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119-126
Les origines et la famille de Considerant
Article mis en ligne le 15 décembre 2008
dernière modification le 2 août 2017

par Dubos, Jean-Claude

La famille de Considerant était fixée à Salins depuis quatre générations. Son arrière-grand-père Jacques était relieur et marchand fripier à Salins. Son grand-père Claude était libraire. Son père Jean-Baptiste a été professeur de rhétorique au collège de Salins ; il a épousé Suzanne Courbe, fille de notaire et cousine germaine de Désiré Adrien Gréa, l’un des premiers disciples de Fourier, député du Doubs (1828-1834) puis du Jura (1848). Victor Considerant a entretenu des relations suivies avec ses cousins Gréa alors qu’il ne semble pas avoir fréquenté la branche belge de la famille.

« Fourier, Considerant, Proudhon, tous ces esprits spéculatifs qui écrivent leurs poésies en chiffres et qui jettent leur imagination par-dessus l’ordre social, aimant mieux inventer l’impossible que ne rien inventer du tout, étaient comtois », écrit Lamartine dans son Cours familier de littérature (76e entretien). De purs Comtois d’ailleurs, pour ce qui est de Considerant, car tous ses ancêtres connus sont nés en Franche-Comté, dans les départements actuels du Jura.

L’arrière-grand-père de Victor Considerant, Jacques, né sans doute en 1708 mais dont l’origine est inconnue apparaît dans les archives de Salins où il est dit « manant » vers 1740 [1]. Quelques années plus tard, il est reçu habitant et le 22 septembre 1742, il épouse en l’église Saint-Anatole Ursule Alexandre, dont il aura cinq enfants : d’abord trois filles, Claudine Justine, née le 7 juillet 1743, Claudine-Henriette, née le 18 décembre 1744 et Jeanne- Claudine née le 11 août et décédée le 14 août 1746, puis deux fils, Jean- Claude, né le 9 janvier 1748 et Simon Auguste, né le 28 octobre 1749, qui sera relieur. En 1742, Jacques Considerant est relieur de livres, puis à partir de 1750 marchand fripier et accessoirement teneur de billard et marchand de livres. Il est poursuivi pour dettes en 1759, ce qui nous vaut un inventaire de ses maigres biens analysé par Michel Vernus.

Son fils Jean-Claude, le grand-père de Victor Considerant, marchand libraire à Salins épouse Jeanne-Françoise Garnier dont il a quatre fils ; Jean- Baptiste, le père de Victor, né le 24 octobre 1771, Antoine-Louis, auteur de la branche belge, né le 25 août 1776, Jean-Claude, né le 6 juillet 1778, et Antoine, né le 10 janvier 1780 (célibataire, libraire à Salins, décédé à Salins à 76 ans le 22 décembre 1856). Il eut aussi deux filles, Jeanne-Simone, née le 16 août 1773, libraire à Salins, célibataire, décédée à Salins le 12 août 1850 et Rosalie Bonaventure Marguerite, née le 8 décembre 1880, marchande et célibataire, morte le 26 février 1843. Curieusement, en dehors de Mélèze- Justine, la sœur aînée de Victor, toutes les demoiselles Considerant sont demeurées célibataires. En 1782, Jean-Claude Considerant, alors poursuivi pour dettes, et sa femme procèdent à une séparation de biens. L’inventaire du fonds de la librairie, dressé à cette occasion le 23 janvier 1782, a fait l’objet d’une minutieuse étude de Michel Vernus. On y trouve tous les grands auteurs du XVIIe et du XVIIIe siècle, particulièrement Voltaire, et sur les 603 ouvrages relevés, 203 concernent la religion, 99 l’Histoire, 98 les belles-Lettres, 61 le droit, 36 la médecine et 31 les sciences, ce qui correspond aux proportions habituelles des fonds des librairies de l’époque.

Laissant sa femme exploiter seule la librairie, Jean-Claude Considerant devient alors chef de cuite aux salines de Salins, ville où il meurt le 14 mars 1814. Jeanne-Françoise Garnier était morte le 31 mai 1790, âgée d’environ quarante ans.

