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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

51-74
Péguy socialiste utopique
Article mis en ligne le 15 décembre 2006
dernière modification le 2 avril 2010

par Guet, Michel

1898-1900. L’analyse porte sur la pensée phalanstérienne de Charles Péguy confrontée au socialisme parlementariste en voie d’unification, sur fond d’affaire Dreyfus et d’agitation politique. De ruptures en ruptures, Péguy normalien puis libraire-éditeur jusqu’à la fondation des Cahiers de la Quinzaine, d’un utopisme mystique à la foi chrétienne, d’un « phalanstère de papier » à la cathédrale de Chartres ; sur sa route Lucien Herr, Charles Andler, Jean Jaurès, Léon Blum, Georges Sorel, Bernard Lazare, Daniel Halévy, Romain Rolland, Jacques Maritain...

Découvrir Péguy par Marcel, premier dialogue de la cité harmonieuse, c’est tirer la toile d’araignée par un fil, s’y prendre et s’y débattre. S’en extraire (de la toile), et prendre du recul sera affaire de quelques mois, quelques années... Une rude aventure au siècle où l’on préfère généralement celles du saut à l’élastique et de l’acrobranche ; c’est l’époque... décréation du monde disait-il ; le mot eut moindre fortune que le désenchantement de son contemporain Max Weber, sur un autre mode certes, mais ils se font écho.

Prendre du recul, c’est d’abord rester modeste, aussi nous n’ambitionnons pas de rivaliser d’érudition péguyiste, ni même de faire œuvre d’histoire mais simplement d’éclairer ce court moment d’une vie bien remplie qui va d’une rupture à la suivante : du moment où Péguy quitte l’Ecole normale supérieure - pour mener à bien un projet presque secret, un projet éditorial total pour paraphraser Marcel Mauss - à sa rupture avec les socialistes et la fondation des Cahiers de la Quinzaine [1]. Chacun son Péguy, il est habitué à être tiraillé à gauche et à droite ; le mien, que je vous propose de partager, sera celui-là : mai 1898 à décembre 1899. Déclaration toute théorique : en réalité nous serons amenés à déborder largement, à passer par la case Utopie, la case des Socialismes, la case Sociométrométrie (qu’il a lui-même créée) [2], la case Affaire Dreyfus, etc. Voyez comme un projet au départ modeste, devient ambitieux... Ne cherchez pas, c’est la faute à Péguy.

Nul ne peut impunément utiliser les deux termes accolés cité harmonieuse sans éveiller l’attention de vigilants fouriéristes ; aussi convenait-il d’y aller voir de plus près. J’ai bien évidemment commis l’imprudence de me poser en préalable la question « Péguy était-il fouriériste ? » À la réflexion, cela revenait à poser « Fourier était-il socialiste ? », or vous constaterez comme moi qu’il n’est pas un seul manuel d’histoire du socialisme qui ne fasse référence à Fourier, qui ne s’annexe Fourier, pourtant il n’était pas socialiste et s’en serait bien défendu... Aussi, nous ne tenterons pas de faire de même (et trop se sont accaparé Péguy, il n’en reste rien de disponible !), mais nous essaierons par la singularité de son génie de serrer de plus près un fouriérisme. Entre nos deux hommes, il s’écoule un siècle - et lequel ! - et un siècle suffit largement pour que des glissements sémantiques opèrent de profonds revirements et nous verrons ce que deviennent fouriérisme et socialisme en un siècle...

Péguy l’irascible, le mécontemporain (titre si judicieux donné par Alain Finkielkraut à sa monographie), Péguy clôt ce siècle dans la douleur, la mortification de ses idéaux. Il se sait perdant, (« nous sommes des vaincus »), il se croit perdant. Perdant admirable. Plutôt que perdant, Péguy est celui qui-n’a-pas-gagné contre les Forces. L’aurait-il pu ? Non, impossible ; du reste c’est quelque part sa fierté, son orgueil, il est du côté du plus faible, faible lui-même. Quelles Forces ? Celles du temps, de la science scientifique (tout devient scientifique), du socialisme sociologique (tout devient sociologique), du Progrès triomphant, du « faire moderne » [3]. Il est le perdant magnifique, celui des grandes causes - des causes mystiques -, il est le perdant face aux combines politiques, mot si proche de combisme, néologisme dont il use largement pour fustiger le triste Combes et son ministère fantoche dont il reproche à Jaurès de tirer les ficelles, (mais les ministères se succèdent à si vive allure sous la IIIe...) ; il est perdant contre les arrangements, les accommodations, les compromis, les atermoiements des politiciens... (c’est à dire des socialistes dont il est). Il se sait perdant et cela mine les dernières années de sa vie, déceptions, trahisons, éreintements ; l’amertume suinte sous sa plume, jusqu’à ce qu’il en devienne injuste, ingrat, féroce ; qui n’est pas tombé en disgrâce à ses yeux ? Trois, peut-être quatre ? Bergson qu’il fallait défendre contre Durkheim [4], André Bourgeois le discret administrateur des Cahiers, son amie chère Mme Geneviève Favre, mère de Jacques Maritain (avec qui il finit par se brouiller), enfin Bernard Lazare, âme de la révision du procès Dreyfus, sa cause à lui. L’affaire Dreyfus fut son grand combat, et la façon dont politiquement elle se solda fut sa blessure profonde ; certes, justice se fit et si l’histoire avança, ce fut à reculons, médiocrement ; tout et tous y furent médiocres sauf la petite poignée de dreyfusards qui l’entouraient. Certes, l’affaire fut gagnée malgré tout, c’est ce malgré tout qui noie Péguy dans l’amertume d’une vaste et totale défaite morale, politique, institutionnelle, républicaine, humaine, socialiste-vrai... « la banqueroute frauduleuse de l’affaire Dreyfus dans la fourberie politicienne » écrit-il [5]. Péguy place toujours la barre très haut - c’est tout à son honneur - mais elle est si haut placée que l’humain, trop humain, ne peut l’atteindre. Il en va ainsi de son utopisme, à l’heure même où il écrit Marcel, premier dialogue de la cité harmonieuse, cet utopisme d’idéal, celui des pères fondateurs, est déjà même fossoyé ; le sien est un utopisme de Cité Socialiste Pure et Totalement Juste où les murs et les disciplines que se donne la cité ne suffiront à établir justice et vérité - pour cela il faut y refaire l’homme aussi et Péguy le sait. Sa cité socialiste est le phalanstère Justice et Vérité [6] et son héroïne, sa Marianne, c’est aussi Jeanne d’Arc. Ce phalanstère si pur ne peut exister, mais sans y croire, lui, Charles Péguy ne peut pas vivre. Après le « coup de Tanger » (Guillaume II, 1905), il s’enflamme pour la Patrie, il fut antimilitariste autrefois, mais l’Allemagne et sa menace l’obsèdent à présent, c’est aussi le temps de la venue de la grâce (Romain Rolland), alors qu’il cède à sa foi, il la précède aussi : les pèlerinages à Chartres... En 1914 il se porte au front, il conduit, il dirige ses soldats le lieutenant Péguy ; un mois après sa mobilisation, une balle le fauche le samedi 5 septembre 1914.

