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35-56
Les femmes du XXIe siècle et le visionnaire
Article mis en ligne le décembre 2001
dernière modification le 9 avril 2006

par Bouchet, Laurence




Actualité de Fourier

Depuis une quinzaine d’années des femmes sont majoritairement les auteures des publications érotiques. Après avoir été essentiellement cantonnées aux tâches familiales et domestiques, elles éprouvent aujourd’hui le besoin de s’affirmer dans des fonctions jusqu’alors définies par les hommes. Depuis le XIXe siècle, elles ont commencé à revendiquer un investissement plus actif dans le monde du travail et de la politique ; avec le sexe, elles deviennent aujourd’hui, sujet d’un discours dont elles étaient jusqu’alors l’objet. Désormais, elles ne se reconnaissent plus seulement en tant qu’êtres désirés mais s’affirment aussi comme des êtres désirant, et le désir qui les anime les conduit à la production d’une parole.

Un tel changement implique des perturbations dans le point de vue masculin sur la sexualité puisque les rôles ne sont plus prédéfinis. Une nouvelle forme d’égalité se profile : si les femmes sont à la fois sujets et objet du désir il en va nécessairement de même pour un homme qui n’est plus seulement sujet du désir mais devient aussi ouvertement objet de désirs avec toute la violence que cela peut parfois impliquer.

Le désir qui, depuis l’antiquité grecque, fut à l’origine de créations intellectuelles ou artistiques masculines n’est plus l’apanage des hommes et aujourd’hui ces derniers peuvent aussi bien qu’une femme incarner le rôle de muse. L’attrait pour l’étrangeté de la différence sexuelle n’est plus univoque, il devient réciproque et il n’est pas inconcevable qu’une femme soit fascinée par le mystère de la sexualité masculine.

Dans le contexte actuel, quelles sont les volontés à l’œuvre dans le discours des femmes sur le sexe ? Sans doute veulent-elles affirmer leur sexualité qui fut tantôt niée, tantôt sujet d’un discours masculin ; on trouve aussi dans leurs écrits érotiques ou pornographiques, l’expression d’un ressentiment dû à de longues frustrations et d’une vengeance contre des brutalités trop longtemps subies mais tant qu’on en reste à ces formes de provocation le pouvoir qui pèse sur les corps et sur l’expression de la sexualité n’est pas déstabilisé.

La mise en discours du sexe par les femmes n’échappe pas aux dangers souligné par Michel Foucault dans son Histoire de la sexualité. Dire le sexe, ce n’est pas nécessairement échapper au pouvoir, ce peut-être au contraire une façon de s’y soumettre et de participer à son exercice.

S’agit-il pour les femmes s’exprimant à partir de leur sexualité, de se mettre à nu, de dévoiler avec une impudeur et un exhibitionnisme qui leur sont parfois reprochés, les secrets du plaisir féminin ? Pourquoi parler du sexe ? Quelle est la place de la réalité dans ce qui est révélé ? Existe-t-il seulement une réalité de la sexualité ? Prétendre que celle-ci s’impose comme un fait n’est-ce pas violenter le corps en l’enfermant dans des attitudes données comme indépassables. Il faudrait alors considérer le sexe non pas comme secret à révéler mais comme puissance d’illusion.

Tout en prenant en compte les mises en garde de Michel Foucault, je voudrais montrer comment l’utopie de Fourier peut, encore aujourd’hui, provoquer un appel d’air. Dans le contexte actuel où les effets de la censure sont d’autant plus difficiles à reconnaître qu’elle se dissimule, comment est-il possible de pratiquer à l’égard du sexe, « l’écart absolu » que préconisait Fourier ?

Entre Fourier, les femmes, le sexe et l’écriture on peut voir se tisser des liens riches de possibilités. L’utopiste donnait à l’amour et à la sexualité une place centrale puisque leur pleine expression devait permettre de développer l’unitéïsme, c’est-à-dire la passion reliant l’individu à la société. Pour imaginer le Nouveau monde amoureux il fut particulièrement attentif au point de vue des femmes et tenta, puisqu’elles disposaient de peu de moyens d’expression, de mettre à jour leurs désirs. Maintenant que les choses ont changé, que les femmes commencent à investir un terrain d’où il leur est possible de se faire entendre, de quelle façon peuvent-elles exprimer des idées vraiment nouvelles, inhérentes à leur point de vue particulier mais aussi riches pour l’ensemble de la société ?

Fourier, visionnaire du XIXe peut-il encore éclairer notre XXIe siècle ? Ce vieillard aurait-il encore la verdeur et la vitalité de nous apporter le souffle de la jeunesse et l’attrait de la nouveauté, sa pensée ouvrirait-elle encore des voies inconnues à l’affectivité et aux pratiques sexuelles ?

Le travail attrayant ?

La pensée de Fourier a d’abord été remarquée pour les perspectives nouvelles qu’elle présentait sur la question du travail. C’est encore souvent pour cette raison que son utopie est connue. Fourier a imaginé une organisation originale du travail et des échanges économiques. Il tenta d’arrimer ces activités au développement harmonieux des passions et non de les y opposer comme le fait souvent la civilisation qu’il fustige et qu’il propose de remplacer par l’Harmonie. Il fallait, pensait-il, donner à l’individu la possibilité d’exercer des travaux attrayants et épanouissants mais aussi bénéfiques pour l’ensemble de la société.

Ces thèses semblent aujourd’hui largement admises. L’orientation scolaire est censée donner à chacun un métier qui conviendra à ses capacités et à ses goûts, les dirigeants d’entreprise deviennent soucieux du bien-être non seulement physique mais aussi psychique des salariés. Ces formes d’attention à l’individu reposent sur un constat simple et rempli de bon sens : pour éviter les conflits politiques et sociaux, pour favoriser le rendement et la production mieux vaut que chacun ne se sente pas victime d’injustice. Ainsi la somme des intérêts bien compris doit entraîner le développement de la société.

Cependant, il est probable que Fourier ne se reconnaîtrait pas dans cette logique qui fait partie des sournois raffinements dont la civilisation a le secret. Le travail a-t-il vraiment pour l’épanouissement de l’individu, l’attrait qu’on prétend et proclame ? Méfions-nous du tapage des grands mots. C’est à d’autres plaisirs moins marqués de sérieux mais autrement plus intenses que Fourier nous convie.

Pas de travail sans amour

Le développement social n’est pas pour Fourier réductible à l’adjonction des égoïsmes. Si l’organisation du travail est possible, c’est d’abord parce que les humains sont réunis par des liens affectifs dont l’expression a été empêchée par la civilisation.

Le travail et les échanges en Harmonie permettent le développement de la société mais ils reposent sur la pleine affirmation de l’amour et du sexe au centre de l’utopie. Ce fut sans doute l’erreur des disciples de Fourier d’avoir voulu, dans leurs tentatives de réalisation, commencer par réformer l’organisation du travail sans tenir compte des transformations sexuelles et affectives que cela supposait.

