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Ambiance bois, l’entreprise autrement...
Article mis en ligne le 15 décembre 2007
dernière modification le 7 avril 2008

par Guillaume, Chantal

« REPAS » ou le Réseau d’Echanges et de Pratiques Alternatives et Solidaires trouve parfaitement sa place dans notre recherche qui vise à exhumer ou rendre publiques des expérimentations économiques et sociales. Ce réseau est aussi une maison d’édition éponyme, les Editions Repas dont la collection « Pratiques utopiques » relate des expériences d’entreprises alternatives qui mettent en application des théories, des utopies écrites, les testent avec plus ou moins de succès mais toujours avec la certitude qu’il n’y a d’utopie qu’essayée, recommencée et entrée en friction avec la réalité.

Ce qui nous paraît être le fil conducteur historique de toutes ces entreprises, c’est la volonté d’expérimenter d’autres formes d’organisation du travail. Les utopies du XIXe siècle comme les expériences coopérativistes du XXe siècle sont fondées sur ce constat que la démocratie sous l’emprise de l’économisme est vaine si elle n’est pas réappropriation des modes de produire et de travailler. Maîtriser le temps de travail et la répartition de ses fruits, comme la production, sa nécessité et qualité, de même que les conséquences écologiques qu’elle induit ainsi que le processus de commercialisation, se révèle être aujourd’hui la matrice de toute volonté de changement social réel.

Depuis une trentaine d’années, on peut faire le constat que les partis politiques inscrivent leurs programmes, leurs solutions et réformes dans la logique économique qui maintient et renforce tout ce qu’une pensée éclairée récuse : le déséquilibre capital/travail, le productivisme aveugle, des formes de pouvoir échappant totalement aux acteurs de l’entreprise. De plus la production et l’échange illimités alimentent l’imaginaire économiciste comme le montrait Fourier au point que l’économie devient une fin pour elle-même.

Ambiance Bois partie prenante du réseau Repas, est une entreprise dissidente, pourtant inscrite dans le système de marché, n’ayant donc pas choisi un repli frileux dans un îlot économique séparé. Elle va comme le dit Serge Latouche dans la préface « fertiliser le désert ambiant ». Ce désert, c’est le plateau de Millevaches dans le Limousin. Dans les années 80 « une bande de copains », forme le projet d’une vie communautaire en corrélation avec une expérience de travail en commun. Le désir d’institution d’un collectif de vie a pour condition réaliste la création d’une entreprise économique alternative. Leur démarche est empirique, hasardeuse et informelle même si en se nommant CRISE, Collectif de Recherche d’Innovation Sociale et d’Expérimentation, elle témoigne en faveur d’une rupture pensée et réfléchie. Le collectif fondateur se détourne vite « des aménageurs labellisés » comme l’écrit l’auteur de Ambiance Bois, scions travaillait autrement, Michel Lulek, mais rencontre plutôt des soixante-huitards, des associations et groupes professionnels qui « bricolent » et innovent à leur manière dans la région. C’est un collectif de néo-ruraux, qui à la différence de leurs aînés, assument ce statut et se sont débarrassés d’une conception naïve de la campagne, mythifiée et mystifiée. Il semble que ce projet repose sur l’absence de modèle théorique, pré-conçu ou pré-fabriqué mais plutôt sur quelques principes affirmés donnant sens à cette entreprise combinée de vie et de travail. On sait combien Fourier tenait à cette idée d’association combinée de ménages en phalanstère. C’est douce utopie de vouloir relier collectif de vie et de travail.

Il s’agit d’expérimenter d’autres formes de vie et de travail susceptibles de préserver l’autonomie, l’égalité et la réflexivité sur les modalités de la production. Le statut juridique de l’entreprise (qui, selon l’auteur, importe peu au regard des exigences posées) sera finalement une société anonyme à participation ouvrière : une SAPO. Ce qui la différencie d’une coopérative, c’est le fait qu’elle maintienne cette distinction : actions du capital et actions du travail, en conservant ici cependant une représentation égalitaire entre travail et capital. Fourier lui aussi, faisait coexister les actions du capital et du travail en affirmant que les intérêts de l’un et l’autre pouvaient coopérer et s’équilibrer. Il est toutefois nécessaire d’ajouter que le « capital » d’Ambiance Bois est constitué par la famille, le réseau, les amis des fondateurs de cette utopie pratique, bien loin de l’actionnariat capitaliste.

Parvenu à ce stade de notre présentation, nous remarquons que nous avons omis de préciser la nature professionnelle de cette entreprise : cet oubli est emblématique de la nature du projet car ce qui prime l’économique, c’est le but et le sens de cette démarche de création d’un atelier semi-industriel. Michel Lulek prendra d’ailleurs soin de montrer que la cohérence entre leurs objectifs et leur pratique est le résultat d’un long processus de maturation (1989-1997).