1) Biographie

(Succincte. Nous ne couvrons que la période qui nous occupe et insistons sur les faits propres à l’intelligence de l’article)

1873

7 janvier : naissance de Charles Péguy, faubourg Bourgogne à Orléans de Charles Pierre Péguy, ouvrier menuisier et Cécile Quéré, rempailleuse de chaises. Son père meurt l’année de sa naissance des suites de la guerre de 1870

1891

Reçu bachelier ès lettres, Péguy entre au lycée Lakanal à Sceaux pour préparer l’Ecole normale de la rue d’Ulm

1892

Échec à l’admission à l’Ecole normale

1893

Boursier, il entre au collège Sainte-Barbe à Paris et suit également des cours à Louis-le-Grand

1894

juillet : licencié ès lettres (philosophie)

août : reçu à l’Ecole normale, y entre en novembre, y rencontre Lucien Herr

octobre : reçu bachelier ès sciences

1895

décembre : demande un congé d’un an au directeur de l’Ecole normale.

1896

Passe l’année à Orléans, y fonde un groupe d’études socialistes, apprend la typographie, travaille à la Jeanne d’Arc

juin : son ami Marcel Baudouin en permission vient le voir à Orléans, ils ont de longues conversations à propos de la Cité Harmonieuse

juillet : décès brutal de Marcel Baudouin d’une fièvre typhoïde ; Péguy entreprend vraisemblablement la rédaction de Marcel, premier dialogue de la cité harmonieuse

novembre : retour à l’Ecole normale.

1897

février : premier article de Péguy dans la Revue Socialiste sous le pseudonyme de Pierre Deloire

mai : fonde une caisse avec ses co-turnes de l’Ecole normale, dont les cotisations doivent servir à la fondation d’un journal véritablement socialiste : le Journal Vrai

août : parution de De la cité socialiste par Pierre Deloire dans la Revue Socialiste et en tiré à part

octobre : Charles Péguy épouse la sœur de Marcel, Charlotte Françoise Baudouin

décembre : parution de Jeanne d’Arc, drame en trois pièces sous les pseudonymes de Marcel et Pierre Baudouin (achevé d’imprimé en juin 1897)

1898

mai : fondation de la librairie Georges Bellais, prête-nom sous lequel Péguy ouvre une société d’édition et de librairie au 17 de la rue Cujas, Paris

juin : achevé d’imprimé et parution de Marcel, premier dialogue de la cité harmonieuse, librairie Georges Bellais

août : échec à l’agrégation de philosophie

10 septembre : naissance d’un premier fils prénommé Marcel

1899

onze article dans la Revue Blanche [Notes politiques et sociales]

août : transformation de la librairie Georges Bellais en société coopérative sous la raison sociale Société Nouvelle de Librairie et d’Édition (SNLE), Lucien Herr en est l’administrateur-délégué et à Péguy se voit proposé le poste de « délégué à l’édition »

décembre : démission et rupture avec la SNLE, suite au Congrès de Paris (gymnase Japy, 3/9 décembre) réunissant l’ensemble des organisation socialistes françaises, auquel assiste Ch. P.

1900

janvier : Premier numéro des Cahiers de la Quinzaine, adresse provisoire : 19, rue des Fossés Saint-Jacques, puis ce sera au 16, rue de la Sorbonne, enfin au 8 de la même rue à partir d’octobre 1901. André Bourgeois est administrateur, ami fidèle de Charles Péguy et dévoué aux Cahiers

La publication des cahiers se fait plus ou moins régulièrement jusqu’en août 1914.

1901

7 septembre : naissance de Germaine Péguy

1903

25 juin : naissance d’un second fils prénommé Pierre. Aucun des enfants n’est baptisé

1914

5 septembre : mort au front du lieutenant Charles Péguy, 276e de ligne, commune de Villeroy, Seine-et-Marne

En 1880-82 souffle un vent de républicanisme sous la présidence Jules Grévy ; Gambetta et Jules Ferry surtout, font adopter une série de lois renforçant la laïcité républicaine. Gratuité et neutralité de l’enseignement sont les piliers de ce que le jargon sociologique nomme l’ascenseur social. Péguy est un enfant de cette République laïque et de ses instituteurs, à qui il voue une reconnaissance émue [7] ; qu’il fixe à 1880 le moment du basculement du monde n’est pas la moindre de ses contradictions. Il est donc boursier d’une République qui cherche à élargir le champ de ses élites à la société civile, à la France d’en bas... Son milieu est modeste, on travaille de ses mains, on travaille dur, on vit chichement pour survivre et Dieu n’est pas un recours chez les Péguy ; côté Baudouin on est franchement à gauche, libre-penseur militant, aucun des enfants n’est baptisé et Maritain en est pour ses frais lorsqu’il tente d’intercéder auprès de Mme Péguy afin de ramener au sein de l’église cette famille en perdition - brouille sérieuse. La famille est lourde à Péguy, il s’en ouvre sur le tard aux intimes, il est toutefois un père et un mari exemplaire, mais sans faire de psychologie gratuite cette valse des prénoms dont il se pare a de quoi interroger : morts, vivants, ascendance, descendance se brouillent en un étrange tissu, à notre usage personnel il nous a fallu en dresser la cartographie (voir annexe 1)

2) Utopies-Utopistes-Utopismes

Quelles peuvent être les sources utopistes de Péguy pour l’inciter à sous-titrer son dialogue (en fait un monologue [8]) Premier dialogue de la cité harmonieuse ? Il n’est pas d’une famille de lettrés, je veux dire par là qu’il n’a pas à sa disposition faubourg Bourgogne une bibliothèque où seraient rangées des œuvres complètes de Fourier, les biographes ne sont pas diserts sur ce point, nous en sommes donc réduits aux supputations. Il y aurait deux voies possibles : la première serait de supposer que son ami Marcel Baudouin disposait de cette culture pour être né dans une famille politiquement engagée à gauche ; la seconde serait que sa source (ou bien leur source à tous deux) est la bibliothèque de l’École normale sur laquelle régnait une personnage d’une grande importance et qui joue un rôle déterminant : Lucien Herr (1864-1926). Nous savons que l’engagement socialiste de ce dernier le pousse à briguer ce poste, somme toute subalterne ; Herr pouvait viser plus haut, mais à ses yeux être bibliothécaire à l’Ecole normale était un acte militant - que la république forme ses élites cela est bien, qu’elle les forme aussi au marxisme, au socialisme, aux expériences phalanstériennes et utopistes cela serait encore mieux - et Lucien Herr porte à ce titre une immense responsabilité dans l’engagement de ces jeunes gens qui donnent nombre de cadres au parti socialiste (et à d’autres...), ce que dénonce tardivement et avec amertume un de ceux qu’il forma alors, Hubert Bourgin [9]. Ce dernier n’est pas tout à fait inconnu aux fouriéristes pour nous avoir laissé ce Fourier, contribution à l’étude du socialisme français (Paris, 1905), dont le délicieux Maublanc dit dans sa Hiérarchie du cocuage - dédicacé aux cocus de l’Université -, « cette honorable et consciencieuse thèse » où « l’on a sans doute quelques peines à distinguer les lignes maîtresses du fouriérisme : tel un touriste myope, qui aurait examiné à la loupe chaque pierre de Notre-Dame de Paris, sans jamais s’éloigner de plus d’un mètre cinquante, en apercevrait mal la silhouette » [10]. Lucien Herr, Marcel Baudouin, Péguy, Hubert Bourgin, Charles Maublanc, tous sont liés par un fil, qui passe par l’École normale, celui du fouriérisme. Pour l’anecdote, sachons que Célestin Bouglé succédant à Lucien Herr créé à l’Ecole normale un Centre de Documentation Sociale, dont il est directeur ; Maublanc, son élève d’abord, devient secrétaire du CDS, or les archives phalanstériennes avec les manuscrits de Fourier (et Considerant) entrent à l’Ecole normale en 1922 [11], via Considerant et Kleine, pour en sortir en 1940 [12]... Mais, n’abusons pas du hasard objectif à la André Breton... Inutile de rêver, Péguy n’a pas travaillé sur les manuscrits de Fourier comme Maublanc ! Il n’en reste pas moins qu’une tradition d’éclectisme de la pensée socialisante est à porter au crédit de l’École normale, et une initiation socialiste au crédit de Lucien Herr.