L’amour, vertu sociale

Pourquoi la passion amoureuse devrait-elle entraîner l’exclusion, l’isolement de l’ensemble de la société ? Fourier n’aimait pas ces couples un peu niais qui se bécotent dans un coin comme s’ils se goinfraient. Lorsque l’amour, passion divine, touche de sa grâce, le pas devient léger et entraînant. Mais la craintive civilisation, dont les rouages fonctionnent à l’envers, s’est empressée d’enfermer dans l’institution du mariage et dans l’idéal du couple exclusif, la sexualité et les sentiments les plus intenses qui ne peuvent vivre qu’au grand air. N’y a-t-il pas dans l’amour quelque chose de religieux qui bouscule tous les égoïsmes, ne se limite pas à la réunion de deux individus, mais les dépasse ? Disons qu’avec Fourier la rencontre amoureuse ne se réduit pas au couple mais ouvre sur un espace riche d’inventions sociales.

Dans le Nouveau monde amoureux, Fakma et Isaum éprouvent un amour purement sentimental, « un lien d’enthousiasme perpétuel » dont le rayonnement se diffuse sur l’ensemble des harmoniens à tel point qu’un grand nombre d’entre eux bénéficieront des faveurs sexuelles des deux amants et que même les vieillards y trouveront satisfaction. À la fin de cet épisode Chryses commente ces prodiges de vertu qui auraient choqué les courtes vues des civilisés des temps anciens :

« Chacun de vous sent le besoin de rendre hommage aux vertus éclatantes dont nous sommes témoins et dont nous allons goûter les bienfaits. Je ne saurais mieux vous en faire sentir le prix qu’en rappelant à votre mémoire les âges obscurs où la philosophie incertaine excitait tous les esprits à l’égoïsme et en faisait la base des relations sociales. Alors les vertus amoureuses qui font aujourd’hui nos délices auraient été des forfaits dignes du dernier supplice. La vandale philosophie vouait à l’opprobre toutes les passions qui forment les liens et tous les grands caractères qui savent en amour et en ambition s’élever au-dessus de l’égoïsme.

Pendant trois mille ans vos aïeux, tout en se targuant de sagesse restèrent sous la tutelle de cette science infâme qui dégradait la liberté et voulait asservir un sexe à l’autre, qui plaçait la sagesse dans la persécution du sexe faible et la gloire dans le carnage et les pillages fiscaux et mercantiles ».

L’égoïsme est depuis trois mille ans, le moteur de l’histoire civilisée

Bon nombre de philosophes, il est vrai, ont considéré que l’organisation sociale s’appuie sur la somme des égoïsmes et des intérêts bien compris ; parmi ce type d’analyse des plus classiques, je retiendrai celle de Kant. Dans l’Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique, il forge le concept paradoxal « d’insociable sociabilité ». Les hommes seraient conduits à s’assembler pour des motifs égoïstes, parce que cela permet le « développement de leurs dispositions naturelles » mais en même temps, comme chacun voudrait tout orienter dans son sens, ils sont conduits à se résister mutuellement et cette résistance entraîne la lutte contre la paresse naturelle et conduit à l’élévation de chacun et finalement de l’ensemble de la société dans un progrès infini.

L’effort dans le travail est volontiers fourni lorsqu’il s’adjoint à la passion de l’ambition, au désir de reconnaissance, toutes choses incompatibles avec l’amour et la concorde car si les hommes, selon Kant, s’en étaient tenus à ce type de sentiments, ils auraient mené l’existence stupide et sans relief des bergers d’Arcadie. Le philosophe oppose donc « l’insociable sociabilité », la rivalité qui élève, à l’amour qui fait stagner dans une passivité monotone et insipide. Seuls l’égoïsme, la vanité et l’ambition conduisent à se surpasser. Mais si cette compétition effrénée est créatrice de progrès elle entraîne aussi des laissés pour compte, des individus écrasés, puis oubliés sous le rouleau compresseur de l’histoire, sacrifiés au bonheur futur qu’ils contribuent pourtant à établir. Tel est le triste sort réservé aux esclaves, aux serfs, aux prolétaires, aux chômeurs, aux femmes et à tous ceux qui occupent les places les plus basses dans la hiérarchie sociale. Kant reconnaît pourtant ce mal comme nécessaire, puisqu’il constitue la fâcheuse contrepartie d’un égoïsme au bout du compte bénéfique à l’ensemble de l’humanité.

Critique du fondement de la civilisation

Si l’on se place du point de vue de Fourier cette interprétation du développement de l’histoire est discutable à plus d’un titre. Tout d’abord elle érige en vérité absolue la contre-marche passionnelle caractéristique de la civilisation. Certes dans ce type de société, c’est la violence de l’égoïsme qui impose sa loi implacable et le malheur des uns n’empêche pas l’élévation des autres, il y contribue même souvent. À l’échelle de la famille on voit le père régner en maître sur ses enfants et sur sa femme qui lui vouent secrètement haine et mépris ; au niveau social le spéculateur fait la misère du travailleur et de façon générale « tout industrieux est en guerre avec la masse, et malveillant avec elle par intérêt personnel » (Le nouveau monde industriel et sociétaire).

Tant qu’on en reste à cette lutte de tous contre tous on ne peut que donner raison à Kant dans son analyse des moteurs de l’histoire et l’on peut même reconnaître avec lui que l’organisation à partir de la logique des intérêts bien compris doit permettre d’aboutir à la mise en place d’une régulation mondiale, d’une sorte de société des nations conduisant vers la paix. Ce serait là le degré de cohérence maximum auquel la civilisation pourrait parvenir. Cependant à quoi ressemblerait une telle paix ? Ne ferions nous pas alors retour à la stupidité des bergers d’Arcadie ? La fin de l’histoire et des luttes qui la motivait risquerait de faire retomber les civilisés dans un ennui mortel et finirait même par leur faire regretter les temps de guerre où, au moins, il y avait de l’action.

Pour sauter en Harmonie, prendre un risque

Selon Fourier, les principes civilisés conduisent à l’impasse, enferment dans une logique dont on ne peut sortir, dans un « cul de sac en mouvement » (cité par Jean-François Hamel, Cahiers Charles Fourier, n° 11). Les analyses de Kant révèlent sa vue non pas trop courte mais trop étroite. Pour cesser de tourner en rond dans une théorie qui ne peut déboucher sur aucune pratique nouvelle, coupons le moteur du raisonnement univoque. Surprise par l’amour, l’implacable logique de l’égoïsme s’écroule ; la vision s’élargit lorsque le cerveau regarde par le cœur. Kant a-t-il jamais porté son regard de côté pour voir passer une jolie femme dans la rue, n’a-t-il pas entendu son corps palpitant l’appeler à la suivre ? Après deux ou trois maladresses, il aurait bien fini par obtenir un sourire. En oubliant les femmes, il n’a pu pratiquer l’écart absolu et n’a pas vu qu’on peut passer de la civilisation à l’harmonie non par la continuité mais par le saut.

Mais on dira que l’amour n’est pas sérieux, que c’est une affaire privée, qui relève de la nature et n’a pas sa place dans des considérations sur le mouvement de l’histoire. On dira que l’analyse de Kant a le mérite du réalisme, qu’elle s’appuie sur les tendances de l’espèce humaine naturellement égoïste, qu’il suffit d’ailleurs, d’observer de jeunes enfants jouer entre eux : chacun cherche à s’accaparer les objets, à passer devant l’autre pour obtenir la première place. Cependant, ces mêmes enfants peuvent aussi quelques instants plus tard s’abandonner à la générosité et se livrer avec enthousiasme et fierté à la joie du plaisir qu’ils se sentent capables de procurer. Pourquoi ériger la première attitude en principe, en quoi serait-elle plus naturelle que la seconde ?