Jean-Baptiste, le père de Victor, même s’il a fait une carrière que l’on pourrait qualifier de très banale, a cependant suscité, de la part de ses compatriotes, et notamment de la part d’un homme aussi pondéré que le bibliothécaire de Besançon Charles Weiss, une admiration unanime. Au lendemain de sa mort, en avril 1827, Weiss écrit dans son Journal :

C’était un de ces hommes qui doivent avoir un Plutarque pour historien. Je ne puis le comparer qu’à un héros de l’Antiquité. S’il eut vécu sur un théâtre digne de lui, il aurait surpassé la réputation des plus grands citoyens de la France. Je n’ai jamais connu un homme plus éloquent quand il parlait, animé par un de ces sentiments généreux dont le foyer était dans son cœur. A toutes les époques, il a donné des preuves de dévouement.

Il est probable que c’est la droiture de Jean-Baptiste Considerant et sa fidélité à ses convictions qui ont déterminé le jugement de Weiss, comme celui des amis qui parlèrent sur sa tombe en termes semblables, l’ex-oratorien Racle, qui le compare aussi aux héros de l’Antiquité, et le docteur Broyé.

Le 30 novembre 1790, à 19 ans, Jean-Baptiste Considerant épouse Suzanne Courbe, fille de Claude-Marie Courbe, notaire à Salins, et de Jeanne-Françoise Gréa, morte en 1773. Suzanne est assistée de son curateur Augustin Marcou (sans doute un parent du géologue Jules Marcou, ami de Considerant aux États-Unis et auteur de sa notice nécrologique dans Le Salinois en 1893). Sa mère est la fille de Pierre Gréa, notaire royal à Gigny dans le Jura et d’Anne- Thérèse Colin. Elle a un frère, Augustin Gréa (1742-1824), avocat, qui a acquis une propriété importante à Rotalier près de Beaufort, et qui sera en 1793 receveur général du Jura. En 1806, il est mentionné par le préfet dans la liste des 60 propriétaires les plus distingués du Jura. Nous aurons l’occasion de revenir sur cette famille Gréa, dont les liens avec les Considerant, en particulier avec Victor furent très intimes.

Un premier enfant, Julie, naquit et fut baptisée à Salins le 16 avril 1791 [2]. Jean-Baptiste Considerant s’engagea en 1792 dans un bataillon de volontaires, mais il ne resta pas longtemps dans l’armée. Le 11 germinal an II (31 mars 1794), il déclare à la mairie de Saizenay près de Salins la naissance d’une fille à laquelle il a donné le prénom de Mélèze [3], ce qui implique des sentiments républicains avancés. C’est à cette époque en effet que, par rejet des prénoms chrétiens, certains jacobins choisissent de porter des prénoms tirés de l’ordre végétal ou minéral, à commencer par l’oncle de Fourier, Antoine Pion, conseiller municipal de Besançon, qui se fait appeler Pavot-Zinc. En fait Mélèze, la sœur préférée de Victor Considerant, sera connue sous le nom de Justine. Son acte de naissance ne précise pas la profession de Jean-Baptiste, mais il fut imprimeur à Salins et, en 1797, bibliothécaire de la ville. En 1798, il se rendit à Rome pour défendre d’anciens compagnons d’armes, traduits devant un Conseil de guerre pour avoir dénoncé les dilapidations de Masséna : « Il plaida leur cause avec tant de chaleur que ces officiers furent acquittés et que le commandement de l’armée fut retiré à Masséna pour un temps [4]. »

Le 16 ventôse an VIII (6 mars 1800), c’est la naissance de son fils aîné Gustave (surnommé « Bonhomme ») qui est toujours resté dans l’ombre de Victor, à qui le liait une chaleureuse affection. Célibataire, il fut de 1829 à 1839 imprimeur et bibliothécaire à Salins, puis professeur de mathématiques à Saumur et à Vendôme, où il mourut en 1886.

