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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

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Article mis en ligne le décembre 2005
dernière modification le 7 mai 2007

 

La prochaine Assemblée générale de l’Association d’Etudes Fouriéristes

Nous tiendrons le vendredi 7 avril 2006 en deuxième partie de journée notre Assemblée générale au Musée des Beaux-Arts de Besançon. Nous serons environnés de portraits familiers ; nous tâcherons de dîner sur-place (buffet) ; notre ami Bernard Desmars nous parlera des banquets qui se déroulaient au XIXe siècle pour l’anniversaire de la naissance de Fourier (un 7 avril, justement).

Expérimentations sociales... expérimentations économiques...

Les Cahiers se proposent d’ouvrir une rubrique consacrée à toutes les expériences historiques ou contemporaines d’expérimentations sociales et économiques qui ouvertement ou sans le savoir font perdurer un esprit fouriériste parce qu’elles reposent sur une idée : on peut conduire « en modèle réduit » des expériences qui ne doivent rien ou qui doivent peu à la logique de notre mécanisme « civilisé ». Produire, consommer, commercer, éduquer autrement ou inventer d’autres modes relationnels, créer de réels espaces de délibération démocratique, tels sont les possibles mis en œuvre à petite échelle ou simplement pensés, proposés à notre sagacité intellectuelle. Cette rubrique doit aussi tirer sa force et vitalité d’un échange avec les lecteurs...

Chantal GUILLAUME

Lyon, ville d’expérimentations : autour d’un livre de Denis Bayon

La pensée de Fourier est une pensée de la dissidence économique, passionnelle, sociale. En rompant avec le projet de révolution politique, elle engage à l’expérimentation sociale en acte, à un ensemble de propositions pragmatiques et inédites d’association. Fourier fait des plans, des propositions concrètes, des prévisions précises pour la mise en place des phalanges. Les préparatifs matériels sont planifiés, codifiés jusqu’à l’idée d’une phalange d’essai comme une expérimentation en réduit de la phalange idéale. Fourier appelle ces expérimentations des « approximations de mécanismes sociétaires » (Le Nouveau Monde industriel et sociétaire, Paris, Anthropos, 1966, p. 380). Il n’est donc pas étonnant qu’il ait pu inspirer au XIXe siècle des pratiques économiques et sociales d’associationnisme nouvelles. Loin de rester pure théorie, le fouriérisme a débouché sur des tentatives réelles d’organisation économique en rupture avec « l’ordre civilisé incohérent ».

Michel-Marie Derrion est entre 1835 et 1838 l’initiateur de la première coopérative de consommation ou première « vente sociale d’épicerie ». Derrion, ouvert aux idées nouvelles, met en application les principes d’une autre organisation du commerce sur la colline lyonnaise de La Croix-Rousse. Lyon est aussi la ville inspiratrice et source de la pensée de Fourier ainsi que des rejets et dégoûts de l’homme Fourier - il dut travailler comme commerçant dans cette ville. Michelet a écrit que c’est Lyon qui a fait Fourier. Et « Lyon est à cette époque tout à la fois la ville où la misère de la classe ouvrière est la plus effroyable (sous l’Empire le pain y coûtera jusqu’à 10 sous le kilogramme tandis que le salaire journalier ne dépasse guère 15 sous) et où abondent les sociétés plus ou moins secrètes de réformateurs, de théosophes, d’illuministes de toutes sortes. Tout se passe comme si l’exploitation industrielle y secrétait un brouillard mystique, une fumée de rêve où elle se console et se dissimule » (André Vergez, Fourier, Paris, PUF, 1969, p. 9). Il ne s’agit pas seulement de se consoler mais de passer à la pratique et à la mise en oeuvre d’une entreprise « d’harmonisation de tous les intérêts », dans une micro-société de « libres égaux ». La cible du combat de Derrion : le commerce, qui fausse les relations avec l’industrie et le consommateur travailleur. Fourier lui aussi fait des commerçants la classe parasite par excellence, cause de la plupart des maux de la société industrielle. Il s’agit selon Derrion de « conquérir pacifiquement le commerce et l’industrie » au profit des travailleurs de tout rang. Il faut faire coopérer ensemble toutes les classes, y compris celle qui possède les capitaux. Le commerce pourrait être, dans le projet Derrion, le levier de la réforme sociale par l’instauration de nouveaux principes d’organisation de la distribution et de la production.

L’épicerie coopérative que Derrion et Joseph Reynier (saint-simonien et fouriériste) créent a pour vocation de mettre fin à « la concurrence malfaisante et oppressive », au laissez-faire que favorise le développement d’une classe commerçante oisive et parasite. Il s’agit de se rendre maître de la distribution pour se détourner des pratiques commerciales que Fourier dénonce comme frauduleuses, sources de surproduction, de spéculation, d’agiotage et même de dégradation de la qualité des marchandises. Derrion lance une souscription pour la fondation d’une vente sociale d’épicerie devant préfigurer la grande réforme sociale. Y répondent favorablement saint-simoniens, fouriéristes et francs-maçons. Le principe de cette épicerie sociale, dont l’enseigne « Au commerce véridique » est déjà une proclamation et un combat, vise à limiter la concurrence malfaisante et génératrice d’effets pervers : baisse des salaires, baisse de la qualité des produits, misère des consommateurs. Fourier est le géniteur imaginatif de cette expression « commerce véridique ».

Le problème est récurrent : la multiplication des échanges, la concurrence « libre et non faussée » seraient l’un des déterminants incontournables de toute organisation économique. Fourier dénonce dans Le Nouveau Monde industriel et sociétaire la croissance exponentielle de cette classe de commerçants improductive et parasite qui favorise la contre-marche des circuits économiques. Gaspillages et surproduction sont les calamités du commerce qui ne peut plus satisfaire les besoins réels. L’aveugle cupidité des marchands pousse, lorsqu’un marché ou un débouché est ouvert, à exporter quatre fois plus de denrées que n’en absorbe la consommation : 100 millions d’étoffe pour vêtir 20 millions d’habitants, dit Fourier. Le commerce en développement est à contresens des besoins et du bien-être des peuples. La banqueroute est un effet certain de cette pléthore de marchandises, « refoulement pléthorique et contre-coup d’avortement » selon Fourier (Le Nouveau Monde industriel et sociétaire, p. 393).

L’analyse de Fourier est plus subtile encore car il repère deux tendances contradictoires dans cette généralisation et amplification des échanges : accumuler un superflu gigantesque et simultanément dépouiller ces marchés d’un approvisionnement nécessaire. Cela signifie développer les échanges et en même temps priver les marchés des produits de première nécessité. Cette organisation de la production-distribution provoque aussi l’incohérence visible des circuits économiques : l’abandon les productions locales au profit d’une importation de produits de marchés lointains. Ne plus s’approvisionner sur les marchés locaux c’est favoriser selon Fourier le parasitisme commercial et le vampirisme du commerce. On aboutit ainsi à ce paradoxe du mécanisme civilisé : générer la pauvreté en civilisation d’abondance. Cette organisation de la concurrence et de l’accroissement du commerce devient contraire à toute rationalité et utilité collective. La liberté anarchique du commerce produit des effets pervers que la science dite « économisme » se refuse à analyser et à prendre en compte. Mystification que ce système, qui élargit le champ des échanges mais en même temps prive du nécessaire.