Il y a bonheur et bonheur

Kant et Fourier semblent s’accorder au moins sur un point : il est dans la nature de l’homme de vouloir vivre dans le plaisir et le bonheur. Mais nous ne pouvons prolonger cet accord plus longtemps car selon Kant, mieux vaut peiner, souffrir se battre contre les autres et contre soi-même que sombrer dans l’ennui et la morne paresse. « Remercions donc la nature pour cette humeur peu conciliante, pour la vanité rivalisant dans l’envie, pour l’appétit insatiable de possession ou même de domination », écrit-il dans la quatrième proposition de L’Idée d’une histoire universelle. La passion égoïste de l’ambition, dût-elle nous tourmenter sans cesse, l’emporte sur l’idiote complaisance du bien-être. Cela conduit finalement à une forme de jouissance raffinée proche de celle du masochiste qui a besoin de souffrir pour se sentir bien vivant.

On distingue alors deux formes de bonheurs caractéristiques de la logique civilisée, celui (stupide) de la bête et celui (raffiné et chrétien) de la passion qui tourmente. Ces deux tendances se complètent, lorsque les hommes cessent d’exercer leur volonté ambitieuse dans le travail, qu’ils se livrent à des plaisirs marqués par la passivité, la pesanteur, l’indifférence et le repli sur soi. Ainsi les repas sont-ils lourds et l’on jouit de se goinfrer jusqu’à l’assoupissement, on boit pour s’abrutir.

Le bonheur fouriériste est encore d’une autre nature. Pour le connaître, il s’agit de changer de style en passant de la lourdeur égoïste de la contre-marche à la légèreté amoureuse de la marche. En Harmonie le bonheur est vécu dans l’activité intense, la légèreté et l’ouverture. Les repas sont nombreux mais légers, le vin rend joyeux mais n’assomme pas. L’amour, dont Fourier illustre les joies dans le Nouveau monde amoureux, ne ressemble nullement à celui décrit par Kant, il est une source inépuisable d’inventions sensuelles et sentimentales et, à la différence de l’ambition égoïste propre à la civilisation, il ouvre sur des nouveautés sans fin.

Une autre lecture de l’histoire

Ainsi en renversant la perspective de Kant on peut relire l’histoire à la lumière du principe de la passion amoureuse et non de « l’insociable sociabilité ». Fourier interroge l’histoire et mesure les progrès ou les reculs en demandant : quelle a été la place offerte aux femmes ? Quelles ont été les possibilités du développement sexuel et amoureux ?

Par ce type de questionnement, il fait éclater la linéarité du développement de l’histoire. Contrairement aux analyses de Kant, Hegel ou Marx selon lesquelles nous cheminerions progressivement vers la fin de l’histoire, Fourier crée avec l’amour, un appel d’air. Nous ne sommes pas poussés par le moteur des rivalités, des guerres, des luttes de classes mais appelés par l’attrait de la nouveauté, à sauter dans l’espace avenir. Pour passer en Harmonie nul besoin de révolution sanguinaire. Fourier pensait que le bonheur de vivre des premiers phalanstériens entraînerait à sa suite l’ensemble de la planète par un effet communicatif, comme il peut arriver, sous l’emprise de la séduction, de suivre une personne dans la rue. Les véritables avancées ne se font pas par la lutte mais par la disponibilité que suppose la contagion de l’enthousiasme caractéristiques de la sexualité et de l’amour.

Les sacrifiés

« Ce qui demeure étrange ici, c’est que les générations antérieures semblent toujours consacrer toute leur peine à l’unique profit des générations ultérieures pour leur ménager une étape nouvelle, à partir de laquelle elles pourront élever plus haut l’édifice dont la nature a formé le dessein, de telle manière que les dernières générations seules auront le bonheur d’habiter l’édifice auquel a travaillé (sans s’en rendre compte à vrai dire) une longue lignée de devanciers, qui n’ont pu prendre part au bonheur préparé par elles ».

Étrange en effet : dans cette course effrénée au bonheur décrite par Kant, toutes les places ne se valent pas. Le sacrifice et la souffrance bénéficient au mouvement d’ensemble. Le malheur des uns entraînera le bonheur ingrat des autres. Le mal est justifié car il est nécessaire.

Fourier constate lui aussi que la logique civilisée a permis, au prix des souffrances du labeur, un progrès technique et matériel indispensable au bien-être général, mais le bonheur harmonien qui saisira ne consistera pas seulement à habiter l’édifice construit par les autres ; le travail débarrassé enfin de toute forme de sacrifice se transformera en devenant un plaisir.

Fourier ne put justifier le mal et la douleur et il imagina la métempsycose pour rendre justice aux sacrifiés de l’histoire civilisée ; en effet chaque âme possède selon lui 810 vies parmi lesquelles 765 sont heureuses et 45 sont malheureuses. Dans une perspective plus rationaliste, le travail de l’historien peut s’accompagner d’une éthique qui ne consiste pas à justifier le mal par la lutte, ni à exclure les faibles et les anonymes du souvenir.

La force des faibles

Fourier prit toujours le parti des faibles, non par misérabilisme mais parce qu’il pensait que les opprimés devaient - dès qu’ils posséderaient un point de vue un peu dégagé - trouver un chemin vers de nouvelles possibilités que les individus abrutis par le pouvoir et par le sérieux de leur autorité ne pouvaient pas même envisager. C’est pourquoi il fut particulièrement attentif au point de vue des femmes. Que se passerait-il si elles avaient la possibilité d’exprimer leurs passions au grand jour ?

Quelques dizaines d’années après Fourier, en 1871, Rimbaud s’interroge à son tour dans une lettre à Paul Demeny :

« Quand sera brisé l’infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l’homme - jusqu’ici abominable - lui ayant donné son renvoi, elle sera poète, elle aussi ! La femme trouvera de l’inconnu ! Ses mondes d’idées différeront-ils des nôtres ? - Elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes ; nous les prendrons, nous les comprendrons. »

Fourier pensait que les femmes conduiraient vers une société harmonieuse, remplie de plaisirs ; si on leur accordait une plus grande liberté, elles se dégageraient de la logique de la lutte et feraient prévaloir les joies d’un amour réinventé. Les faibles - en l’occurrence, femmes et enfants dans le monde civilisé - seront en premier lieu attirés par les délices du monde d’Harmonie, les forts y viendront aussi mais avec plus de difficulté, à cause de leur crispation sur des privilèges dont ils finiront bien par réaliser la fadeur. Le faible possède aussi sa force, celle de l’attraction qui nous emporte le cœur battant.

Le sexe et l’amour facteurs de progrès

Dans la Théorie des quatre mouvements Fourier analyse la succession des périodes historiques à l’aune de la liberté des femmes, liberté qui s’accompagne d’une avancée générale car elle bénéficie à l’ensemble de la société : « Les progrès sociaux et changements de période s’opèrent en fonction du progrès des femmes vers la liberté ; et les décadences d’ordre social s’opèrent en raison ». Le sexe et l’amour sont en effet des boussoles providentielles qui conduisent au progrès social ; dans ces domaines le plaisir des uns provoque celui des autres et ce qui nuit aux uns entraîne la souffrance des autres. Les humains n’ont donc nul besoin des proclamations hypocrites d’altruisme, et de moralité que rabâchent religion, philosophie et aujourd’hui encore médias et enseignement ; personne n’est dupe de ces discours que l’on sert pour masquer des principes individualistes. Il suffirait pour progresser de trouver les moyens d’affirmer en pleine marche les passions du sexe et de l’amour.