Mais où en est la tradition phalanstérienne et utopique en ce dernier quart du siècle ? Il semble qu’elle ne soit pas au mieux de sa forme. Ce que l’on peut constater au cours du XIXe siècle, c’est d’une part - côté novateurs sociaux - une évolution de leurs ambitions tendant au réalisme : leurs projets, de difficilement réalisables, deviennent possiblement réalisables ; d’autre part - côté opposé, côté conservateurs -, une évolution vers l’ouverture démocratique et le partage, sous certaines conditions, des pouvoirs. Deux courbes se croisent, l’une descendante, l’autre ascendante ; à leur point d’intersection le possible est atteint, il ne peut l’être avant ce point (Plutôt que deux courbes bien lisses, il s’agit d’escaliers, dont chaque marche est un soubresaut social et politique : émeute, grève, congrès, manifeste, répression, loi, décret). Savoir dans quelle mesure chacun des deux clans influe, force à rencontrer l’autre, est tout le problème des historiens et de leurs multiples approches et conclusions. Indéniablement côté novateurs sociaux, l’U-topie - en un siècle - devient topos : peu à peu un lieu possible pour un projet social devient possible, mais s’il le devient c’est d’une part parce que le projet a changé (s’auto-déclarant « scientifique », il est en réalité pragmatique), et d’autre part parce que le super-lieu symboliquement institué (Nation, État, République, Patrie) auquel il se destine par nature se trouve modifié en ce sens (science et progrès sont devenues valeurs symboliques unanimes). Ce qui était donc U-topie ne l’est plus. « Ces socialistes du XIXe qui proposaient une profonde réforme, un bouleversement complet de la vie en société, Marx les surnommera ’’utopistes’’ et les opposa aux socialistes qui suivaient sa doctrine, seuls qualifiés de scientifiques, de dialectiques et de matérialistes conséquents ». « Pendant presque un siècle, le dédain - coupé pourtant par le poignard du surréalisme - avait repoussé les ’’utopistes’’ dans le purgatoire des curiosités idéologiques, dans les limbes des théories fumeuses et périmées » [13].

Mais revenons à Péguy et son temps. Les lois d’amnistie de juillet 1880 permettent aux Communards en exil de rentrer au pays, et s’ils remettent en commun leurs espoirs, - la République n’est pas l’Empire, on peut s’en réjouir certes - le vent cependant a tourné. Ce qui rendait utopique l’Utopie avant 1848, avant 1871, c’est bien son irréalisation, et sa dimension mythique et symbolique était à la mesure de son irréalisation, pour ne pas dire irréalité ; la fin du siècle voit le socialisme, toutes tendances en voie d’unification, s’acheminer au grand dam de Péguy vers le parlementarisme. Il souffre deux fois, une première fois dans sa mystique parce que les idéaux des pères fondateurs sont bradés ; une seconde fois dans son républicanisme parce que cette République de compromis qu’il exècre (jauréssiste-combiste-millerandiste-hervéiste, etc.) est aussi celle à laquelle il doit son ascension sociale ; cela, il est trop intelligent et instruit pour l’ignorer (de plus, passablement paranoïaque... c’est là un camouflet à lui personnellement adressé).

À l’heure donc où l’utopie semble ne plus oser se nommer, « le socialisme qui s’est, lui-même, proclamé scientifique a donc ’’réussi’’ [...]. Vouloir changer la vie selon les recettes de Marx et Engels est une lutte révolutionnaire. Vouloir changer la vie selon Fourier et Saint-Simon, selon Cabet ou Robert Owen, c’est de la loufoquerie. » [14]. Nos jeunes têtes folles (Péguy n’est pas seul) s’enrôlent pourtant sous sa bannière. Il était une tradition à Normale qui consistait à nommer les turnes (chambrées partagées à quelques-uns ; ils sont trois avec Péguy : Lévy, Mathiez, Weulersse), la leur en 1896 se nomme la turne Utopie, Daniel Halévy en fait le titre d’un chapitre de son Péguy. Loufoques ou simplement rêveurs ? Lucien Herr leur procure de bonnes lectures, répond à leurs questions et attend.

3) Le phalanstère de papier, Justice et Vérité

Péguy n’est pas entré à l’Ecole normale depuis un an qu’il demande à son directeur M. Perrot une année sabbatique (on disait simplement alors « de congé ») ; nous sommes en décembre 1895, il passe l’année suivante à Orléans, faubourg Bourgogne. Nous savons qu’il a déjà entamé sa Jeanne d’Arc et peut-être l’aurait-il terminée s’il n’y avait eu en juin cette permission de son ami Marcel Baudouin qui le rejoint, suivie en juillet de son décès foudroyant ; laissant là provisoirement sa Jeanne d’Arc, il entreprend d’écrire Marcel, premier dialogue..., et probablement, dans la foulée, la brochure intitulée De la cité socialiste qui paraît la première dès 1897 dans la Revue Socialiste. Outre cela il apprend la typographie et fonde à Orléans (ou participe à) un « Groupe d’Études Sociales ». Si l’on ajoute que dès son entrée à Normale, il projette avec ses co-turnes de publier un journal véritablement socialiste, le Journal Vrai, pour lequel est aussitôt ouverte une caisse destinée à recueillir les cotisations, on comprend qu’il y a chevillé chez Péguy un projet, un projet d’édition, et que ce projet d’édition n’est pas ordinaire, il est proprement extra-ordinaire :

Nous croyons que c’est à nous, socialistes, qu’il revient de fonder un tel journal.

Nous savons en effet que la cité socialiste ne se fera pas sans éléments et que c’est nous qui devons, dès à présent, lui préparer des citoyens. Pour cela voici quel nous imaginons que [sic] serait dans la société bourgeoise un journal socialiste. [...]

Ce journal serait nourri par les socialistes ; ceux-ci prendraient sur leurs salaires, socialiste ou bourgeois, pour assurer le salaire socialiste des socialistes qui travailleraient au journal. [...]

Tous les ouvriers qui travailleraient au journal, ouvriers intellectuels et ouvriers manuels, ouvriers écrivains et ouvriers compositeurs d’imprimerie, ouvriers directeurs et ouvriers protes recevraient un salaire socialiste, c’est-à-dire entre eux un salaire égal, puisqu’ils travailleraient tous de leur mieux pour le bien du journal.