L’analyse est encore très juste aujourd’hui, surtout dans les pays convertis à la mondialisation des échanges et qui font l’expérience de ce paradoxe : produire pour le commerce international et ne plus pouvoir assurer la production vivrière, c’est-à-dire les produits de première nécessité. Le Brésil est exportateur de céréales et continue d’abriter une masse de pauvres souffrant de malnutrition. La Thaïlande exporte du manioc et souffre aussi de ce mal endémique : la carence alimentaire. La culture commerciale se développe contre la culture vivrière, d’où le paradoxe que seuls les pays riches profitent de cette production. La mondialisation des échanges n’a rien de rationnel puisqu’elle favorise une concurrence excessive dérégulatrice des économies, source de pauvreté pour une partie des populations. Fourier aurait encore aujourd’hui confirmation de ses thèses sur le parasitisme du commerce mondial. Il pourrait faire ce constat amer que ce qu’il déplorait au début du XIXe siècle n’a cessé de s’aggraver : le développement exponentiel du commerce et la persistance de la pauvreté. On exporte ce qui est produit en monoculture et on importe ce qui est nécessaire. Au Ghana, le cacao occupe 56 % des terres cultivées, au Sénégal, l’arachide en occupe 52 % (voir le chapitre « Leur faim, notre assiette » du livre d’André Gorz : Les chemins du paradis et l’agonie du capital, Paris, Galilée, 1983). Dans une optique fouriériste l’aberration du commerce mondial est encore avérée, avec la dégradation de la qualité des produits et l’accroissement de la longueur des circuits économiques. Dans les pays industriels, la nourriture a parcouru des milliers de kilomètres avant d’arriver dans nos assiettes. Fourier serait scandalisé de l’état de la planète et de l’épuisement de ses ressources, lui qui déplorait déjà les destructions « écologiques » de son époque. Ni Derrion ni Fourier ne mettent pourtant fin à la concurrence mais ils se gardent bien de la favoriser partout comme ici. La concurrence bienfaisante est pour Derrion un facteur d’émulation, de perfectionnement industriel, mais elle peut être annulée par l’excès de concurrence malfaisante qui induit fraude et baisse de qualité. La concurrence commerciale comme seul et unique principe d’organisation sociale apparaît contre-performante.

Revenons à cette expérience d’une épicerie coopérative à Lyon. Elle affiche comme vocation de contrôler démocratiquement les opérations de commerce, d’assurer l’approvisionnement des produits de qualité aux ouvriers et constituer un fond social dont l’utilisation est débattue démocratiquement. Sept magasins sont ouverts : épicerie, charcuterie, boulangerie... Ces entreprises sont bénéficiaires (bénéfices redistribués pour la solidarité : retraite, chômage et éducation) mais elles ne durent que trois années, mises à mal par la crise économique qui sévit entre 1836 et 1837 : « vie et mort du commerce véridique ». En 1848, «  La Société des travailleurs unis » qui comprend des saint-simoniens, des icariens, des fouriéristes, tente une nouvelle fois de mettre en harmonie la production et la consommation au moyen d’un système d’échange de marchandises contrôlé. Sur le plateau de La Croix-Rousse voient le jour : une boulangerie, une charcuterie, six épiceries. En 1851, le coup d’Etat met fin à ces expériences économiques et politiques. Les militants sont dispersés et emprisonnés. Aujourd’hui des embryons d’épicerie coopérative voient le jour qui tissent un lien direct entre producteurs et consommateurs. Le but est de court-circuiter l’intermédiaire ou le commerçant mais surtout de privilégier une nourriture de qualité essentiellement « biologique ». Elles n’ont pas conservé cette volonté de constituer des fonds sociaux comme dans l’expérience de Lyon mais elles prennent en compte cette nécessité de relocaliser l’agriculture, anticipant la fin du pétrole à bon marché.

L’expérience de Michel-Marie Derrion est présentée par Denis Bayon qui donne en annexe des textes de Derrion parus dans L’Indicateur (20 déc. 1834-25 janv. 1835). Lyon, ville d’expérimentations et d’alternatives, n’a pas fini de faire parler d’elle : signalons aussi le livre de Mimmo Pucciarelli, chez le même éditeur : « Les expériences collectives de La Croix Rousse, 1975-1995, Lyon, 1996. La tradition lyonnaise perdure !

Denis BAYON, Le commerce véridique et social de Michel-Marie Derrion, Lyon, 1835-1838. Lyon, Editions Atelier de Création Libertaire, 2002.

Lyon, ville d’expérimentations : la décroissance, utopie ?

En 1999 paraissait à Lyon le premier numéro de Casseurs de pub, la « Revue de l’environnement mental » directement inspirée de la revue canadienne Adbusters (« Casseurs de pub », 11 place Croix-Pâquet, 69001 Lyon). Revue de l’environnement mental car la solution de la crise écologique ne se trouve pas dans un ordinateur mais dans la tête de chacun de nous. Changeons et le monde changera, tel est le slogan de Casseurs de pub qui est aussi une exhortation à consommer et à vivre autrement. Cette publication est une invite à inverser nos conduites et notre culture de la consommation, à pratiquer « l’écart absolu » (Fourier). L’image publicitaire détournée et revisitée avec de l’humour et d’autres valeurs, redonne du sens à l’existence sociale soumise aux injonctions publicitaires permanentes. Les campagnes d’affiches : journée sans achat, journée sans télévision sont des incitations à se questionner et à résister aux impératifs de la consommation et à sa normalisation. C’est encore La Croix-Rousse, la colline des canuts lyonnais, qui fait naître cette forme de résistance sociale. Le 5 mars 2004 Casseurs de pub lance La Décroissance, le Journal de la joie de vivre, un bimestriel dont la page de titre annonce l’esprit de cette publication : « 20 % de l’humanité consomment 80 % des ressources naturelles. Nous consommons deux planètes, alors on arrête les bêtises ». Ce journal vise à opérer une prise de conscience : la décroissance est une urgence imposée d’une part par la finitude de la planète et d’autre part par les inégalités croissantes au niveau mondial.