Tant que les hommes ont aliéné les femmes, Fourier affirme qu’ils ont eux-mêmes traversé la souffrance, la terreur et la violence, puisqu’il leur était impossible de parvenir à l’affirmation épanouie de leurs passions. Aujourd’hui encore, les pays où les femmes sont méprisées, mutilées, avilies, rabaissées au rang d’objet sont ravagés par les violences généralisées et la guerre. Quel type de plaisir un homme peut-il prendre à faire l’amour avec une femme excisée qui subit la sexualité comme une corvée ? Il est victime lui aussi, de la violence qu’il inflige ; en harmonie il connaîtrait des jouissances autrement plus intenses. Mais la civilisation occidentale n’est pas en reste ; si les femmes subissent moins de martyres physiques elles sont cependant victimes de soumission plus subtiles que la satisfaction de maigres récompenses ne sauraient faire oublier.

Abolition du mariage

L’institution du mariage, ou de la vie en couple exclusif reste un mode d’asservissement mutuel dont nous ne sommes pas sortis. Fourier ne comprend pas que les hommes aient pu imaginer une telle organisation sociale ; seul un troisième sexe aurait pu vouloir nuire à ce point aux hommes et aux femmes, mais il est possible qu’en établissant de tels principes les hommes aient officiellement oublié qu’ils avaient une sexualité. En voulant posséder leur femme ils se sont laissés eux-mêmes posséder et sont tombés dans leur propre piège.

« L’asservissement des femmes n’est nullement à l’avantage des hommes. Quelle duperie au sexe masculin de s’être astreint à porter une chaîne qui est pour lui un objet d’effroi, et combien l’homme est puni, par les ennuis d’un tel lien, d’avoir réduit la femme en servitude » (Traité des quatre mouvements).

Avec le mariage la vie devient un parcours semé d’embûches, la promesse intenable d’une fidélité exclusive contraint au devoir et fait disparaître l’amour, elle conduit à la monotonie puis aux ressentiments rentrés ou hargneux, aux reproches réciproques et enfin aux douleurs du cocuage et de la jalousie.

Pour quelles raisons faudrait-il exclure l’être aimé de l’ensemble de l’humanité et lui interdire la possibilité de découvrir de nouveaux plaisirs ? Pour un homme est-il préférable de retrouver la femme qu’il aime, triste et maussade d’avoir passé sa journée au travail et au ménage ou bien joyeuse et resplendissante du plaisir qu’un autre lui aura procuré ? Ce serait avoir bien peu de confiance en soi-même et en l’autre de penser que cela puisse l’éloigner à tout jamais. Les harmoniens sauront faire preuve de plus d’indépendance et l’amour pourra ainsi se diffuser des uns aux autres au lieu de dépérir en vase clos.

Quoi qu’il en soit on peut là aussi proclamer de beaux principes de fidélité chacun sait que les désirs et les actes sont tout autres et l’on souffrirait moins d’être moins hypocrite. Ainsi Fourier pensait-il que la Révolution de 1789 n’avait pu aboutir faute d’avoir aboli le mariage. Le jour viendra peut-être où les femmes du XXIe siècle indiqueront d’autres chemins que celui de l’aliénation réciproque ; peut-être contribueront-elles à la disparition du couple exclusif et à l’épanouissement sexuel et amoureux.

La nécessité d’inventer

La civilisation développe les passions en contre-marche ; au lieu de l’amour c’est la haine qui s’exprime, haine de soi ou des autres qui se manifeste par la violence ou se dissimule avec l’apparence de l’indifférence, sous toutes sortes de masques plus ou moins lisses, plus ou moins conformistes. Et lorsque nous étouffons sous la morosité, lorsque la fadeur de l’existence finit par faire trop souffrir, les cabinets des psychanalystes se remplissent. Ce mal-être est selon Fourier comme selon Freud le signe de l’intensité des passions et il devrait obliger à trouver de meilleures voies pour les libérer. Mais pour l’utopiste, à la différence du père de la psychanalyse, la démarche strictement individuelle ne saurait suffire à nous satisfaire ; puisque l’amour et le sexe sont le nœud du problème, c’est toute la société qu’il faut réformer. Il est inutile de tenter de s’adapter au fonctionnement de la sexualité et de l’amour de la bourgeoisie civilisée qui ne pourra jamais apaiser nos souffrances. L’intensité de nos passions doit nous conduire à inventer une nouvelle organisation sociale.

« Si nos destins étaient bornés à la triste civilisation, Dieu nous aurait donné des passions flasques et apathiques, comme la philosophie les conseille, des passions convenables à la misérable existence que nous traînons depuis cinq mille ans » (Traité des quatre mouvements).

Différence de point de vue sur le sexe

Aujourd’hui encore, les femmes ne disposent pas de la majorité amoureuse et sexuelle que Fourier revendiquait il y a deux cents ans. L’accès au plaisir demeure différent pour un homme et une femme et cela s’explique probablement par des raisons culturelles et non biologiques. La masturbation, par exemple, est un acte à peu près toléré chez les jeunes gens, cela semble un passage naturel pour la découverte de l’orgasme. Pour une jeune fille les choses ne sont pas si simples, l’onanisme demeure souvent secret et s’entoure davantage de mystères et de culpabilité. Les films, les cassettes, les revues pornographiques et les sex-shop restent destinés à un public essentiellement masculin. Les femmes ne partagent donc pas la même facilité d’accès au sexe que les hommes. Cela se confirme avec les relations sexuelles qui ont pour finalité le simple plaisir de la satisfaction physiologique. En toute bonne logique il devrait, dans ce domaine, exister une réciprocité et donc une égalité.

Mais de même que la civilisation a inventé le mariage au détriment de tous, elle a établi la prostitution qui instaure une inégalité et nuit aussi bien au sexe qu’à l’amour. Ainsi les femmes qui vendent des plaisirs faciles aux hommes - puisqu’ils ne peuvent pas toujours être seuls - sont rabaissées au statut d’objet et socialement méprisées. Mais nul ne tire bénéfice d’une telle situation et si la sexualité des femmes est empêchée celle des hommes vire au sordide.

L’absence d’inhibition : Catherine Millet

Aujourd’hui encore, une femme qui veut affirmer ses désirs et vivre pleinement les plaisirs sexuels doit affronter l’image dévalorisante qui lui sera immanquablement renvoyé par le regard social et par son surmoi. À cet égard le tollé suscité en 2001 par le livre de Catherine Millet est significatif. Directrice d’Art press, elle est protégée par son statut social et n’a pas été directement insultée. Cependant la violence des critiques n’a pas manqué de se faire entendre. Dans une émission sur France Inter Michel Pollack a comparé La vie sexuelle de Catherine M. avec Ma vie secrète, livre érotique écrit par un anonyme anglais du XIXe ; selon lui ce dernier livre exprimerait la chaleur du désir tandis que celui de Catherine Millet décrirait le sexe de façon purement technique et froide. Les termes crus qu’elle emploie, les descriptions minutieuses mais sans fioritures ni dramatisation lui ont été reprochés comme si le sexe devait être enrobé de mots sublimes surtout lorsqu’une femme s’avise d’en parler.

