, si toutefois la terre a des heureux ; dites comment la souffrance et la misère sont partout, dans notre société incohérente, le partage des classes les plus nombreuses ; comment au village l’homme laborieux qui travaille sans relâche sous le fouet de la nécessité plus inexorable que celui qui fait gémir l’esclave africain n’a pas même pour prix de tant de labeur un pain noir suffisant pour sa nombreuse famille ! et la misère encore pour l’ouvrier des cités qui, trop souvent cherche dans les excès du dimanche l’oubli des soucis dévorants et des privations de tous les jours ! et pourquoi n’ajouterais-je pas la misère du cœur pour ceux qui peuvent voir avec indifférence tant de tortures et tant de maux.

Pauvre, pauvre humanité ! vas-tu comprendre enfin cette voix qui te crie :

« Non Dieu n’a pas fait le mal, Dieu ne l’a pas voulu, Dieu a fait le nuage d’or au ciel, le serpolet des pelouses et le lys des vallées ! »

Non, monsieur, non les femmes ne resteront point étrangères à cette cause belle, grande et vraiment sainte. N’ai-je pas compris, moi humble et simple femme cette loi d’harmonie qui est la loi de Dieu.

Agréez, je vous prie, l’expression d’une estime et d’une admiration bien sincères.

Virginie Gruizard [2].

Elle s’efforce de recruter des disciples et mentionne plusieurs habitants de Lons-le-Saunier qui lui ont promis de contribuer au développement de l’École sociétaire [3].

Elle souscrit en 1837 pour 50 francs au crédit de 10 000 francs ouvert par l’École sociétaire pour faire des études sur la réalisation d’un phalanstère pour les enfants (ou phalanstérion). Elle écrit à Fourier :

À vous, Monsieur, qui savez mes convictions profondes, est-il besoin d’assurer que, plus tard, lors de la réalisation du projet, tout ce qu’il me sera possible, je le ferai, car, moi aussi, je veux apporter mon grain de sable à l’édifice [4].

Un habitant de Lons-le-Saunier, Jean-Baptiste Gendre de Mancy, lui consacre un poème, intitulé « À Mme V. Gruizard », dont voici les premiers vers :

Oh ! viens auprès de nous, la jeune désirée,
Viens, par le gai printemps et nos vœux attirée,
Viens avec ton regard et ton front gracieux !
Comme un bel envoyé de la sphère des cieux,
Qui sur ses ailes d’or mollement se balance,
Et des champs de l’éther tout radieux s’élance,
Et pour quelques instants de la part du seigneur,
Nous apporte ici-bas paix, amour et bonheur. [5]

Vers la fin 1837 ou en 1838, Virginie Gruizard quitte le foyer conjugal. En décembre 1838, elle accouche d’un fils à Marseille ; Alphonse Tamisier, dans l’acte de naissance, reconnaître être le père de l’enfant, prénommé Maurice Alphonse, mais tait le nom de la mère. Ce garçon décède à Embrun, où Tamisier est en garnison, un peu plus de trois mois plus tard. Les deux amants ont ensuite une fille, Lucie ou Lucile selon les actes, née à Saint-Étienne en septembre 1840. Là encore, le nom de la mère n’est pas mentionné. Virginie Gruizard aurait ensuite voulu revenir auprès de son mari, « qui ne voulut pas la recevoir », avant d’inciter son amant à s’installer à Paris [6]. Pendant plusieurs années, Alphonse Tamisier, selon sa famille, mène une vie instable, formulant régulièrement des demandes de changement de garnison, dépensant de l’argent jusqu’à connaître des problèmes financiers et souffrant de problèmes de santé. Cette même famille l’incite à quitter son amante ce qui semble être fait au début des années 1840 [7].
On ignore ce que Virginie Gruizard devient du début des années 1840. Elle n’est pas recensée à Lons-le-Saunier, où son mari réside jusqu’à son décès en 1858. Elle est absente à Périgueux en 1862 lors du mariage de la fille Lucile. On ne sait pas non plus quand elle s’installe à La Spezia, en Ligurie, où elle s’éteint en 1875 [8].