Ce journal serait exactement socialiste en son texte : on n’y verrait aucune réclame commerciale. [...]

Ce journal ne serait pas rédigé par des journalistes professionnels, mais par des hommes de chaque métier ; les moissonneurs y parleraient du blé, les maçons de la bâtisse ; les professeurs y parleraient de l’enseignement et les philosophes de la philosophie ; on ne serait pas journaliste, on serait, comme on disait, un honnête homme qui aurait un métier et qui, au besoin, écrirait de ce métier dans le journal.

Ce journal serait exactement sincère, il n’embellirait jamais les faits, il n’embellirait jamais les espérances même.

Nous prenons ce texte en exemple (bien qu’il en soit d’autres aux accents proches : De la raison [15]), publié dès janvier 1898, sous le titre Le problème de la presse dans la Revue Socialiste [16]], Péguy le reprend dans Pour ma maison [17], et le fait suivre à nouveau par De la cité socialiste quelques pages plus loin. C’est un texte fondateur, il est aux fondations de la cité socialiste à laquelle aspire Péguy dans une mystique profonde et une foi de charbonnier. On peut y voir un chapitre omis de Marcel... ou une addition à De la cité..., c’est là en effet le Journal Vrai, auquel il faut ajouter la Jeanne d’Arc et l’ensemble des deux cent vingt-neuf Cahiers de la Quinzaine.

La Jeanne d’Arc paraît en 1897, et je ne peux m’empêcher d’en donner la dédicace :

À toutes celles et à tous ceux qui auront vécu leur vie humaine // À toutes celles et à tous ceux qui seront morts de leur mort humaine // Pour tâcher de porter remède au mal universel humain [...] // Pour l’établissement de la République Socialiste Universelle // Ce poème est dédié... // Marcel et Pierre Baudouin ont signé.

Cet ouvrage est d’une audace folle, Péguy le veut in-4°, soigné, il y ménage entre ses vers d’immenses plages de blancs, des pages entières, il le fait imprimer sous sa férule à 800 exemplaires (certains disent 1000) par souscription auprès de ses camarades de l’Ecole normale qui ne savent pas trop quoi en penser... Aucun exemplaire ne se vend, ou si peu que le coût n’en est point couvert, il en donne. Le reste de l’édition est empilé et sert de banc au gré de ses différentes librairies. Et si j’étais un bibliophile sérieux, j’en dénicherais un exemplaire à n’importe quel prix et le placerais à côté du Coup de dés de Mallarmé et des Calligrammes d’Apollinaire... Plus tard, avec « la venue de la grâce » (Rolland) il en remplit les blancs [18].

Marcel (qui devait être suivi d’autres dialogues lesquels ne virent jamais le jour : de l’individu, de la cité, de la cité juste, de la cité charitable, enfin un deuxième dialogue de la cité harmonieuse [19]) et De la cité, surtout, pourraient sans hésitation faire office - non pas de règlement intérieur - mais de règle au sens bénédictin : préceptes à l’usage d’une communauté, en vue d’une proche fondation.

Avec la Jeanne d’Arc, ces trois ouvrages sont les premiers que donne publiquement l’auteur, ils sont l’alpha et l’oméga de son socialisme mystique et utopique, point de départ et d’arrivée, sorte de profession de foi, ils délimitent à eux trois (mais on peut y ajouter les Cahiers) un espace fictif que nous osons nommer le phalanstère Justice et Vérité auquel Péguy aspire, ce fameux Journal Vrai qui jamais ne vit le jour ; phalanstère de papier, fragile et émouvant mais peut-être aussi solide que s’il avait été taillé de pierres, puisqu’il nous touche encore. Qu’il soit pavé de plomb l’ancre au sol noir des ateliers typographiques d’où la fraternité des ouvriers, dont il est allé apprendre le langage et l’esthétique, guide ses pas : il place volontiers leurs noms, égaux, à coté du sien (et l’éternelle formule laconique au bas des Cahiers : « Ce cahier a été composé et tiré au tarif des ouvriers syndiqués  »).

Face à la puissance socialiste-mystique de Péguy, les cadres du socialisme scientifique et/ou parlementariste, en voie d’unification, sont bien embarrassés... Il est à la fois une bonne recrue pour Lucien Herr qui l’a pris en amitié, pour Jaurès également ; il a de l’avenir, de l’étoffe, une plume redoutable, un engagement sans faille et le prouve bientôt alors que montent en puissance les remous (la boue) de l’affaire Dreyfus, l’Affaire. Mais il faut l’avoir à l’œil, il est fantasque, impulsif, ne prend l’avis de personne, il sera difficile de le faire entrer dans un cadre, un appareil.

4) Socialismes-Socialistes

C’est pourtant bien ce à quoi aspire(nt) le(s) socialisme(s) après que les blessures de la Semaine Sanglante se sont tant bien que mal refermées : se doter d’un appareil efficace, aller au pouvoir, prendre le pouvoir. Passé la phase anarcho-syndicaliste, on entre à partir de 1889 dans le socialisme étatique (Bezbakh) - du temps de Péguy, les grincheux dont il était disaient parlementariste. La nébuleuse socialiste ne manque pas de fortes têtes (certaines blanchies) en cette fin de siècle, Allemane, Lafargue, Brousse, Guesde, Vaillant, Jaurès, Blum, Millerand, Viviani, Zévaès, Briand... Certains sont déjà regroupés, mais c’est encore trop de factions pour atteindre les bancs de l’assemblée, eux-mêmes le savent bien, en particulier Lucien Herr qui avec Jaurès (formé par le bibliothécaire de l’Ecole normale ainsi que Blum, Péguy et bien d’autres encore), déploient des trésors de finesse pour aller vers l’unité. Bien des rapprochements sont tentés et le premier congrès national des organisations socialistes françaises qui s’est tenu à Paris du 3 au 9 décembre 1899 au gymnase Japy, s’est donné pour but de « substituer l’union à l’unité », belle formule de l’époque [20]. Péguy y assiste parmi sept cents congressistes, non pas en tant que délégué du groupe d’Orléans (il a été battu aux élections), mais en tant que délégué à l’édition de la toute récente Société Nouvelle de Librairie et d’Édition dont nous reparlerons. Le congrès fut « agité et passionné, faillit à plusieurs reprises aboutir à une rupture définitive entre plusieurs organisations et constitua le Parti Socialiste Français » [21]. Eh bien non, en 1900 c’est encore un vœu pieux, les guesdistes font scission un an plus tard et opposent au Parti Socialiste Français leur Parti Socialiste de France. Sous les lazzi de Péguy. Mais l’union est plus facile à réaliser à deux qu’elle ne le fut à six et c’est en 1905 que Jaurès atteint son but : la Section Française de l’Internationale Ouvrière est née, on adopte alors Parti Socialiste-SFIO. Là aussi il nous faut une petite cartographie pour mémoire (annexe 2).