Il reste difficile pour les femmes d’avoir un accès simple à leur sexualité et pour manifester des pulsions considérées - plus ou moins consciemment - comme avilissantes, elles tentent de leur donner un aspect acceptable en les sublimant. Ainsi l’objet du désir est-il idéalisé comme s’il était Dieu, comme si sa perfection pouvait excuser le désir lui-même et effacer l’horreur si crue des organes sexuels en état d’excitation. Toute la libido se concentre alors exclusivement sur l’être aimé. Lorsque l’on parvient à une telle représentation de la sexualité, l’institution possessive et patriarcale du mariage est devenue d’autant plus néfaste qu’elle est intériorisée.

Catherine Millet qui jouit d’une absence d’inhibition certainement assez exceptionnelle doit cette particularité à ses interrogations très précoces sur la multiplicité. Sa libido ne semble jamais s’être fixée sur un individu unique. Au début de son premier chapitre qui s’intitule « le nombre » elle affirme que son esprit religieux de petite fille était fasciné par la multiplicité de Dieu, et qu’à cette époque elle se posait fréquemment la question de savoir combien une femme peut avoir de maris. Mais il est parfois compliqué d’être simple et rares sont certainement les femmes qui ont eu la chance de ne pas être inhibées par la fixation univoque de leur sexualité et qui ont pu baigner tels poissons dans l’eau, au sein de la multiplicité des partenaires sexuels.

L’inégalité des hommes et des femmes dans l’accès au plaisir conduit à une incompréhension réciproque et finalement à un appauvrissement des possibilités sexuelles et sentimentales. En effet d’un côté les hommes disposent de moyens rapides pour satisfaire leurs besoins physiologiques. Ils peuvent se contenter de payer, mais cette pratique mercantile entrave les raffinements de l’érotisme qui suppose patience et attention. De l’autre côté l’ordre social attend des femmes qu’elles idéalisent l’amour ce qui les rend tout autant incapables d’une attention au corps. Ce n’est pas le cas de Catherine Millet qui dans son dernier chapitre montre avec quel soin et quel plaisir, elle pratique la fellation.

Et l’amour ?

Avec la négation de l’épanouissement sexuel, les sentiments sont entravés. En reprenant les analyses de Charles Fourier on peut faire le constat qu’aujourd’hui encore, « l’amour composé » prédomine. Dans le Nouveau monde amoureux il qualifie ainsi les liens qui mélangent le spirituel et le matériel, le sexe et le sentiment mais comme en civilisation tout procède en contre-marche, un tel mélange produit des effets néfastes.

Ce n’est pas que les sentiments et le sexe ne puissent aller ensemble mais la duplicité civilisée conduit à des amalgames destructeurs. L’amour est entravé par l’idée de la possession sexuelle exclusive, à tel point que le « céladonisme » (c’est le nom que Fourier donne à une relation purement sentimentale) est impensable en civilisation. En effet il est rarement concevable d’être amoureux sans être taraudé par le désir sexuel. Mais s’agit-il toujours d’un véritable amour et comment expliquer que parfois la possession finisse par lasser, qu’avec sa disparition ce qu’on prenait pour un sentiment, s’éteigne à son tour, dans la tristesse, la déception et l’amertume ? N’a-t-on pas alors été victime d’une confusion entre le matériel et le spirituel ?

Fourier pense que de telles erreurs ne se produiraient pas si les civilisés n’étaient pas frustrés par une constante misère sexuelle. De même qu’il est partisan d’un revenu minimum d’existence, il pense que dans le domaine sexuel chacun doit pouvoir également bénéficier d’un minimum. Dans le Nouveau monde amoureux les fakirs et les fakiresses sont chargés de donner satisfaction aux plus démunis dans ce domaine. Si chacun jouissait de plus de satisfactions on ne verrait plus de dramatiques confusions ; l’indifférence ne serait plus l’issue d’une longue vie commune ; les sentiments conserveraient sans fin leur ardeur et l’on découvrirait une très grande variété dans leur composition avec le sexe.

L’asphyxie d’Emma Bovary

Dans Madame Bovary Flaubert a dépeint à merveille la mesquinerie et la morosité des relations humaines dans la société bourgeoise du XIXe. Le pire de la civilisation y est exposé avec un cynisme qui se dissimule sous les traits du réalisme. Hommes, femmes, bourgeois, paysans, aristocrates, homme d’État, les places sont réparties et il ne s’agit pas d’en bouger. La civilisation est parvenue à un stade qui ne semble laisser aucune porte de sortie, et cela crée un sentiment d’étouffement qui pousse finalement Emma au suicide.

Il semble que les espoirs, les rêves, les illusions soient eux-mêmes manipulés par l’ordre civilisé et qu’ils conduisent immanquablement à la déception et aux désillusions obligeant à admettre avec résignation les tristes lois de la réalité des relations humaines. Les choses n’auraient pas dégénéré si Emma avait accepté sa place mais son ambition, son orgueil démesurés l’ont conduite à l’insatisfaction, au ressentiment, à la haine et l’ont rendue incapable de mener sereinement son existence. Ainsi lors de la fameuse scène des comices agricoles, tandis que les notables se gonflent de leur importance et se gavent avec sérieux de leurs discours ampoulés, Emma qui se trouve à l’écart avec Rodolphe se laisse séduire par ses paroles dont elle n’aperçoit pas l’emphase hypocrite, aveuglée qu’elle est par le mélange de son orgueil et de ses désirs passionnés.

Face à cette mascarade généralisée et dans le fumier des sentiments vils qu’il exècre, Flaubert n’entrevoit pas de solution. La plupart des individus sont abrutis par le jeu des reconnaissances sociales et leurs désirs s’assoupissent mollement dans le conformisme ; quant à ceux qui demeurent insatisfaits à cause de passions amoureuses plus exigeantes, ils ne valent guère mieux ; incapables d’aimer véritablement, ils s’anéantissent dans le narcissisme de leurs illusions. Le sexe, l’amour et le travail au service de la société sont totalement dévalorisés par Flaubert qui se retira du monde et dont l’unique échappée fut l’écriture acharnée.

Flaubert, Fourier, les femmes et la société

Flaubert et Fourier éprouvent le même dégoût pour leur société contemporaine, qu’ils couvrent chacun à leur manière de leur sarcasmes. Mais au delà de ce constat et de la production de paroles que cela provoque chez eux, tout les oppose. Tandis que Flaubert s’enferme dans le pessimisme, l’individualisme misanthrope, et la minutie d’une peinture réaliste, Fourier s’ouvre à l’optimisme amoureux et aux débordements de son imagination utopique. La société bourgeoise qui s’impose comme une réalité indépassable pour Flaubert n’est pour Fourier, qu’une scène parmi d’autres dans le grand théâtre du mouvement social. La vision de l’utopie ouvre des perspectives et permet de prendre du recul avec une civilisation toute relative.

Fourier comprendrait les malheurs d’Emma, Dans le Traité des quatre mouvements, il décrit la misère de bien des femmes semblables, signe que la société procède en contre-marche et qu’il faut pratiquer l’écart absolu.