La décroissance est un appel raisonné et réfléchi à inverser la marche de notre civilisation : favoriser la sobriété dans nos modes de produire et de consommer pour enrayer ce mouvement inexorable des sociétés industrielles de destruction des matières premières et des sources d’énergie de la planète. Les dégâts de la croissance sont aujourd’hui connus et toujours plus alarmants car ils sont irréversibles : dégâts sociaux, environnementaux, changements climatiques. Les mots croissance et développement sont toxiques car ils ne sont jamais questionnés ni analysés : exploiter, tirer profit dans une expansion illimitée des ressources humaines et naturelles. Le constat est sans appel et impose de nouvelles catégories de pensée. Par exemple : le concept de bioéconomie forgé par Nicholas Georgescu-Roegen (qui lui même est l’inventeur du concept de décroissance). Il faut selon lui intégrer dans le cycle économique le métabolisme global de l’humanité car le processus économique mis en place depuis deux siècles est de nature entropique : il produit plus de désordre que d’ordre, il épuise irréversiblement nos ressources. Dans le cycle économique entrent énergies et matières premières et des déchets irréductibles en ressortent. Ce nouveau paradigme, la bioéconomie, n’entre pas dans le discours orthodoxe de l’économie de la croissance qui ignore les conséquences de cette sacro-sainte croissance dont sans cesse au contraire on invoque les bienfaits indiscutés. Et on prie tous les jours le Dieu-croissance qui devrait résoudre tous nos problèmes. Cette civilisation va à contre-marche, aurait pu dire Fourier. La pensée de la décroissance est aussi une révolution épistémologique car elle incite à changer nos modèles de pensée et de représentation des activités économiques en intégrant les biocapacités de la nature mais aussi tous les coûts de nos pratiques : coûts sociaux, environnementaux, climatiques ; elle inverse les paramètres de la comptabilité économique. Pour l’économie orthodoxe, le cyclone Katrina est bon pour le produit intérieur brut et la croissance. Contre-marche, encore !

La décroissance comme choix personnel invite à tester, expérimenter de nouveaux modes de consommation, de travail, de déplacement et d’organisation sociale. Utopie si ces expérimentations demeurent dans la sphère de l’imaginaire politique, mais comme pour les projets concrets de phalanstères de Fourier, elles peuvent être des embryons d’expériences réelles d’inversion sociale, des « essais en miniature » et surtout des sorties partielles des aliénations multiples de la société du produire-consommer. Mais la décroissance comme choix démocratique est aussi un combat politique car il ne faut pas attendre la décroissance imposée par les lois mêmes de la nature, par l’épuisement des ressources et les catastrophes climatiques. L’écofascisme serait cette possibilité que notre aveuglement, c’est à dire notre incapacité à prendre des décisions aujourd’hui, nous prive du pouvoir de choisir demain notre organisation politique et économique. Jean-Pierre Dupuy avertit : « Ou le débat démocratique au sujet des nouvelles menaces va porter de plus en plus sur les limites que les sociétés industrielles vont devoir s’imposer à elles-mêmes, en coordination les unes avec les autres, ou bien c’est un écofascisme terrifiant qui risque d’imposer sa loi à la planète. » (Jean-Pierre DUPUY, Pour un catastrophisme éclairé, quand l’impossible est certain, Paris, Seuil, coll. Points, 2002. p. 96). Remarquons au passage que le paradigme de la bioéconomie exige de penser global non pas local. « Plus, c’est mieux » : il faut se défaire de cet imaginaire économique du capitalisme. La croissance comme but de toute organisation sociale ne conduit pas à favoriser les échanges humains, la solidarité, la valorisation des talents et la jouissance du temps de vie. La décroissance en ce sens n’est pas un renoncement à ce que les Lyonnais nomment en sous-titre la joie de vivre.

Fourier aurait-il été un partisan de la décroissance ? Question saugrenue ? Il est certain qu’il interrogeait déjà les aberrations de nos circuits économiques, la dégradation de la qualité de nos produits, la surproduction inutile... la misère engendrée par l’abondance même. Il invitait à retrouver les modes du produire et du consommer de proximité. Il se plaisait déjà à fustiger l’économisme. La décroissance fait aussi le pari de s’accompagner de plus de relations sociales de solidarité et de convivialité. Elle se veut joyeuse, équitable, en rupture avec les frustrations et les faux désirs de la société de consommation. Est-ce fouriériste ? Sûrement si pour Fourier le but social n’est pas accumuler et produire mais favoriser l’émergence des attractions passionnelles réprimées par la civilisation et refonder des liens sociaux multiples.

On ne peut pourtant s’empêcher de pointer un malaise qui nous envahit parfois à la lecture de La Décroissance. En effet le catalogue des ordres et recommandations pour atteindre ce but ressemble étrangement à un catéchisme d’un nouveau genre : tu te débarrasseras de ton ordinateur, de ton aspirateur, tu renonceras à acheter des livres, tu ne te laveras pas aussi souvent, tu te déplaceras exclusivement à vélo... Les conduites requises, quasi religieuses, de la décroissance seraient à même de générer elles aussi leur lot de culpabilité. Il faudrait se garder une nouvelle fois de toutes « les lignes politiques » et de toutes les formes de fondamentalisme. Dans le dernier numéro, Paul Ariès a cette initiative heureuse de préciser que la décroissance est encore le choix de la simplicité volontaire, c’est dire qu’il n’impose aucune ligne de conduite, aucune normalisation. Chacun pourrait choisir la décroissance à son rythme, selon ses impératifs et ses nécessités. On préfèrerait cette version de la pensée de la décroissance. Fourier serait d’un grand secours pour nous rappeler que les êtres sont multiples, pluriels, que leurs passions différent et que l’on peut les faire converger dans l’harmonie de leurs différences.

C. G.

« La Fraternelle », Maison du Peuple à Saint-Claude (Jura)

Octobre gris et sombre, plafond bas, crachin, sept degrés ; visite amicale à « La Fraternelle » de Saint-Claude, haut lieu du mouvement coopératif syndical jurassien d’abord, mais hexagonal aussi. Saint-Claude, aucun souci évident de coquetterie, dure, froide, industrieuse, cela se sent aux longs vitrages des bâtiments en gradins vers la Bienne qui coule en contrebas furieuse sous l’écume, cela se lit aux murs usés, aux toits en dents de scie des manufactures presque abandonnées ; çà et là un immeuble neuf, un parterre fleuri, un jardinet public, des parking... Vivre ici, vivre là... il faut tenir, tenir, est-ce là la raison des fraternités ?

En 1881, le Cercle Ouvrier de Saint-Claude fonde « La Fraternelle », coopérative alimentaire. Il s’agit de mettre en pratique l’idéal communiste icarien cher à Cabet, un voisin : créer une coopérative de consommation alimentaire dont les bénéfices seront affectés à la réalisation d’œuvres sociales. Ambitieux, dans une ville tenue par la bourgeoisie réactionnaire, cela ne se fera pas sans efforts, sans sacrifices... tous les coopérateurs non plus ne sont mus par des vertus laïques et fraternelles ; il n’empêche, le principe social, sociétaire et communautarien (au sens des fouriéristes) est vif alors, particulièrement dans ces pays où la rigueur du climat vous tient. On est héritier des grands ancêtres dont on se passe les livres mais aussi des tentatives lyonnaises (cf. l’analyse de Chantal Guillaume sur Le Commerce véridique et social de Michel-Marie Derrion) mais encore des ouvriers diamantaires parisiens venus former leurs camarades ; on s’intéresse à l’avant-garde : les Maisons du Peuple fleurissent en Belgique, celle de Bruxelles sera inaugurée en 1899, on noue des liens avec Gand, ses ouvriers et les « Vooruit »... on échangera nos délégations...