L’entreprise Ambiance Bois de sciage-raboterie fabrique des lambris, des parquets, des bardages et enfin plus récemment propose des maisons à ossature bois. Est-elle une entreprise normalisée ? Non elle est plutôt effort continu et maintenu pour échapper malgré les contraintes à la logique économique orthodoxe : concurrence, développement de l’entreprise, inégalité dans la décision et les salaires... Elle intégrera plusieurs impératifs dont le premier est l’autogestion dans le travail et tiendra le pari, malgré les obstacles, de l’auto-organisation harmonieuse vie-travail, de la maîtrise du temps et des choix en se détournant de la spirale : besoins-travail-richesse. Pourtant l’entreprise a créé de la richesse en s’assurant d’une certaine autonomie et pérennité économique. Elle comporte aujourd’hui vingt salariés qui ont conforté cette volonté de travailler nombreux plutôt que plus chacun ! Le temps choisi n’est pas complet (la majorité des emplois est à temps partiel) mais il n’est pas ce temps totalement séparé des vies, étranger aux existences de chacun. Le salaire est demeuré modeste, égal pour tous sauf petite modulation à l’ancienneté ! Pourtant on ne quitte pas le navire Ambiance Bois, on s’y attache à cette organisation hors norme du travail. Démocratie dans l’entreprise (les réunions font partie de la prise de décision collective), rotation des tâches pour satisfaire ce que Fourier nomme la passion papillonne constituent les réussites réelles de l’entreprise. A Ambiance Bois on passe du bureau à l’atelier, la séparation n’étant pas étanche même si l’auteur admet que la polyvalence intégrale est difficile à mettre en œuvre, les talents et dispositions différant. Ce n’est pas si facile d’être indifféremment un bon mécanicien et un bon comptable. Reste que la majorité des tâches les plus pénibles et les moins gratifiantes sont partagées. Ainsi se trouve toujours préservé cet équilibre d’égalité dans le travail. Rendre le travail attrayant comme le voulait Fourier n’est pas une petite affaire !

Enfin il faut aussi présenter d’autres caractères singuliers de cette entreprise dissidente. Le souci de maîtriser les aspects commerciaux l’ont conduite à se passer, comme le souhaitaient toutes les utopies du XIXe des intermédiaires. En effet, Ambiance Bois a choisi d’avoir un lien privilégié avec le consommateur abandonnant le créneau des grandes surfaces du bricolage qui imposent des normes de qualité inférieures et des conditions de concurrence contestables. L’entreprise se donne aussi la possibilité de refuser la standardisation et prend la voie de la diversification de ses produits, plus appropriée à la pérennité économique. Cette exigence a été couplée avec le souci écologique, assumé jusqu’au refus, d’obtenir le label développement durable devenu une tartufferie du capitalisme. Pour preuve, ce label peut être obtenu en important 80% du mélèze d’Europe de l’Est, ce qui contribue à piller une ressource sans souci de son renouvellement et à allonger les distances de transport : belle démonstration de soutenabilité ! C’est aussi échapper à cette logique destructrice de la concurrence, en faisant le choix de valoriser la richesse locale en participant réellement à sa durabilité. Ambiance Bois se veut toujours vigilante : ainsi les maisons à ossature bois sont fabriquées et livrées uniquement dans la région pour satisfaire à ces exigences écologiques. De même elle se moque de cet a priori économiciste  : une entreprise qui ne se développe pas meurt. La sortie de la tyrannie de l’économie impose de ne pas se soumettre à cet impératif et de rechercher ce que Ambiance Bois nomme un équilibre stationnaire. La normalisation serait effective s’il y avait tentation de se conformer au modèle de l’entreprise de la concurrence et de la production à outrance. Cette démarche coopérative, autogestionnaire n’est préservée qu’à la condition de repousser les tentations de normalisation et de rentrée dans le rang. Il est vrai que bon nombre de coopératives sont devenues progressivement, sous la pressions des contraintes économiques auxquelles elles n’ont pas pu ou su déroger, des entreprises normales ayant abandonné tous les objectifs initiaux. L’utopie pratiquée exige donc un niveau de réflexivité et de vigilance élevé. Il nous a semblé en écoutant un fondateur de cette entreprise, Michel Lulek, que donner sens et cohérence à sa pratique offre des avantages incommensurables. Ambiance Bois fait cette démonstration qu’il faut coupler comme l’écrit Fourier le bonheur en matériel et en spirituel. L’attraction industrielle suppose de sortir de la seule logique de l’économie.

Pour en savoir plus :

Michel Lulek, Scions... travaillait autrement ? Ambiance bois, l’aventure d’un collectif autogéré. (préface de Serge Latouche), Editions Repas, coll. « Pratiques utopiques », 2003