« Dans l’ordre civilisé, il serait à souhaiter que toutes les femmes eussent du goût pour les soins du ménage, car elles sont toutes destinées à être mariées et tenir un ménage incohérent : cependant si vous étudiez les goûts des jeunes filles, vous reconnaîtrez qu’il s’en trouve à peine un quart de bonnes ménagères ; et que les trois quart n’ont aucun goût pour ce genre de travail, mais beaucoup pour la parure, la galanterie et la dissipation ; vous en concluerez que les trois quart des jeunes filles sont vicieuses, et c’est votre mécanisme social qui est vicieux [...] Concluons que les femmes sont bien comme elles sont, que les trois quart d’entre elles ont raison de dédaigner les travaux du ménage ».

Comme Emma ne fait pas partie du quart des bonnes ménagères elle ne trouve pas sa place dans la société ; elle souffre de l’ennui et du manque de reconnaissance auquel son orgueil aspire. Mais pour apaiser son mal-être, qui révèle au delà de son cas particulier, un malaise et un dépérissement général, il ne suffira pas de lui donner un travail socialement reconnu. Emma chef d’entreprise ne pourrait encore s’épanouir. Afin de trouver son plein essor toute son affectivité doit être modifiée mais pour cela, la psychanalyse demeure impuissante tant que les mœurs sexuelles et amoureuses ne sont pas transformées.

Écrire pour respirer

Fourier redoutait les révolutions qui veulent réformer le cours des choses par la violence. Aussi avait-il conscience de la difficulté des applications de sa théorie sur les questions sexuelles et affectives. Il savait que dans ce domaine, plus que dans d’autres, tout changement brutal est impossible. On ne peut ni par la raison, ni par la violence convaincre un individu de ses erreurs sentimentales, encore moins pourrait-on le faire pour toute une population qui a contracté des habitudes ancestrales. Mais jamais Fourier n’a prétendu donner des modèles de conduite. En imposant le mariage et la fidélité dans le couple, c’est la civilisation qui est dictatoriale. Elle tourmente ainsi une grande majorité d’individus qui ne peuvent se plier à cette règle et leur inflige frustration, amertume et culpabilité.

Pour élaborer le Nouveau monde amoureux Fourier s’appuya sur le principe selon lequel le cœur et le sexe sont des rebelles qui ne se plient à aucune autorité. Il ne chercha pas comme le font morale, religion et philosophie, à échafauder des principes que nul ne peut suivre mais il imagina le moyen d’offrir à chacun la jouissance de sa liberté, fut-elle des plus singulières. Ainsi lors de conversations avec les personnes qu’il rencontrait, Fourier semble avoir été très friand d’informations lui révélant la diversité des passions humaines qu’il nota et tenta de classer avec le soin d’un entomologiste.

« Entendez les femmes qui ont eu beaucoup d’amants et les hommes qui ont eu beaucoup de maîtresses, ont à citer une kyrielle des manies secrètes de chacun, il y en a même de fort plaisantes, car certains hommes du genre cafard aiment à être menacés, battus et maltraités horriblement par leur belle, en paroles et en actions. J’ai vu un jour un fouet pire que celui de la passion de Jésus-Christ et la femme qui s’en servait m’assura qu’elle touchait à force de bras sur son quidam, tout en l’accablant d’imprécations, et qu’il était très content de cette courtoise mignardise. D’autres aiment à battre et payent fort cher des femmes pour le plaisir de les déchirer, de couper.

Ceci est manie matérielle ; il en est du genre sentimental surtout chez les vieillards. Tel aime à se faire vêtir et traiter en marmot, la soubrette le coiffe d’un bourrelet d’enfant et l’on met en pénitence le poupon sexagénaire pour avoir fait des sottises ; en vain essaye-t-il de crier grâce ; il faut qu’il soit puni, il a trop fait le sot, il est forcé de corriger là dessus et l’on tapote doucement son fessier patriarcal, puis on lui fait demander pardon et baiser le fouet avec promesse d’être sage ; ceux qui ont cette manie peuvent composer le monde des vieux poupons qui est de genre sentimental, comme illusion amoureuse en sens de famillisme ; elle serait matérielle si se bornait à flagellation très en vogue chez divers vieillard ».

Fourier prône l’expression des manies. Lorsqu’elles sont connues et non pas dissimulées comme en civilisation, elles peuvent être harmonisées ; chacun possède la liberté d’affirmer sa singularité quand il trouve un partenaire qui prend plaisir à la satisfaire. Cependant même s’il s’agit de liberté sans frein - chose à quoi chacun aspire dans ce domaine - on ne peut s’y plonger brusquement. Le trop grand air serait néfaste à ceux qui n’en ont pas l’habitude. Fourier ménage donc ses lecteurs et ses lectrices, le sexe et l’amour ne tolèrent pas la brusquerie, il faut savoir être patient attentif et délicat.

Aussi ne propose-t-il pas de passer immédiatement aux nouvelles pratiques sexuelles et amoureuses car il faut procéder par étapes et laisser à chacun la possibilité d’avancer comme il le souhaite. Les premières phalanges s’établiront donc d’abord sur « les relations industrielles et le régime distributif de l’agriculture et du travail domestique » mais il sera indispensable d’exposer la théorie du Nouveau monde amoureux qui se trouve au centre de la vie individuelle et collective en harmonie. L’écriture chez Fourier, à la différence de Flaubert, crée un appel d’air, elle conduit à entrevoir de nouvelles possibilités qui s’incorporeront progressivement à l’existence de chacun. Ainsi le verbe deviendra chair et la chair elle-même deviendra verbe, l’un et l’autre ne cessant de se déborder dans un mouvement sans fin.

Emma n’aurait pas dû rêver moins mais rêver plus. Puisqu’il était impossible qu’elle réprime ses passions sous peine de renoncer à vivre, il fallait que son champ de vision soit élargi. Flaubert nous conte ses cruelles déceptions, cependant ce n’est pas son imagination créatrice d’illusions qui l’a perdue mais la sournoise manipulation que la civilisation lui a fait subir. Ses rêves étaient bien ternes lorsqu’elle les fixait passivement sur un homme idéalisé. Tout en étouffant dans l’étau du mariage, elle ne concevait pas d’autre modèle. Son affectivité, sa sexualité, ses phantasmes manquaient de légèreté et d’audace et venaient s’échouer sur le morne rivage de cette institution.

Tandis que Charles ronfle à ses côtés Emma rêve de sa vie avec Rodolphe :

« Et puis ils arriveraient, un soir, dans un village de pêcheurs, où les filets bruns séchaient au vent, le long de la falaise et des cabanes. C’est là qu’ils s’arrêteraient pour vivre : ils habiteraient une maison basse à toit plat, ombragée d’un palmier, au fond d’un golfe, au bord de la mer. Ils se promèneraient en gondole, ils se balanceraient en hamac ; et leur existence serait facile et large comme leurs vêtements de soie, toute chaude et étoilée comme les nuits douces qu’ils contempleraient. Cependant, sur l’immensité de cet avenir qu’elle se faisait apparaître, rien de particulier ne surgissait : les jours tous magnifiques, se ressemblaient comme les flots ; et cela se balançait à l’horizon infini, harmonieux, bleuâtre et couvert de soleil. »

À nouveau, le sexe, l’amour et le travail

Contrairement à ce que l’on considère souvent en civilisation, il est possible que le sexe et l’amour ne soient pas opposés au travail. Le cloisonnement de ces activités ne leur est pas nécessairement profitable. Actuellement on a tendance à considérer que le travail est une activité sérieuse mais stressante car il met en jeu un esprit de compétition difficilement supportable ; de l’autre côté, le sexe - proposé à bon marché comme un produit de consommation pris en charge par des agences spécialisées - apparaît, dans la vaste organisation des loisirs, comme une occupation délassante, une soupape indispensable pour la bonne marche productive. Quant au sentiment amoureux, n’ayant aucune utilité pour l’organisation capitaliste de la société, il est réservé à l’espace de l’intimité - d’ailleurs plutôt féminin - que la fiction littéraire a pour mission de remplir.