Les coopérateurs san-claudiens achètent en 1894 une bâtisse, un petit hôtel particulier au plein centre de la ville, rue de la Poyat où la Fraternelle se trouve encore, on y installera les premières boutiques et les foudres de vin ; ce n’est pas très grand, mais des terrains libre jouxtent la bâtisse, qui descendent vers la Bienne. En septembre 1899 la décision est prise : il faut investir et agrandir, il faut bâtir le socialisme de demain, c’est sûrement ce qu’a dit dans son discours Jean Jaurès venu soutenir le projet en novembre. Cela ne va pas sans efforts... il faudra encore attendre près de dix ans pour que le chantier s’engage, La Frat comme on dit familièrement est inaugurée en 1910.

Elle se développera sur 4000 m² (outre une quinzaine de succursales dans le département). On y trouvera épicerie, boucherie, charcuterie, vins, liqueurs, charbon, torréfaction, fours à pain, café-restaurant, écuries, garages, etc. mais la fierté c’est ce qui nourrit l’esprit : théâtre, cinéma (dès 1937), bibliothèque, gymnase, imprimerie, bourse du travail, université ouvrière... La Frat connut un développement croissant jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, puis ce fut le lent déclin. Autres temps, autres mœurs... Échue à la ville de Saint-Claude, c’est une association loi 1901 créée en 1984 qui reprit en main le destin de La Fraternelle, y poursuivant l’activité culturelle et éducative : cinémas, théâtre, arts plastiques, imprimerie-édition, café-concert, bibliothèque, archives.

Dans la cour, en saillie à l’étage, la cabine de projection, quatre équerres en fer forgé la soutiennent, chacune portant un début de partition : l’Arlésienne, le Beau Danube bleu, l’Internationale et Le Temps des Cerises... Alain Mélo, Michel Bastien, merci pour votre accueil. Un projet pour l’Association d’études fouriéristes et pour les Cahiers Charles Fourier  : une Assemblée Générale au printemps 2007 à La Fraternelle, salle du café-concert avec soirée jazz... Nous vous en reparlerons en temps et heure.

Michel GUET

Soutenance de thèse

Florent PERRIER, « & l’utopie : pour l’art. Esquisses sur les rapports entre l’art, l’utopie et le politique à partir des œuvres de Claude-Henri Saint-Simon et de Charles Fourier », thèse de doctorat en Arts et Sciences de l’Art, dir. Marc Jimenez, université Paris-1, 16 décembre 2004.

Avec la rupture politique et sociale représentée par la Révolution française de 1789, avec les bouleversements précisément provoqués par cette rupture dans l’imaginaire des peuples occidentaux, dans leurs mentalités, le regard porté sur l’utopie évolue de manière radicale et cela, justement, dans le sens d’une radicalité politique inédite. Restée jusqu’alors essentiellement cantonnée aux rêveries littéraires ou aux visions bucoliques dénuées de toute incidence sur le réel, l’utopie se transforme, à partir de cette période mouvementée, en un moyen d’action destiné à rendre effectivement sensible la possibilité même d’une société autre. A cet égard, traditionnellement présentées comme fondatrices d’un socialisme encore balbutiant - le « socialisme utopique » -, les œuvres de Claude-Henri Saint-Simon (1760-1825) comme celles de Charles Fourier (1772-1837) apparaissent, fort de leurs singularités propres, fort de leurs disparités, comme l’une des traces principales de cette métamorphose de l’utopie passée, dès l’aube du XIXe siècle, dans la sphère plus concrète d’une résistance à l’ordre établi. A ces ruptures historiques qui affectent ainsi l’espace du politique se joignent en outre, dans le même temps, des changements essentiels quant à la place de l’art et de l’artiste dans la société, quant à leur rôle à l’avant-garde d’une société à venir, autant d’interrogations ou de réflexions développées au sujet de l’art en ses implications directement politiques et dont les œuvres de Saint-Simon ou celles de Fourier exposent d’ailleurs les tout premiers linéaments. Héritiers critiques de la Révolution française, fondateurs d’un socialisme encore innommé, sources mal connues d’un engagement de l’art pour la construction d’une société plus juste, les écrits de Saint-Simon et ceux de Fourier, parce qu’ils figurent très exactement à la croisée de ces différents domaines alors en pleine mutation, constituent la base de ce travail de thèse, la base de ces esquisses destinées à éclairer, au final, la genèse des rapports modernes et contemporains entre l’art, l’utopie et le politique.

Elaborée à partir des écrits de Saint-Simon et de Fourier - et non à partir des « écoles » qui s’en réclament -, cette recherche s’inscrit donc principalement dans le cadre historique, politique et artistique de la première moitié du XIXe siècle français même si, par ses visées aussi bien que par les analyses qui l’ont nourrie, sont fortement présents les travaux de Karl Marx, de Walter Benjamin, d’Ernst Bloch ou, plus contemporains, ceux de Louis Marin, de Pierre Klossowski ou encore de Miguel Abensour. Cinq thématiques principales - du corporel  ; de la communauté  ; du politique  ; du déplacement  ; du discours critique - constituent l’armature théorique de cette recherche : autant de points d’ancrage pour une étude des écrits de Saint-Simon et de Fourier (lesquels sont par ailleurs abordés de manière distincte et selon leurs spécificités propres), autant de points de vue également privilégiés afin d’ouvrir, simultanément, des perspectives et des espaces d’interrogation sur les rapports actuels entre l’art, l’utopie et le politique.