Ce congrès de Paris est retenu par les historiens du socialisme pour un autre de ses ordres du jour : « l’entrée du socialiste Millerand dans un ministère bourgeois fut l’évènement décisif qui provoqua le congrès » [22]. Nous retrouverons l’affaire Millerand plus tard, il nous suffit de savoir que dans ce même ministère Waldeck-Rousseau fraîchement nommé par Émile Loubet, siégeait le général marquis de Galliffet, de triste mémoire, écraseur sanglant de la Commune, « massacreur de Satory » (Andler), et le socialiste Millerand risquait de passer alors pour un « social-traître » (Bezbakh) aux yeux des masses laborieuses. Les biographes de Péguy retiennent plutôt de ce congrès une autre série de motions : on vote un Comité Général constitué de délégués des organisations accréditées, puis au chapitre Contrôle de la presse on décide et vote ceci :

La liberté de discussion est entière [...] mais pour l’action, les journaux devront se conformer strictement aux décisions du congrès interprétées par le Comité Général. De plus les journaux s’abstiendront de toute polémique et de tout communication de nature à blesser une des organisations [...]. Si le Comité Général estime que tel journal viole les décisions du parti et cause un préjudice au prolétariat, il appellera devant lui les rédacteurs responsables. Ceux-ci étant entendus, le Comité Général leur signifie, s’il y a lieu, par un avertissement public, qu’il demandera contre eux ou un blâme ou l’exclusion du Parti, ou la mise en interdit du journal lui-même. [23]

Péguy est dans la salle, les oreilles lui sifflent. De tout cela il donne, peu après, deux textes dans les Cahiers : Compte rendu de mandat (avril 1901) [24] et Compte rendu de congrès (octobre 1901) [25], la plume y est amère et sarcastique... mais déjà, l’année précédant ce congrès, dans la Revue Blanche Péguy avait publié onze articles de février à novembre 1899, qui laissaient pointer une liberté de ton qui ne pouvait convenir à un délégué à l’édition... socialiste.

5) Le QG de la rue Cujas (L’affaire Dreyfus et la librairie Georges Bellais)

Le 22 décembre 1894, le capitaine Dreyfus est traduit à huis clos devant le Conseil de Guerre pour trahison, il est condamné à être dégradé et déporté à perpétuité en Guyane, dans la quasi indifférence. Le document sur lequel a été condamné Dreyfus est un faux, le colonel Picquart, chef des services de renseignements s’en ouvre à sa hiérarchie l’année suivante ; craignant les remous, ses supérieurs l’écartent de ses fonctions, le mettent « au placard ». Pendant ce temps, un cercle d’amis convaincus de l’innocence du capitaine Dreyfus se forme autour de sa femme et son frère Mathieu parmi lesquels Bernard Lazare, publiciste et anarchiste et l’anthropologue Lévy-Bruhl auxquels se rallient, courant 1896, Salomon Reinach, Gabriel Monod et surtout Lucien Herr qui convertit Lévy-Bruhl au socialisme (bien qu’à ce moment là les socialistes soient très divisés, seuls les allemanistes - dont est Herr - se sont engagés). Tous déploient une intense activité pour que l’affaire ne s’oublie pas et que justice soit faite : à leur tête Bernard Lazare qui publie en novembre 1896 à Bruxelles une brochure qu’il envoie à tous les journaux et à tous les parlementaires (Une erreur judiciaire : La vérité sur l’affaire Dreyfus). De cette brochure Zévaès écrit dans La Petite République qu’elle est « une manœuvre de la finance et de la juiverie pour mettre en doute la culpabilité du traître » [26]. Pendant ce temps, Herr s’active à l’Ecole normale, il rallie à la cause Charles Andler, Charles Seignobos, Victor Bérard, Paul Dupuy, Elie Halévy, d’autres encore et les jeunes élèves socialistes, dont Péguy.

En juillet 1897, Picquart se confie à un ami, l’avocat Leblois, conseiller municipal de Paris, qui bouleversé convainc à son tour le vice-président du Sénat Scheurer-Kestner. Ce dernier décide de porter l’affaire devant l’opinion publique, (il lui en coûte sa place de vice-président, quant à Leblois il est également démis de ses fonctions de conseiller). Trois ans après la condamnation, la défense s’organise donc et les rangs des dreyfusards s’élargissent ; Zola, convaincu de l’innocence, entre en lice dès novembre 1897 par une série d’articles dans Le Figaro et quelques brochures volantes, jusqu’au J’accuse dans L’Aurore, (journal de Clemenceau), du 13 janvier 1898 [27]. Durkheim se rallie avec son neveu Mauss, puis Bouglé, Simiand, Bourgin, Halbwachs, Fauconnet, Emmanuel Lévy. Le coup de force de Zola n’a pas convaincu les ténors socialistes qui refusent de s’engager dans un combat qui ne concerne pas le prolétariat, « l’appartenance de classe de Dreyfus, ses origines juives, le soutien que lui apportent tant quelques anarchistes juifs (Bernard Lazare) que quelques capitalistes (Joseph Reinach), [...] tout cela ne favorise pas l’engagement dans la bataille dreyfusarde d’un mouvement socialiste qui a de solides et anciennes traditions antisémites, [...] cinq jours après J’accuse, Guesde, Millerand, Viviani, et Jaurès [qui s’interroge et doute pourtant], signent un manifeste que reproduit La Petite République qui ne fait guère honneur au socialisme français » [28]. Jaurès hésite, Herr, Lévy-Bruhl, Scheurer-Kestner et Péguy se font pressants. Accusé de diffamation, Zola passe devant les juges en février (condamné, il s’exile à Londres en juillet). Enfin, entre le J’accuse et le procès en diffamation Jaurès bascule, et s’engage de tout son poids.

Mai 1898, Péguy est au milieu de sa troisième année à l’Ecole normale, il ne l’achève pas. Marié depuis six mois, il est adulte, c’est un homme de 25 ans, sa situation d’étudiant ne lui convient plus : il brûle d’en découdre avec la vie - on est en pleine affaire, l’agitation politique est intense, la cause ne peut se passer de lui. Sa place n’est plus à bachoter, au diable les études, il a mieux à faire et déclare tout de go à Lucien Herr qu’il quitte l’Ecole normale pour ouvrir une petite librairie au 17 de la rue Cujas, au cœur du chaudron... Herr gratte sa barbiche et réfléchit, il ne lui cache pas les risques d’une telle entreprise, mais Péguy n’en a cure, alors Herr promet d’aider, de soutenir... Péguy a été forcé de donner sa démission à l’Ecole normale et tant pis pour sa bourse d’agrégation en Sorbonne (qui lui interdit de tenir boutique), il s’installe libraire sous un prête-nom en mai 1898 : celui de son ami Georges Bellais qui s’en tire mal au 17 de la rue Cujas ; la librairie est pourtant bien placée, mais il n’a pas la bosse du commerce ; Péguy, lui, pense l’avoir... Le jeune couple s’est installé rue de l’Estrapade, ils attendent un enfant pour septembre (Marcel) et il reste de l’argent sur la dot de madame : qu’à cela ne tienne, ces 40 000 francs servent à fonder la Cité Harmonieuse rue Cujas ; Péguy est honnête, il n’extorque point, il convainc : la famille Baudouin le soutient de toute sa foi socialiste « attendant que se fructifiât la dot de Mme » [29]. Ainsi fut fait. On empile à côté des brochures De la cité socialiste, les in-4° invendus de la Jeanne d’Arc auxquels viennent s’ajouter en juin les Marcel... et les brochures de Bernard Lazare maintes fois rééditées et autres tracts dreyfusards. L’affaire bat son plein et la Librairie Georges Bellais - librairie socialiste -, est devenue le quartier général des dreyfusards. Mais la situation financière est inquiétante, il y avait un passif lors de la reprise et puis les factures d’imprimeur, les frais d’envoi, etc. tout cela a tôt fait de faire fondre le petit capital. Face à Herr, à présent, il n’est plus le normalien qui vient chercher un livre à la bibliothèque : il est à ses côtés un des jeunes piliers du mouvement pour la justice, pour la vérité, pour la réparation de l’erreur et c’est à lui tout naturellement qu’il s’ouvre des problèmes d’argent de la librairie. Herr a promis de soutenir, d’épauler, il tient parole et intercède auprès de Jaurès afin que ce dernier accorde gracieusement à la librairie l’autorisation de réunir un choix de ses derniers articles - le tribun était entré dans la bataille dreyfusarde et sa réputation était grande qui dépassait largement les cénacles socialistes. Le titre : Action socialiste, Péguy fonce : tirage 10 000 exemplaires. On en vend 1500 à 2000 [30], malgré le soutien de quelques feuilles socialistes.