C’est selon de tout autres modalité que Fourier imagine les rapports entre l’amour, le sexe et le travail. Comme on l’a vu plus haut, il accorde une place importante au travail pour le développement des passions et l’épanouissement individuel. Il ne renie pas non plus les rivalités stimulantes et profitables à tous, l’organisation du travail doit donc les favoriser en maintenant toujours un certain degré d’inégalité.

Cependant, l’émulation en harmonie diffère de l’esprit de compétition caractéristique de la civilisation, parce qu’elle repose sur l’unitéïsme et non sur l’égoïsme. À partir du moment où les individus qui se mesurent les uns aux autres sont liés par la passion de l’unitéïsme la compétition perd sa dimension pathétique, lourde et terrifiante.

Fourier ne méprise pas les hiérarchies et les évaluations sociales sources de satisfactions et de plaisirs. Comme l’avait bien compris Kant l’ardeur au travail est démultipliée quand l’individu est motivé par le désir des honneurs et de la reconnaissance publique. Mais son analyse trop entachée de principes a manqué de légèreté, il a considéré l’esprit de rivalité - prétendument contraire à la morale - comme un mal nécessaire.

Selon Fourier il s’agit là d’arguties proprement philosophiques. Pourquoi ne pas accepter les humains tels qu’ils sont ? Si l’esprit de rivalité et l’ambition existent il faut les admettre sans se lamenter inutilement sur leur prétendue immoralité. Nul besoin de se résigner à la méchanceté humaine inventée par les esprits stériles et chagrins, il n’y a là aucune tragédie. Le mal existe en civilisation, cependant ce ne sont pas les passions qu’il faut incriminer mais leur engorgement car elles deviennent dangereuses lorsqu’elles sont contrariées.

La « cabaliste » fait partie des nombreuses passions recensée par Fourier, c’est elle qui pousse à se comparer, à calculer, à rivaliser. Il faut la satisfaire sans complexe car elle ne nuit à personne. Contrairement à la compétition civilisée elle s’exprime au grand jour, nul besoin de la décrier pour lui accorder par ailleurs toute la dévotion dont l’esprit de sérieux est capable.

Lorsqu’un individu l’emporte en Harmonie, il ne s’immobilise pas sur une vanité égocentrique qui l’empêcherait de s’adonner aux occupations variées de l’existence phalanstérienne et engorgerait la « papillonne », passion du changement. D’un autre côté, ses congénères ne l’adulent pas non plus comme s’il était l’Unique et comme si sa valeur devait exclure toutes les autres ; s’il obtient les plus grandes reconnaissances, elles ne sont pas exclusives. Car il existe en Harmonie quantité de titres honorifiques : « Révérend, Vénérable, Patriarche, Saint et Héros en majeur et en mineur, Fée et Fé, Mentorin et Mentorine, Damoiselle et Damoiseau, Jouvenceau et Jouvencelle, Chérubin et chérubine, Vestale et Vestal, Lutin et Lutine... Etc. ». Personne ne se trouve exclu du jeu des compétitions et, quel que soit son domaine, il trouvera l’occasion d’exercer sa passion de la cabaliste.

Avec son souci du détail et de la nuance, Fourier multiplie les critères de comparaison. Ici encore ce n’est pas par la réduction qu’il propose de résoudre les problème de la civilisation mais par la profusion, l’éclatement en tous sens. La lutte des classes se dissout, dans la multiplication des terrains de rivalité. L’approfondissement des différences dans tous les domaines permet l’expression des singularités mais n’entrave pas une forme d’égalité qui réside non dans la conformité mais dans la possibilité offerte à chacun de trouver une place où il sera reconnu et à partir de laquelle il pourra s’exprimer. Dans une seule journée un harmonien passera d’un groupe à un autre où il pourra développer, grâce aux séries comparatives, ses multiples talents manufacturiers, jardiniers, culinaires, musicaux, mais aussi sensuels et galants. Le travail et la sexualité ne s’opposent donc pas, ils sont deux expressions différentes d’un même lien fondamental : celui qui unit les individus dans l’amour.

Ambition et reconnaissance sociale, les bienfaits de l’illusion

Si chacun cherche la reconnaissance des autres ce n’est pas parce qu’il veut les dominer mais parce qu’il désire en être aimé. Or en civilisation, la reconnaissance des uns conduit à un pouvoir de domination qui nuit à tout le monde. Ceux qui se trouvent exclus des titres honorifiques se sentent rejetés, dévalorisés tandis que les bénéficiaires obtiennent l’apparat comme reconnaissance hypocrite, mais ils la paient doublement : par la jalousie, le ressentiment, la haine de ceux qu’ils écrasent et par la soumission à l’organisation d’un pouvoir qui les dépasse.

Le plaisir que procurent les illusions de la reconnaissance sociale serait pourtant bien supérieur s’il était accompagné de sourires sincères au lieu des grimaces crispées qu’on observe généralement. Quelle joie de se sentir reconnu librement sans calcul, sans arrière pensées et combien le plaisir de la domination paraît fade et factice lorsqu’on l’a au moins une fois éprouvée dans l’amitié ou l’amour sincères. Les honneurs trouvent leur véritable fonction sociale non lorsqu’ils établissent l’ordre et le figent mais lorsqu’ils favorisent le mouvement social et multiplient les liens entre les individus, pour cela, il faut donner à chacun l’occasion de se sentir au centre des regards. La rivalité ne doit engendrer nulle frustration, c’est pourquoi Fourier est attentif aux titres de reconnaissance dont personne n’est exclu. Il s’agit là de construire des illusions communes dans une véritable théâtralisation de la vie sociale.

Pas de distinction entre l’être et l’apparaître

Le principal disfonctionnement de la civilisation réside dans sa duplicité et dans la distinction qu’elle établit sans cesse entre ce qui apparaît et ce qui est, entre ce qui est dit et ce qui est pensé, entre ce qu’on montre et ce qu’on fait, entre les principes de moralité altruiste et les actions égoïstes.

Ainsi, la civilisation s’appuie sur l’égoïsme qu’elle inculque à chacun dès le plus jeune âge par ses méthodes d’éducation mais elle échafaude en même temps des discours moraux qui fustigent l’individualisme. Actes et paroles ne sont jamais en accord, cette hypocrisie loin de servir un quelconque intérêt entraîne une méfiance généralisée et pour certains, un sentiment de déchirante culpabilité. Comment dès lors s’épanouir librement ?