Le destin du corps et de ses pulsions, le destin des désirs exprimés par l’individu dans le cadre d’un monde en pleine transformation - ce monde de l’apparition et de la domination d’un capitalisme indifférent aux singularités et sourd à leurs revendications -, tel est le noyau principal autour duquel se déploie la question du corporel. Exposé aux mutilations et aux contraintes corporelles, diminué par la pauvreté aussi bien que par le dressage qui lui est imposé, morcelé en son corps comme en son être, devenu à soi-même indéchiffrable, le sujet - ce sujet des éternels « vaincus » - se voit en effet nié par une société qui s’oppose avec virulence, en ce début du XIXe siècle, à tout développement de ses potentialités immanentes. Devant ce constat dressé sans appel par Saint-Simon et par Fourier, ces derniers explorent les voies - utopiques - d’un épanouissement sans limites des passions humaines, les voies d’une libération générale des potentialités qui tendrait dès lors vers la constitution, à venir, d’un homme intégral. Il s’agit ainsi, et plus particulièrement chez Fourier, d’accroître et de varier les désirs, de placer le travail et l’économie générale de la société sous le signe du plaisir - non de ménager, grâce aux loisirs, des espaces consolateurs -, soit de faire proliférer les jouissances, de relancer en permanence les désirs et cela, critiquant de manière subversive l’arbitraire des normes et des conventions, afin de rendre constamment possible des ouvertures vers l’autre : vers la possibilité même d’un enrichissement réciproque et infini des singularités. Restituer au sujet sa dimension intrinsèquement plurielle, faire droit à ses désirs les plus spécifiques, c’est ouvrir non seulement l’espace du politique à la figure d’un homme émancipé mais, ce faisant, c’est préfigurer aussi l’existence même d’une communauté réconciliée, une communauté dont chacun des membres pourrait dès lors être, de la manière la plus essentielle, artiste en puissance.

Cette communauté espérée, il est précisément du ressort des artistes de la rendre possible et l’avant-garde des artistes a justement pour mission - notamment chez Saint-Simon qui, le premier, formule et développe cette idée - de pressentir, de désirer et d’appeler le peuple à venir grâce à la puissance des beaux-arts, grâce à la force de l’imagination. Renforcés dans leur autonomie, libérés des servitudes imposées par le pouvoir, les artistes deviendraient ces guides susceptibles d’acheminer le peuple vers le lieu même de son émancipation, ces précurseurs vigilants susceptibles de constituer ainsi, par les arts, à travers leurs œuvres, une conscience collective nouvelle. L’objet de cette deuxième thématique - de la communauté - est dès lors d’explorer les différents mécanismes de cette mobilisation et de cet entraînement des consciences par l’art, de mettre à jour la spécificité de ces relations entre l’art et l’enthousiasme populaire, celles qui favorisent, par l’intermédiaire du développement d’un art actuel, un art en prise avec son temps, un art « social », le changement des mentalités et le bouleversement consécutif de l’espace du politique. Ainsi prendrait forme, à travers le partage collectif du sensible, une association dynamique des singularités émancipées, soit une communauté en mouvement et dont les liens tissés entre les individus, des liens de prime abord sensibles, seraient toujours plus renforcés aussi bien que relancés par la propagation de sentiments sociaux : par un ensemble de pratiques créatrices qui, comme l’opéra chez Fourier, mêlant le cultuel au culturel, cherchent à offrir à tous, dans le cadre d’une communauté envisagée telle une sculpture sociale, la possibilité d’un épanouissement effectif de leurs potentialités qui puisse être, dans le même temps, précisément constitutif de cette même communauté.

Si les deux premières thématiques abordées dans cette recherche soulignent la place et l’importance du sensible dans les œuvres de Saint-Simon et de Fourier, c’est aussi afin de pouvoir mettre en exergue - dans la première partie du politique - combien l’interprétation tendancieuse de leurs écrits par une tradition socialiste dominante a justement conduit à négliger cette dimension ; du « socialisme utopique » au « socialisme scientifique », la rationalisation des discours utopiques a en effet débouché sur la perte du recours au sensible, l’héritage marxiste orthodoxe - et non pas seulement l’œuvre de Marx, trop souvent détournée - occultant délibérément le rôle joué par l’art dans ces écrits et, partant, son importance pour l’émancipation à venir du peuple. La reconquête de l’espace du politique par le peuple émancipé suppose en effet clairement, pour Saint-Simon comme pour Fourier, la mobilisation des arts, la mobilisation du pouvoir spirituel conféré aux artistes et leur implication constante dans la vie de la communauté. A cet égard, est plus particulièrement abordée ici la question de l’architecture, celle de son rapport à l’organisation des différents pouvoirs au sein de la société, son influence ainsi que celle des arts collectifs sur l’aménagement d’un territoire enfin ouvert aux libres mouvements de ceux qui le traverse et l’anime. L’éducation, en tant que politique du déploiement des sensibilités, occupe d’ailleurs une place fondamentale dans cette économie générale de la société et ce dans la mesure où elle contribue justement à développer autant l’intelligence que la sensibilité : à rendre précisément sensible les possibilités offertes au corps comme à l’esprit de pouvoir s’émanciper, de pouvoir se réapproprier pleinement, à terme, l’espace même du politique.

De la place accordée au corps à l’organisation de l’espace du politique pour une communauté émancipée, les trois premières thématiques développées dans cette recherche exposent et analysent donc plus spécifiquement, à travers les écrits de Saint-Simon et de Fourier, les liens de contiguïté tissés par eux entre l’art et le politique.

Les thématiques du déplacement et celle du discours critique interrogent et soulignent quant à elles, plus étroitement, le travail de l’utopie à l’œuvre dans les textes de Saint-Simon et de Fourier, ce travail qui, déployé aux limites mêmes de l’art et du politique, est précisément destiné à faire évoluer ces limites, à les rendre mouvantes et malléables, à les trouer d’échappées afin de dégager les espaces d’une libération possible de la société, les espaces pour l’émancipation à venir de l’ensemble de ses membres. Ainsi, le paysage se transforme - chez Fourier par exemple - en un espace ouvert à de multiples étoilements, c’est-à-dire en une étendue composée de parcours infinis où viennent à se rencontrer et s’enrichir mutuellement les singularités disparates qui précisément composent, en tant que telles, la communauté. Il devient dès lors possible, selon l’image du réseau maintes fois convoquée par les deux auteurs, de circuler au rythme de bifurcations sensibles et de dépasser par là, au profit d’une décentralisation permanente et d’une dissémination des moindres pouvoirs, toute organisation centralisée et hiérarchisée du politique. Contre le système des limites et des clôtures territoriales ou idéologiques, contre le conservatisme et la répression qui leur sont afférents, Saint-Simon comme Fourier privilégient ainsi l’outrepassement de toutes limites instituées, leur dépassement au profit d’échappées subversives susceptibles de venir mettre à jour la possibilité même d’une société autre. Apparaît dès lors, dans leurs œuvres, cette figure récurrente de déplacements critiques permanents - déplacements et décentrements du regard comme de la pensée -, soit le refus de toute assignation ou encore cette volonté farouche d’entretenir un déséquilibre constant vis-à-vis de l’existant, vis-à-vis du monde-tel-qu’il-est : cette volonté d’en dévoiler en définitive l’arbitraire et le caractère hégémonique.