Le 30 août 1898, le colonel Henry (qui avait succédé à Picquart à la tête des services de renseignements) est incarcéré, soupçonné d’être l’auteur d’un second faux ayant circulé dans la presse, il se donne la mort dans la nuit. Le 29 octobre la demande de révision du procès déposée par Mme Dreyfus est jugée recevable par la chambre criminelle de la cour de cassation. La presse se déchaîne d’un côté comme de l’autre, sous la pression de l’État-major le président Félix Faure travaille à « retirer aux magistrats ce pouvoir de se prononcer qu’ils tiennent de la loi elle-même », « on discute les compétences parce qu’on prévoit la sentence » [Cornély, dans Le Figaro], finalement le 10 février 1899 la chambre des députés vote le dessaisissement de la chambre criminelle (soupçonnée d’être trop favorable), c’est la cour de cassation toutes chambres réunies qui doit se prononcer ; las ! elle se prononce favorablement pour la révision du procès.

Rue Cujas : « on ne se contente pas d’y rêver de la future cité socialiste que doit préparer inévitablement la révolution dreyfusienne : la librairie se transforme parfois en forteresse, assiégée par les meutes d’étudiants en droit (déjà) nationalistes et antisémites. C’est à la librairie aussi que se réunissent les commandos de normaliens et d’étudiants chargés de protéger les cours des professeurs dreyfusards (Aulard, Seignobos, Buisson) mis en péril par les bandes d’étudiants antisémites, futurs ’’Camelots du Roy’’, ’’Jeunesses Patriotes’’ et autres ’’Croix de Feu’’ » [31]. Si ce second semestre 1898 fut chargé, la dernière année du siècle est trépidante à la librairie Georges Bellais. Pendant que Péguy corrige des épreuves entre les nombreuses visites, Herr et Bernard Lazare en tête, quelquefois Jaurès, souvent Blum, Georges Sorel, les frères Tharaud, Halbwachs, Paul Langevin, Simiand, Hubert Bourgin, Mario Roques, tous les co-turnes plus d’autres de l’Ecole normale et les sympathisants, parfois on y voit un acheteur.

16 février 1899, Félix Faure décède en état de péché mortel [Péguy]. Deux jours après, Émile Loubet, candidat des gauches et des dreyfusards est élu. Le 23 au retour du cortège funèbre, tentative de coup d’état par Déroulède et la droite nationaliste anti-dreyfusarde, Drumont, Barrès et la Ligue des Patriotes. Déroulède et Habert sont emprisonnés (ils sont acquittés le 31 mai [32]). Le 3 juin 1899, la cour de cassation « toutes chambres réunies » casse et annule la condamnation rendue le 22 décembre 1894, il faut rejuger Alfred Dreyfus redevenu capitaine : inculpé jusqu’à preuve du contraire, mais non plus condamné... Le lendemain, manifestation anti-dreyfusarde à Auteuil sous l’œil goguenard de la police ; en réponse, le 11 juin manifestation pour Dreyfus et pour la République à Longchamp (500 000 personnes d’après La Petite République, journal de Jaurès).

À la librairie l’air est électrique entre deux alertes aux bandes antisémites, on a des livres en chantier, des devis en cours, des factures à honorer, des épreuves à relire encore et encore (Péguy est pointilleux de ce côté-là) ; c’est une ruche effervescente, depuis le début de l’année on héberge Mouvement socialiste, la revue d’Hubert Lagardelle et Jean Longuet, petit-fils de Karl Marx, deux étudiants guesdistes en rupture avec le POF, Péguy corrige, répond, écrit, compte, emballe, court ; il publie Andler (Le prince de Bismarck), les frères Tharaud (Le coltineur débile, La lumière), Romain Rolland (Aërt, Le triomphe de la raison, Les loups), ce dernier, qui enseignait l’histoire de l’art à l’Ecole normale où il se lie avec Péguy, n’est pas un assidu de la librairie, indifférent à l’affaire il ne cache pas son antisémitisme, mais il s’est pris d’estime pour notre homme et collabore.

À Rennes, le conseil de guerre (tenu du 8 août au 9 septembre 1899), confirme le jugement de décembre 1894, le capitaine Dreyfus est déclaré coupable à la majorité de cinq voix contre quatre, il y a des circonstances atténuantes, la peine est ramenée à dix ans de détention. Le 19 septembre le président de la République accorde la remise de la peine ainsi que celle de la dégradation militaire. Dreyfus est gracié, mais non réhabilité. (C’est Jaurès qui emporte, à la tribune de la chambre des députés, en avril 1903, la révision du procès de Rennes. Et le 12 juillet 1906, la cour de cassation annule le jugement de Rennes, le 20 Dreyfus est réhabilité, fait chevalier de la légion d’honneur, puis général. Picquart est réintégré et finit ministre de la guerre...)

