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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Au "sanctuaire des phalanstériens". Pierre Joigneaux (1843)
Article mis en ligne le 9 juillet 2008
dernière modification le 15 février 2009

par Bouchet, Thomas

Par le biais d’une anecdote plaisante, Pierre Joigneaux exprime ici les profondes réserves que lui inspirent la pensée et la personnalité de Fourier. Il ironise sur le manque de réalisme du "maître" et il dénonce le fonctionnement sectaire du groupe réuni autour de lui. Joigneaux, né à Beaune en 1815, est un républicain déterminé ; il écrit régulièrement dans la presse ; en 1841, il fait paraître un ouvrage intitulé Les Prisons de Paris, par un ancien détenu. Son évocation de la réunion de 1833, rédigée dix ans après les faits, est assez fantaisiste. Mais son texte a ceci d’intéressant qu’il traduit une opposition entre Fourier et le républicanisme. Joigneaux écrit dans ses Souvenirs qu’il a été traité en 1833 par Fourier d’"affreux jacobin", ce qui ne l’incite guère ensuite à la mansuétude. Au-delà, il poursuit en 1843 un objectif précis : prouver que le républicanisme est pragmatique et non utopique. Dans cette optique, Fourier et l’Ecole sociétaire sont des cibles utiles. Les lecteurs bourguignons ne peuvent-ils pas, écrit plus loin Joigneaux, mesurer par eux-mêmes l’échec de Fourier à l’aune de la malheureuse expérience de colonie phalanstérienne de Cîteaux, qui justement périclite en 1843 ?

En 1833, un soir que la bise d’hiver passait en sifflant sur les toits de Paris, une vingtaine de personnes se trouvaient réunies dans un petit appartement de la rue Joquelet. C’était là le sanctuaire des phalanstériens. Nous pénétrâmes librement dans la première pièce, où trois disciples en renom avaient l’air fort ennuyé ; puis nous passâmes dans la seconde pièce, où des jeunes hommes et quelques dames, naguère saint-simoniennes, faisaient cercle autour d’un vieillard. On respirait à peine, on n’osait dire mot, chacun semblait muet d’admiration. Cependant, après quelques minutes d’un religieux silence, le vieillard ouvrit la conférence, et peu à peu les adeptes revinrent à eux et les conversations s’établirent. En ce moment, un jeune homme rejeta en arrière les longues boucles de sa chevelure blonde, s’approcha du fauteuil du vieillard, s’y accouda avec une allure de familiarité et lui demanda avec douceur :

« M. Charles Fourier, quand verrons-nous donc s’établir le premier phalanstère ? »

« Bientôt, répondit le vieillard, sur un ton brusque qui lui était habituel ; on s’occupe à cette heure de celui de Condé-sur-Vesgres [sic. pour Vesgre], et après celui-là nous en aurons d’autres. »

« Ah ! Tant mieux ! fit le jeune homme, en roulant ses mains de satisfaction. »

« Dans trois ans, reprit Charles Fourier, la France sera couverte de phalanstères... quand je dis la France, je veux dire l’Europe... le monde... l’univers... »

Les fanatiques de la doctrine crièrent bravo ! avec une telle impétuosité que nous n’osâmes pas secouer la tête en signe de doute.
Dix années se sont écoulées depuis que le maître a prononcé ces paroles prophétiques, et pourtant le phalanstère ne brille encore nulle part.
[...]

Pierre Joigneaux, dans Chronique de Bourgogne, 1843.