Il en va de même pour les honneurs : d’un côté, la civilisation établit « des grandeurs d’établissement » (formule de Pascal), se construit sur l’apparence des cérémonies et aujourd’hui des médias, et de l’autre, elle ne cesse de s’élever contre ces mêmes apparences. Les civilisés se lamentent : comment peut-on confondre ces grandeurs d’établissement avec les grandeurs naturelles plus authentiques, comment peut-on se perdre dans la stupidité des apparences et oublier l’importance de ce qui est ? La civilisation ne cesse donc d’osciller entre la valorisation des apparences et leur rejet. Elle élève avec ardeur de scintillantes illusions puis, prise de remords, elle affiche parfois un désir de sincérité et de vérité. Pour Fourier ce balancement permanent n’aboutit à rien. Les apparences perdent toute valeur à être tantôt reconnues avec délice tantôt rejetées avec mépris. La sincérité ne gagne rien non plus à être tantôt ridiculisée et tantôt revendiquée par d’austères républicains.

Est-on autre chose que l’on apparaît ?

En civilisation on se dissimule pour cacher d’inavouables tendances. Mais que découvre-t-on lorsqu’on les observe par le trou de la serrure : un individualisme immobile et conformiste d’une affligeante banalité. Pourquoi alors se dissimuler ? il n’y a rien à cacher qu’un secret de polichinelle. Les civilisés perdent leur temps à cacher ce que tout le monde connaît.

En Harmonie, la division être/apparaître est dépassée par l’expression. S’il s’agit de rompre avec le mensonge au service de l’égoïsme et l’hypocrisie propres à la civilisation, Fourier ne dévalorise pas pour autant l’apparence. Pour lui il n’y a pas de grandeur naturelle, de fondement, de socle qui constituerait l’individu. Ce dernier n’est rien d’autre que les passions qui le traversent et ses passions ne sont rien tant qu’elle ne sont pas en mouvement, tant qu’elles ne trouvent pas l’occasion de se déployer en se manifestant au grand jour. L’humain n’est pas autre chose que ce qu’il apparaît ; cette apparence qui prend sens dans le regard des autres, il en est responsable et il l’assume sans honte.

Sexe et réalité en civilisation

Dans le balancement constant entre mensonge et sincérité, apparence et vérité, le sexe trouve actuellement une place privilégiée. La mise en place des web-cam, des fictions-réalité, la recrudescence des publications érotiques semblent indiquer un souci d’authenticité. Il y aurait comme une volonté de faire tomber les masques pour pénétrer dans l’intimité des consciences comme s’il existait quelque part une transparence secrète à découvrir, un socle de vérité derrière le mensonge des apparences, un individu naturel échappant au jeu des illusions sociales et dans cette perspective le sexe aurait une place privilégiée.

Comme l’avait déjà montré Michel Foucault, dans le premier tome de son Histoire de la sexualité, l’homme occidental s’est constitué comme sujet par son sexe, c’est à travers lui qu’il a tenté de se reconnaître comme s’il recelait le secret de son identité. Ainsi la religion a-t-elle d’abord exigé que l’on expose un sexe coupable : « la pastorale chrétienne a inscrit comme devoir fondamental la tâche de faire passer tout ce qui a trait au sexe au moulin sans fin de la parole » puis la psychanalyse a pris le relais enjoignant le patient à révéler par sa sexualité ce qu’il a de plus secret, de plus intime. Comme si parler du sexe, c’était nécessairement se libérer de l’oppression d’un pouvoir pour se découvrir enfin tel qu’en soi-même. « Ce qui est propre aux sociétés modernes, ce n’est pas qu’elles aient voué le sexe à rester dans l’ombre, c’est qu’elle se soient vouées à en parler toujours, en le faisant valoir comme le secret ».

Le grand déballage actuel s’inscrit sans doute pour l’essentiel dans cette logique. Le souci d’authenticité et de transparence conduisant à l’aveu. Mais que découvre notre curiosité mesquine et voyeuriste ? Une réalité morne, qui s’impose sans faille et sous laquelle nous étouffons. Dans son dernier livre (Du trop de réalité), Annie Lebrun montre de quelle façon nous ployons aujourd’hui sous le poids de ce qui s’impose avec le statut de l’évidence :

« Réalité excessive que la surabondance, l’accumulation, la saturation d’informations gavent d’événements dans un carambolage d’excès de temps et d’excès d’espace. Mais réalité qui n’a rien de virtuel comme on s’efforce à nous le faire croire, alors qu’elle réussit à tendre embuscade sur embuscade à l’irréalité de nos désirs. C’est en fait cette réalité débordante, ce trop de réalité, qui revient nous assiéger du plus profond de nous-mêmes ».

Les issues sont bouchées, l’espace du rêve se replie lorsque la fiction devient réalité et que la réalité devient fiction. Ce n’est pas l’exception qui est éclairée, avec ce qu’elle comporte d’appel à vivre, mais la banalité d’un quotidien sans espoir qui est mise en avant et érigée en norme. Ainsi les vainqueurs du Loft deviennent-ils objets de toutes les convoitises tandis que nous ployons sous une illusion morbide que nous prenons pour la réalité. Le sexe est mis au pas. Là comme ailleurs, et même là pire qu’ailleurs, nous ne découvrons souvent rien d’autre qu’une réalité indépassable rendant tout écart impossible. Les corps et les comportements sont contrôlés, le trouble n’a plus lieu d’être.

L’amour comme foyer d’illusions communes

Le mécanisme de la civilisation tourne mal ; les sentiments les plus forts, les espoirs les plus fous se sont inversés, l’amour se transforme en indifférence et dissimule la haine, la jalousie. Le sexe devient souvent l’occasion d’exprimer le mépris, la violence. Les civilisés ont-ils pris peur du bonheur ? À trop désirer le tenir, ils ont tout gâché, par leur lourdeur maladroite et possessive, ils ont détruit ce qu’ils aimaient par dessus tout. À travers sa vie et ses livres Fourier a tenté d’affronter cette peur et de la dépasser. Il n’a cessé d’oeuvrer pour faire front aux frustrations que le monde civilisé impose quotidiennement. Dans l’univers qu’il a construit la chair palpite et l’esprit jouit des passions toujours renouvelées et toujours satisfaites.

Ce serait sans doute une erreur de vouloir appliquer à la lettre les théories du Nouveau monde amoureux. Il ne s’agit pas de savoir si elles sont réalisables, ce qui pourrait conduire à les rejeter définitivement dans un lieu impossible, mais de s’inspirer de l’espace que Fourier est parvenu à entrouvrir. L’écart et l’invention ne peuvent se produire lorsque la réalité devient fiction, mais cette dernière ne saurait, pour autant, être reléguée à l’espace clos d’une littérature d’évasion.

L’amour n’est pas réservé aux romans, l’amour est un roman où se rejoignent ici et maintenant l’écriture et la vie. C’est une source d’illusions stimulantes que Fourier ne cesse d’entretenir et de nourrir par son écriture. Inlassablement il construit des remparts contre l’amertume des déceptions et des désillusions civilisées et tente d’éveiller par l’effet de l’enthousiasme communicatif, l’exercice confiant de l’abandon. La question n’est donc pas d’écrire sur le sexe ni de dire ou de dissimuler ce qui est, mais de créer une intensité. Quant à l’amour, il n’a d’autre réalité que sa puissance d’illusion et d’invention, toujours renouvelable par son expression infinie.


Aphorisme du jour :
Les sectes suffisent à elles seules à guider la politique humaine dans le labyrinthe des passions
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