Outre son travail d’éditeur, Péguy donne tout au long de cette année onze articles à la Revue Blanche [33], où le ton monte peu à peu entre lui et les socialistes malgré la fraternité dreyfusarde du QG Cujas. Ce dénouement (provisoire) de l’Affaire ne plaît pas à Péguy, comme à bien d’autres, ce jugement n’en est pas un, justice n’est pas faite à ses yeux, il le dit et même si pour beaucoup qui crient victoire l’affaire est classée, la République en sort bafouée et ridiculisée, le monde politique a montré piètre visage, il le dit ; déjà se profile un autre combat : celui à mener contre une droite haineuse, bourgeoise, antisémite, nationaliste, réactionnaire, les Judet, Rochefort, Drumont, Maurras, Barrès, Brunetière, Lemaître, qui font front au sein de la Ligue des Patriotes (créée pour faire pièce à la Ligue des Droits de l’homme née en juin 1898). Mais aux côtés de qui mener ce combat ? À gauche l’engagement de Jaurès a fait bouger quelques socialistes, mais rien là de quoi fonder le socialisme véritablement socialiste que Péguy appelle de ses vœux, il le dit. Le gros de la troupe traîne les pieds, « ceux du lendemain » : ces socialistes parlementaristes et soi-disant scientifiques qui trahissent à nouveau, Péguy devient féroce, ne leur épargne aucun sarcasme. « Nombre de socialistes avaient pris parti pour le capitaine ; parmi eux figurait Jaurès, dont les articles de La Petite République avaient été souvent consacrés à démontrer l’innocence de Dreyfus et l’indignité de l’État-Major. Or le 14 juillet 1899, la presse socialiste publiait un manifeste condamnant l’action menée par certains socialistes en faveur du capitaine. [...] En fait il était l’œuvre de Jules Guesde, Paul Lafargue, Édouard Vaillant. » [34]. Ce manifeste amalgame l’engagement socialiste dreyfusiste et l’entrée au gouvernement Waldeck-Rousseau de Millerand au cotés du massacreur Galliffet ; de compromis en déviation, on irait ainsi jusqu’à trahir la cause du prolétariat. À la grande affaire Dreyfus succède donc la petite affaire Millerand, le congrès de Paris approche, les rancunes internes sont exacerbées, les comportements à la chambre des députés sont aberrants, corporatistes et indignes d’un vrai socialisme [35]. « Péguy veut vivre, pour sa part, dans le climat moral qui sera, un jour, celui de la Cité Harmonieuse, d’où doivent être bannis tous les sentiments mauvais, par conséquent et surtout la haine. Relisons Marcel... » « ...être socialiste consiste à vivre dans notre société bourgeoise avec les sentiments qui seront ceux de tous les citoyens de la Cité Harmonieuse [...]. Il ne conçoit pas que l’on puisse se dire socialiste sans s’efforcer de vivre dans un état de pureté morale parfait » [36]. « C’est parce que Péguy veut faire ce qu’il appelle la "révolution de la sincérité" qu’il dénonce la fausseté, l’hypocrisie ou, pour parler comme lui "le jésuitisme" des guesdistes et spécialement de Paul Lafargue » [37]. « Pourquoi Guesde et les siens ne savent-ils pas ce que c’est que le socialisme ? C’est qu’ils n’ont point opéré en eux-mêmes cette réforme qui doit précéder l’avènement de la Cité socialiste, c’est qu’ils ne cherchent pas à réaliser pour leur propre compte cet état de pureté morale qui sera celui des citoyens de la Cité harmonieuse : au contraire, ils cultivent et propagent tous les vices de la société bourgeoise : mensonge, hypocrisie, jalousie, haine, autoritarisme. » [38]. Péguy dit tout cela dans la Revue Blanche. C’est trop pour Herr, Jaurès, Blum qui n’entendent pas laisser ce trublion compromettre leurs espoirs d’unification par ces critiques acerbes touchant l’affaire. Le ton monte et les finances baissent, nous sommes à l’automne 1899, un an et demi ne se sont pas écoulés depuis la reprise par Péguy que la librairie est financièrement en pleine déconfiture.

6) La Société Nouvelle de Librairie et d’Édition

« Mon père s’étant ruiné à éditer des ouvrages socialistes [...] dut transformer la librairie en une société anonyme à personnel et capital variable... », c’est la version de Marcel Péguy [39] qui avait dix mois à la création de la Société Nouvelle de Librairie et d’Édition. Les témoins de l’époque, Andler, Halévy, Rolland, etc., ont une autre version.

Que l’initiative de reprendre la librairie soit venue des socialistes ou que ce soit Péguy qui le leur ait proposé reste dans le flou, mais à l’évidence il ne fut ni spolié ni chassé de sa librairie, il l’a transmise, il y eut négociation. Une société nommé Société Nouvelle de Librairie et d’Édition est crée en août 1899, par une vingtaine d’actionnaires qui élisent un Conseil d’Administration composé de François Simiand, Léon Blum, Mario Roque, Hubert Bourgin, avec à leur tête Lucien Herr administrateur-délégué, « les Cinq » dit Halévy [40] : « Avec Bellais, Péguy sombrait ; avec Péguy sombrait la boutique, le corps de garde des dreyfusards. Joie, dérision pour la jeunesse adverse. Il fallait aviser. [...] L’affaire en elle-même l’intéressait [Lucien Herr], et il envisageait volontiers de la reprendre. Il établit un plan à double fin : premièrement, sauver Péguy ; deuxièmement, sauver son idée, reprendre en main son entreprise d’édition. Péguy, pensait Herr, s’était conduit en militant artiste, et c’est cela qui l’avait perdu. [...] Le moment se trouvait, par ailleurs, très opportun : Jaurès ambitionnait d’utiliser les émotions de l’affaire Dreyfus pour unir les fractions divisées du socialisme français et créer ainsi ce parti révolutionnaire unique [...] » [41]. Quant à Andler, qui était actionnaire, les statuts sous les yeux, il écrit en 1932 :

On rédigea les statuts de façon à éviter la faillite de Péguy. Mais aucun des actionnaires n’aurait consenti à faire entrer Péguy dans le Conseil d’Administration [...]. Toutefois pour lui assurer dans l’œuvre une action efficace et continuée en même temps qu’une rémunération proportionnée à ce qu’il nous dit être ses besoins, on lui donna le titre et la fonction de ’’délégué à l’édition’’. Près de lui un directeur commercial s’occupa désormais de la vente des livres, de la comptabilité et de la gestion courante. [...] Pour atteindre au chiffre qu’il nous disait lui être indispensable, [...] on lui attribua, outre son traitement de ’’délégué à l’édition’’ des actions d’apport correspondant sensiblement à ce qu’il avait perdu de son patrimoine, ou de celui de sa femme durant son année de gestion, et dont l’intérêt statutaire complétait ses émoluments. [...] Quand on a sous les yeux, comme je les ai, les statuts de la SNLE, on voit cependant combien l’arrangement favorisait Péguy [42].

L’actif que l’on reconnut à Péguy fut de 25 000 Francs sous forme de 250 actions de 100 Francs qui - selon la loi sur les sociétés et décision statutaire - devaient demeurer immobilisées en capital social durant deux ans, ouvrant droit à un dividende annuel qu’il toucha. Le passif se montait cependant à 75 000 Francs exigibles immédiatement, « Herr à lui seul en a fourni près de 30 000 en sacrifiant tout son avoir personnel » dit Andler [43] : la probité de Herr ne peut être mise en doute. Si Péguy assiste encore aux réunions du Conseil d’Administration de la SNLE en tant que délégué à l’édition, il n’a plus goût à la fonction - et ses faibles émoluments ne pèsent guère dans la balance - le torchon brûle à la veille du congrès de Japy entre lui et les Cinq, les témoignages s’accordent sur ce point. Péguy démissionne. Et dans la tête de Péguy une rupture, douloureuse (elle l’est pas moins pour Herr), se fait ce dernier trimestre de 1899, l’avenir du Journal Vrai, véritablement socialiste, du phalanstère Justice et Vérité n’est plus à la librairie Georges Bellais, il est tracé ailleurs : aux Cahiers de la Quinzaine, dont le premier numéro paraît, daté du 5 janvier 1900 ; à la fin de cette même année, dans Pour ma maison [44], il présente explicitement son projet et quelques mois plus tard donne sa version (que conteste quelque peu Andler) de la création de la SNLE dans Pour moi [45]. Toujours en difficulté financière à la tête des Cahiers - comment en serait-il autrement ? - il réclame le remboursement de ses actions, à quoi s’oppose la SNLE (elle-même tout aussi fragile) légalement durant deux années, puis illégalement au-delà ; Péguy envoie donc l’huissier et le différend est réglé devant le Tribunal de Commerce : la SNLE rembourse Péguy avec un échelonnement [46].