Cette distance critique entretenue face à la représentation convenue et consensuelle de la société de leur temps, Saint-Simon et Fourier en jouent en outre à l’intérieur même de leurs écrits, mettant en scène une politique du simulacre là encore destinée, par un travail sur l’ambiguïté ou sur l’ironie, à trouer de possibles la réalité systématiquement donnée pour immuable. A travers leurs discours et leurs postures utopiques -plus précisément abordés dans du discours critique -, sont ainsi mises à jour un ensemble de pratiques critiques de l’écart qui, par l’intermédiaire du doute notamment ou par une utilisation hétérodoxe du langage et de ses codes, travaillent en profondeur la réalité même afin d’en étendre justement le périmètre « officiel » à des possibilités faisant brèche et ouvrant dès lors vers une société autre. A cet égard, la posture utopique à l’œuvre aussi bien chez Saint-Simon que chez Fourier est une posture critique engagée au présent du subversif, soit une posture destinée à dévoiler ici et maintenant, derrière les discours narcotiques tenus par les tenants de l’ordre établi, des espaces propices au déploiement effectif de cette société autre. Se faisant tour à tour barbares ou corps étrangers, perçus tour à tour comme des barbares ou des corps étrangers et, pour cette raison, fortement stigmatisés, Saint-Simon et Fourier usent ainsi de l’intrusion du mimétique, du jeu ou de l’écart absolu, ils usent du mouvement même de l’utopie et de son insatisfaction critique permanente pour mieux consteller de failles le monde-tel-qu’il-est et rendre dès lors sensible, aussi bien qu’appréhendables, les promesses d’une société autre maintenue jusqu’alors sous silence.

L’introduction à ce travail de thèse, à ces esquisses sur les rapports entre l’art, l’utopie et le politique, a par ailleurs permis d’avancer, de développer et de théoriser, à partir des œuvres de Saint-Simon et de Fourier, un certain nombre de traits inhérents au mouvement même de l’utopie : autant de caractéristiques propres au discours et à la posture utopiques et qui, soulignées au fil des cinq thématiques abordées, permettent d’en repérer les conjonctions singulières ou les effets de contiguïté à l’œuvre avec l’art comme avec le politique. Cette recherche est ainsi traversée, de part en part, par la volonté première de mettre finalement en exergue le travail spécifique de l’utopie aux bords du politique, aux marges de l’art, par la volonté d’en montrer les interactions fécondes ou les échanges et partages avec ces deux « domaines » et d’en relever ce faisant la singularité extrême : en relever le mouvement même, sa subversion inentamée, mais relever aussi, plus spécifiquement, l’ouverture permanente de son sens et cela : pour l’art - & l’utopie : pour l’art -, pour un art non pas abstrait ou bien encore exempt de ses responsabilités politiques mais un art qui, au contraire, héritier et voix affirmée d’une esthétique de la résistance toujours plus vigilante, relèverait le défi, tiendrait le pari ou prendrait le risque, aujourd’hui encore, de rendre sensible la possibilité même d’une société autre.

Florent PERRIER

Le portrait de Considerant par Jean Gigoux

Nous avons relevé dans l’article consacré en 1977 par Marie-Lucie Cornillot, conservateur des Musées de Besançon à « La salle des sociologues comtois au Palais Granvelle » publié dans les Procès-verbaux et Mémoires de l’Académie de Besançon, le passage suivant : « Nous aurions bien aimé y faire figurer [à une exposition du Musée de Besançon] deux portraits de Considerant par Gigoux. L’un, un dessin exposé par l’artiste au salon de 1849, appartint à la famille Considerant. L’autre, un portrait peint, fut présenté au salon de 1893. Il n’est pas mentionné dans le testament de Gigoux, mort en 1894, et n’a pas été non plus la propriété d’Auguste Kleine, exécuteur testamentaire de Considerant. » C’est évidemment ce tableau qui a été trouvé chez un brocanteur des Andelys par M. Petit et qui figure sur la couverture des Cahiers Charles Fourier 15. A ce même salon de 1893 a été exposé aussi un buste de Fourier par Syamour dont la trace était aussi perdue. On peut conjecturer que c’est lui le portrait de Fourier que l’ancien propriétaire du portrait de Considerant a acheté avec celui-ci chez le libraire Privat en 1935. En ce cas on pourrait espérer qu’il soit retrouvé à son tour. Marie-Lucie Cornillot a noté aussi que Considerant figure dans un grand tableau de Gigoux, L’Atelier du peintre, qui se trouve au musée de Besançon. Considerant est debout derrière le canapé où est assis Max Buchon, quoique le catalogue de l’exposition « Gustave Courbet et la Franche-Comté » (Musée de Besançon, 2000) où ce tableau est reproduit, ne le mentionne pas au nombre des assistants.

Jean-Claude DUBOS

Documentaires

Un excellent documentaire de la série « Les aventuriers de la République » consacré à Jean-Baptiste Godin et au Familistère de Guise, très bien documenté et illustré, comprenant notamment une interview de Simone Debout, a été présenté en 2004 à plusieurs reprises sur la chaîne Toute l’Histoire ainsi que sur France 3 Bourgogne-Franche-Comté. Par contre, il est vraiment regrettable que le documentaire de 55 minutes sur Charles Fourier, tourné en 1997 à Paris, Condé-sur-Vesgre et Besançon par la société France-Mexique Cinéma, avec notamment des interviews de Simone Debout, René Schérer, Gaston Bordet et Jean-Claude Dubos, et de madame Lavallée (conservatrice des Musées de Besançon) n’ait pas encore été monté. Malgré l’existence de chaînes spécialisées - Histoire ; Toute l’Histoire, etc. -, on ne peut que déplorer la quasi-inexistence de documentaires relatifs à la France du XIXe siècle. Sauf erreur de notre part, mais nous n’avons pas visionné l’ensemble de la production et nous serions heureux d’être démenti, nous n’avons relevé, en dehors de Simone Debout, citée plus haut, la participation d’aucun collaborateur des Cahiers à des productions audiovisuelles de quelque nature qu’elles soient. C’est une situation dont il me semble nécessaire de se préoccuper, car il faut prendre conscience que depuis quelques décennies nous sommes entrés dans l’ère de l’audio-visuel c’est-à-dire de l’image et du son, ce qui est en somme un retour aux interrogations du Moyen Age où les cathédrales étaient des Bibles de pierre et de vitraux. Le défi bien pesé par Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris (« Ceci tuera cela », le livre tuera le monument) se pose de nouveau (« L’image tuera le livre. ») Certes, on peut penser qu’internet sera la réponse à la question. Mais internet est-il vraiment un instrument de culture ? J’ai l’impression qu’il s’agit d’une espèce de bazar ou de supermarché mondial dans lequel on trouve tout et surtout n’importe quoi et où les charlatans doivent être légion. Il me semble qu’il vaudrait mieux investir les places qui (à tort ou à raison) passent pour les hauts lieux de la culture historique audiovisuelle : les chaînes Histoire, Toute l’Histoire, Planète, que les historiens français ont tort de dédaigner. 90 % des documentaires sont anglais ou américains et cela aussi pose un problème, qui n’a d’ailleurs rien à voir avec leur qualité.