Les portes du gymnase Japy refermées derrière les congressistes, les destins se séparent. Les Cahiers vont de leur pas, la SNLE du sien. Ceci est une autre histoire, mais en deux mots la SNLE au 17 de la rue Cujas, avec comme directeur politique Lucien Herr, poursuit non seulement une ligne éditoriale engagée à gauche : la collection Bibliothèque socialiste publie entre 1900 et 1906 trente-sept titres, elle poursuit la publication de la revue Mouvement socialiste où collaborent nombre de militants du Groupe de l’Unité Socialiste [47] : Mauss, Milhaud, Landrieu... ; (cette même revue publie en articles les Réflexions sur la violence de Georges Sorel, pourtant en délicatesse avec Herr), mais encore la SNLE fonde, rue Mouffetard, une École Socialiste, distincte de l’Université Populaire, qui fonctionne quelques années et où donnent des conférences Blum, Simiand, Fauconnet, Lévy et Mauss... [48]

7) Les Cahiers de la rupture

Certes, les Cahiers de la Quinzaine naissent de la rupture entre Péguy et les Cinq, mais plus encore de deux formes d’approche du monde, un pragmatisme réal-historique et un idéalisme mystique-charismatique ; l’un met en jeu des hommes associés vers un but sous l’empire des contingences, l’autre la personnalité d’un seul tendu vers un idéal dé-réalisé, utopique, un seul si puissant de génie qu’il peut et ose rivaliser contre tous les autres réunis. Les uns entrent dans l’Histoire, l’autre dans l’histoire littéraire : il y a changement de plan.

Côté SNLE (et socialistes) il s’agit effectivement de rompre avec Péguy, il faut s’en éloigner, il dérange et compromet certains projets ; côté Péguy, plutôt que de parler de rupture d’abord, il s’agit d’affrontement ; du reste dans les premières années des Cahiers il se fait volontiers l’écho des publications et évènements touchant au monde socialiste. L’inverse ne se voit pas. Il publie encore de Jaurès Etudes socialiste [49], avec dans le même cahier cette « inquiétante préface » [50] : De la raison, en laquelle on retrouve des accents proches du Marcel... mais c’est une mise en garde à Jaurès adressée.

Le dénouement de l’affaire Dreyfus, le congrès de Paris et sa position officielle sur la liberté de la presse, le socialisme « soi-disant scientifique », la sociologie même [51] et le « parti des intellectuels »... Rien de tout cela ne peut satisfaire ses idéaux ; à ses yeux seuls ses Cahiers font foi, (avant que sa foi ne l’emporte ailleurs). Il reste pourtant fidèle jusqu’au bout à ses premières admirations et donne le témoignage fondamental du vieux communard irréductible Maxime Vuillaume : Mes cahiers rouges [52], (posant là Péguy éditeur concurrent direct de la Bibliothèque Socialiste), enfin de 1910 à 1912, en onze livraisons des Cahiers, il publie les archives d’Une famille de républicains fouriéristes - Les Milliet [53] annoncés dès les premières lignes de Notre jeunesse  [54] : « c’est une véritable bonne fortune pour nos cahiers que de pouvoir commencer aujourd’hui la publication de ces archives... », archives sur lesquelles il nous faudra, un jour, nous pencher en détail...

Péguy fouriériste ? D’une certaine façon, oui ; nous sommes habitués (dans nos cahiers à nous) de traiter des fouriéristes pratiquants, ici nous avons tenté de traiter d’un fouriériste croyant.

Cléron, juillet-août 2006


Annexes

Annexe 1

Annexe 2.

Annexe 3

Outre les ouvrages cités en notes, nous avons consulté :

1) Charles Péguy

Marcel, premier dialogue de la cité harmonieuse [Juin 1898], (in fine : De la cité socialiste, [août 1897]), 2 vol, Desclée de Brouwer, avril 1933 [première édition courante, donnée avec commentaires par Marcel Péguy]

Les Cahiers de la quinzaine (Au total 229 livraisons en quinze séries, 1900-1914 ; jamais réédités. [En chiffres romains le numéro de la série suivi du numéro du cahier dans la série]).

En volumes séparés chez Gallimard :

 De Jean Coste (inclus De Jean Coste, Q-IV-3, nov.1902. Zangwill, Q-VI-3, oct.1904. Les suppliants parallèles, Q-VII-7, déc.1905. Louis de Gonzague, Q-VII-8, déc.1905), 1937

 L’Esprit de système [1905-1908], 1953

 Notre jeunesse [Q-XI-12, juillet 1910], 1933

 L’Argent [Q -XIV-6, 16 février 1913 et Q -XIV-9, 22 avril 1913], 1932

Œuvre en prose, vol 1., Pléiade, 1959 ; introduction, chronologie et notes de Marcel Péguy

2) Sur Péguy et les Cahiers de la Quinzaine

Rolandi Ugo, Les Cahiers de la Quinzaine de Péguy, Orléans, Paradigme, in-8°, 2002 (2e éd.).

Bastaire Jean, Péguy l’insurgé, Paris, Payot, 1975, in-8°

3) Utopie, Socialisme, Affaire Dreyfus

Auclair Marcelle, Jean Jaurès, 1859-1914, Paris, Club des Libraires, 1969, in-8°

Bezbakh Pierre, Histoire et figures du socialisme français, Paris, Bordas, 1994, in-8°

Croix Alexandre, Jaurès et ses détracteurs, Éditions du Vieux Saint-Ouen, 1967, in-8°

Duveau Georges, Sociologie de l’Utopie et autres essais, Paris, PUF, 1961, in-8°

Guillemin Henri, L’énigme Esterhazy, Paris, Gallimard, 1962, in-8°

Ligou Daniel : Histoire du socialisme en France, 1871-1961, Paris, PUF, 1962, in-8°

Maret Jean, Ayache Georges, dir., L’identité socialiste, des utopistes à nos jours, Syros, 1987, in-8°

Proudhon P.-J., Idée générale de la révolution au XIXe siécle, Paris, Garnier, 1851, in-12

Riot-Sarcey Michèle, Bouchet Thomas, Picon Antoine, Dictionnaire des Utopies, Paris, Larousse, 2002

Silberling E., Dictionnaire de sociologie phalanstérienne, guide des œuvres complètes de Charles Fourier, Paris, Marcel Rivière, 1911, in-8°

Verlhac Jean, La formation de l’unité socialiste (1898-1905), Paris, L’Harmattan, 1997, in-8°

4) Divers

Abraham Pierre et Desné Roland, dir., Manuel d’histoire littéraire de la France, tome V, 1848-1917. Paris, Messidor/Éditions sociales, in-8°

Duby Georges et Wallon Armand, dir., Histoire de la France rurale, tome 3, 1789-1914, Paris, Seuil, in-4°

Hemeret Georges et Janine, République Française, les présidents, chronologie, iconographie, Paris, TDS, 1994, in-folio

Noël Bernard, Dictionnaire de la Commune, Paris, Flammarion, 1978, 2 vol. in-12