Jean-Claude DUBOS

Marginalia

Marginalia est le Bulletin bibliographique des études internationales sur les littératures populaires (de la science-fiction au fantastique, de la bande dessinée à l’érotisme, du roman policier au roman historique, etc.) Il est accessible sur internet. Il y a dans Marginalia 44 (mars 2005) un beau “mini-dossier utopies”. Le voyage commence avec AGATHOCLEOUS, Tanya, “At Home in the City ; Cosmopolitanism, Urban Spectacle and Utopia in British Literature”, 1850-1925, thèse de doctorat, Rutgers, State University of New Jersey, 2003, 185 pages. Il s’achève avec WALKER, Gary L., “Evolving toward Utopia : An Exploration of Evolutionary Ideas in Utopias at the Turn of the Nineteenth Century”, thèse de doctorat, Arizona State University, 2004, 170 pages. Sur la route : AMBJÖRNSSON, Ronny, Fantasin till makten : utopiska idéer i västerlandet under femhundra ar, Stockholm, Ordfront, 2004, 242 pages. [Thomas More, Emmanuel Swedenborg, William Morris, Charles Fourier, Anders Kempe & Charlotte Perkins Gilman], PRINCE, John Stuart, “Utopia Victoriana : The Utopian Novel in Late Victorian Britain, 1871-1905”, thèse de doctorat, Ball State University, 2003, 185 pages, et bien d’autres. Le numéro 47 est prévu pour décembre 2005. Marginalia est l’œuvre de Norbert Spehner (Québec). nspehner@globetrotter.net

Thomas BOUCHET

« Comme un petit phalanstère » ?

La « signalétique patrimoniale » mise en place dans Besançon (40 panonceaux) a provoqué une polémique à propos du square Saint-Amour. Reprenant une formule employée par Lyonel Estavoyer dans Besançon, ses rues, ses maisons (1980), il porte : « Au n° 7, la maison Savoye [...] était une fabrique d’horlogerie conçue comme un petit phalanstère où les appartements du directeur, les logements des ouvriers et les ateliers s’organisaient derrière une façade très bourgeoise. » L’auteur se défend en disant qu’il ne parle pas d’un phalanstère, mais d’un immeuble conçu comme un phalanstère. En quoi cela supprimerait-il le problème ? Car si l’immeuble n’est certes pas un phalanstère, il n’est pas davantage conçu « comme » un phalanstère. Définition du Petit Larousse : « phalanstère : vaste organisation de production au sein de laquelle les travailleurs vivent en communauté, dans le système de Fourier. » Réalité de l’immeuble du square : dix ateliers distincts, aux fenêtres horizontales, chacun lié à l’appartement d’un patron horloger indépendant, et chacun employant cinq ou six ouvriers, dix au maximum ; et il n’y a pas un « directeur » mais autant de patrons que d’ateliers ; les ouvriers habitent Battant, ou Rivotte, et accèdent aux ateliers par des ateliers de service situés à l’arrière de l’immeuble (d’autres immeubles, certains sur le square, hébergent 4 ou 5 ateliers, souvent sur cour ou dans les étages). Le panneau indique que l’immeuble en cause abrite ateliers, patrons et ouvriers, ce qui est donc faux : il n’y a pas de communauté de vie dans l’immeuble, et la communauté de travail dans chacun des ateliers est celle de n’importe quelle unité industrielle d’hier ou d’aujourd’hui, sans aucune référence au système de Fourier.

L’immeuble ne contient pas plus « une fabrique », comme il est écrit sur le panneau, qu’un « phalanstère » : quelque 400 autres ateliers de même structure existent dans la ville au plus fort de l’activité horlogère et forment tous ensemble « la » fabrique d’horlogerie de Besançon organisée sur le même type que « la » manufacture d’armes de Saint-Etienne : un ensemble d’ateliers produisent les différentes pièces (fabricants d’aiguilles, fabricants de ressorts, de pignons...), d’autres horlogers pratiquent l’assemblage des pièces (monteurs de boîtes...), d’autres encore assurent la distribution des pièces entre les différents partenaires ou la commercialisation du produit fini. Chacun des ateliers participe à son niveau à l’élaboration de ce qui, une fois monté, devient une montre, et Besançon fabrique vers 1870 90 % des montres françaises. De ce fait, la référence au système phalanstérien entraîne une lecture fausse de l’édifice et surtout - c’est cela qui m’importe - de ce qu’est l’horlogerie dans la ville, de l’impact architectural qu’elle a eue pendant toute la seconde moitié du XIXe siècle dans toute la boucle, et depuis dans la rue Gambetta, l’avenue Denfert-Rochereau et l’avenue Carnot, ou encore le quartier de la Mouillère, etc. L’aboutissement de cet esprit architectural novateur, directement lié à l’état du système économique, est la construction de l’usine Dodane, avenue de Montrapon, ou l’immeuble en étoile de la rue de la Mouillère. Pas d’horlogers fouriéristes à Besançon (ni proudhoniens d’ailleurs) qui auraient construit sur le square Saint-Amour un immeuble hors normes dans sa conception sociale, mais des horlogers (les frères Savoye) qui ont créé une architecture spécifique aux conditions particulières de l’économie bisontine.

François LASSUS

« Les élucubrations d’un utopiste »

Dans Le Figaro littéraire du 4 août 2005, par Elizabeth Gouslan, et dans la série « Philosophes méconnus » : un long article sur un Charles Fourier « arithméticien des passions humaines » et dont les « théories fumeuses sur l’amour ont enchanté les soixante-huitards ». Comme en écho aux articles du Cahier 16, en voici un extrait : « Ce qui frappe surtout l’esprit, c’est l’extrême confusion mentale de notre arithméticien des passions humaines. Il est difficile de déceler dans son œuvre touffue quinze lignes cohérentes d’affilée. Sur les corps, Fourier divague, prodigue en métaphores végétales et nunuches : ‘Nos corps actuels sont terre-aqueux, formés des deux éléments grossiers qu’on nomme terre et eau. Les corps de nos âmes dans l’autre vie seront éther-aromaux, formés de deux éléments subtils nommés air et arôme.’ S’agit-il de définir la terre ? Le grand syncrétique n’hésite pas : ‘C’est un être qui a deux âmes et deux sexes et qui procrée comme l’animal et le végétal par la réunion de deux substances génératrices.’ Notez, fouriéristes débutants, l’importance capitale du chiffre ‘deux’ dans la doctrine. Tout est à l’avenant, offrant un mélange de puérilité et d’ésotérisme. La prose du maître, exaltée et fleurie, procède par analogismes, néologismes (‘gastrosophie’, ou ‘amphiharmonie’), et mime désespérément la rigueur philosophique. »

Thomas BOUCHET

Simone Debout en juin 2005

Lors d’un colloque sur les Epistémologies du genre organisé par le GDRE-MAGE (CNRS) et le CNAM les 23 et 24 juin 2005, Simone Debout a ouvert la réflexion par une belle intervention : « Charles Fourier : le sort des femmes et le devenir social. » S’adressant à un public qui n’était pas nécessairement au fait des idées fouriéristes, elle a retracé les principales idées de l’utopiste sur la question des femmes. Mais, chemin faisant, elle a dû aborder d’autres notions comme « l’écart absolu », les « passions » ou encore « la nature intentionnelle » tant il est vrai que ce thème de la femme étant central, c’est toute la pensée de Fourier qui se dévide à partir de lui. La philosophe a réuni des thématiques et des citations qui lui sont chères depuis longtemps. Mais la répétition ne conduit pas ici à l’enfermement dans un cercle ; la pensée de Simone Debout fonctionne plutôt comme une sorte de spirale. Redire, relire n’enferme pas. Au contraire, une certaine familiarité avec les concepts mis en place par Simone Debout procure à son lecteur la confiance de s’avancer plus loin et de faire avec elle un pas de côté pour expérimenter encore un peu plus une pensée en mouvement.

Le thème du mouvement, justement, nous a paru central dans cette intervention. Mouvement sans lequel il n’est pas de vitalité ni d’harmonie (il faut entendre également ici le sens musical) sociale. L’altérité principielle homme/femme rend possible le mouvement. Simone Debout rappelle que pour Fourier les changements sociaux sont liés au degré de liberté des femmes. Par-delà la pensée de Marx, Fourier lit le devenir historique des sociétés à partir non pas de la lutte des classes mais de l’« épopée de l’homme et de la femme ». Une société progresse lorsque l’échange primordial, le commerce humain, c’est-à-dire l’échange intersubjectif et partant celui des sexes, l’emporte sur celui des marchandises. Elle régresse quand ce dernier soumet à ses lois les rapports humains, comme cela se produit avec l’esclavage, la vente des femmes ou encore, de façon plus hypocrite, avec le mariage. Selon Fourier, les critiques formulées par philosophes et des révolutionnaires de 1789 n’ont pas été portées au bon endroit. Par « l’écart absolu » il propose d’aller encore plus loin et remettre en cause cette institution au profit du « ménage progressif ». Lorsque les femmes seront libérées et avec elles les hommes, de nouvelles possibilités, des idées neuves s’offriront comme l’avaient également pressenti Rimbaud ou Rilke. Les manies bizarres, répertoriées par Fourier, exaltent l’individualité sans pour autant l’enfermer sur elle-même. La singularité ne peut s’éveiller qu’au contact d’autres singularités dans l’horizon de la passion de l’unitéisme.

Cette lecture de Fourier par Simone Debout porte en avant, donne la force de l’espoir et permet de comprendre notre actualité avec un regard plus vif. Souhaitons que les actes de ce colloque soient prochainement publiés !

Laurence BOUCHET

Un prix prestigieux pour La Sociale en Amérique

Michel Cordillot a reçu au printemps 2005 le prix Willi Paul Adams de l’Association des Historiens Américains (OAH) pour La Sociale en Amérique, « meilleur livre en histoire américaine publié dans une langue étrangère ». Il s’agit là, précisent les membres du jury, d’une « contribution vraiment décisive et hors-pair à l’histoire américaine (histoire sociale, histoire intellectuelle, histoire du travail) ». Cette récompense distingue avant tout Michel Cordillot, mais elle rejaillit aussi sur la quarantaine d’historiens européens et américains associés dans cette l’entreprise. Parmi eux, on notera les noms de nos amis François Fourn, Jean-Claude Dubos, Bruno Verlet, Jonathan Beecher, James Pratt, Carl Guarneri, Michael Sibalis, Georges Clermont, Nicole Perrot, Jacques Viard, etc. On trouvera un compte rendu de lecture de La Sociale en Amérique dans le Cahier 13 (2002), p. 101-102.

Site de l’OAH : http://www.oah.org

Parutions à signaler

Patrick CHARLOT (dir.), Utopies, entre droit et politique. Etudes en hommage à Claude Courvoisier, Dijon, EUD, 2005 [avec en particulier un texte de Jean Bart à propos du « contrat chez Proudhon », un texte de Patrick Charlot sur Marcel, premier dialogue de la cité harmonieuse, des contributions de Miguel Abensour et de Pierre Guénancia].

Christophe PROCHASSON, Saint-Simon - ou l’anti-Marx, Paris, Perrin, 2005.

Le Dictionnaire des utopies, dirigé par Michèle RIOT-SARCEY, Thomas BOUCHET et Antoine PICON, vient d’être traduit en turc, sous le titre Ütopyalar Sözlügü, éditions Sel Yayincilik - Larousse, 2003.

Francis Sartorius présente l’ouvrage posthume de John Bartier, Fourier en Belgique, aux éditions du Lérot (Bruxelles, 2005). Nous en rendrons compte dans le prochain numéro des Cahiers. Il a aussi publié, aux éditions du Lérot toujours et sous le titre Tirs croisés, un très bel ouvrage consacré à la petite presse bruxelloise des années 1860. Il est enfin l’auteur dans les Cahiers bruxellois, tome 37, 1999-2003, de deux articles : « Notes sur quelques proscrits italiens réfugiés à Bruxelles sous le régime hollandais » et « Rapports d’agents secrets se livrant à Bruxelles à la quête de renseignements pour le compte de la préfecture de police de Paris 1871-1874 ».

Jacques-Rémi Dahan a réédité avec un très important appareil critique aux éditions Bassac un ouvrage pratiquement inconnu de Charles Nodier, Etudes sur le seizième siècle et sur quelques auteurs rares ou singuliers du dix-septième. Cet ouvrage fait vraiment honneur à l’érudition de Nodier - et à celle de son présentateur. Ce que l’on peut regretter c’est que, mis à part Rabelais, Marot, Des Périers, Cyrano de Bergerac, Nodier se soit surtout intéressé à des auteurs de second ordre, demeurés dans l’oubli.

La revue CinémAction vient de consacrer l’une de ses livraisons aux rapports entre « Utopie et cinéma » (n°115, 2005). Chantal Tatu, professeur émérite de littérature comparée à l’université de Besançon, y publie un article intitulé « Le phalanstère de Fourier dans Domani, Domani de Luchetti » (pp. 23-38) ; ce film, qui date de 1988, dénonce selon elle « la peinture de l’utopie anticipatrice comme fondamentalement utopique puisqu’elle ne prend pas en compte l’imprévisibilité du temps à venir ».

Le Cahier 17

Nous avons commencé à établir le sommaire du Cahier 17 (2006). Toute proposition d’article est la bienvenue. Nous envisageons notamment de proposer un dossier autour de Claude-Nicolas Ledoux (mort en 1806), architecture et utopie.

Cette rubrique est la vôtre.
N’hésitez pas à nous faire parvenir toute information susceptible d’y figurer


Aphorisme du jour :
Les sectes suffisent à elles seules à guider la politique humaine dans le labyrinthe des passions
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