En 1808, à la veille de la naissance de Victor (le 23 octobre), Jean-Baptiste s’engagea à nouveau dans l’armée pour rejoindre en Espagne le général Mouton, dont il fut le secrétaire particulier. Mais il rentra en France au bout de quelques mois, écœuré par la sauvagerie de cette guerre, qui préfigurait celle des guerres coloniales, car elle opposait la France non à une armée, mais à tout un peuple. Son ami Jean-Jacques Ordinaire, recteur de la toute nouvelle Académie universitaire de Besançon, le convainquit d’en accepter le poste de secrétaire ; mais à Besançon, il se sentait trop éloigné de Salins, et il décida d’y revenir en 1810 comme professeur au collège et, naturellement, il y eut ses fils pour élèves. En 1821, en raison de sa réputation de pédagogue, une jeune veuve bisontine, Clarisse Vigoureux décida de placer en pension chez lui son fils Paul, âgé de dix ans, qui devait rapidement devenir le meilleur ami de Victor, de deux ans son aîné.

En juillet 1825, Victor, reçu bachelier à 16 ans l’année précédente, était depuis un an élève du Collège de Besançon où il préparait Polytechnique - Clarisse Vigoureux était sa correspondante, et il résidait probablement chez un ami de son père, le receveur des postes Thelmier - lorsque éclata un immense incendie qui détruisit Salins aux deux tiers. Laissant brûler ses deux maisons - dont la maison natale de Victor - Jean-Baptiste se précipita au secours du collège, qu’avec le concours de Gustave et de ses élèves, il parvint à protéger des flammes. Cela n’apaisa pas l’animosité que lui vouait le nouveau recteur de l’Université de Besançon, l’abbé Calmels, en raison de ses opinions libérales et voltairiennes. Le 10 février 1826, Jean-Baptiste écrit à Charles Weiss :

Vous me demandez par Victor quelques renseignements sur les récompenses que l’impartiale Université accorde à 16 ans de travail d’un pauvre diable, qui a 54 ans d’âge, beaucoup d’infirmités et qui vient de perdre dans l’incendie de Salins la moitié de sa très humble fortune. Que vous dira-t-il, mon cher ? Qu’il est aussi sottement que barbarement sacrifié par la fille aînée des Rois de France sur l’autel de Loyola. Le principal qui, depuis son entrée dans l’établissement ne s’est occupé que des moyens de le saper pour y donner l’accès aux Jésuites dont il est le délégué, est un de ces petits prêtres furibonds à qui on, a inculqué la « rabbia papale... » Sans être appelé, entendu, confronté, sans avoir reçu communication des motifs qui pouvaient fournir le prétexte de mon renvoi, j’ai été proscrit [...]

En fait, Jean-Baptiste a été muté à Sarlat, mais il a refusé cet exil et il est considéré comme démissionnaire. Le 26 mars, Victor écrit à Clarisse Vigoureux : « On pense ici toute réclamation inutile puisque celle du Conseil de ville a échoué. »

Un an plus tard, le 27 avril 1827, Jean-Baptiste mourait de chagrin - trois mois après le décès, le 16 janvier, de la fille aînée de Clarisse Vigoureux, Claire, âgée de 16 ans, le premier amour de Victor Considerant. Dans l’éloge qu’il devait y prononcer le 26 avril 1828 le secrétaire perpétuel de l’Académie de Besançon (dont Jean-Baptiste était associé correspondant), François-Joseph Génisset déclarait : « M. Considerant, doué de l’âme la plus honnête et la plus sensible et du plus beau caractère a senti la pointe de l’envie pénétrer jusqu’à son cœur. Il a succombé comme la plante robuste dont une larve souterraine ou l’insecte rongeur a dissipé la sève, mais un élan général de douleur, un gémissement profond et unanime s’est élevé sur sa tombe. »

Il avait eu la joie d’assister, le 5 mai 1826 à Salins, au mariage de sa fille aînée Mélèze (Justine), âgée de 32 ans, avec Henry Ferdinand Pallas, âgé de 28 ans, commis de forges. Ce dernier était le directeur de la tréfilerie de Montarlot-les-Rioz, exploitée par le maître de forges Joseph Gauthier, frère de Clarisse Vigoureux et aussi gendre de Génisset. Dans une lettre à son futur beau-frère Paul Vigoureux, Victor écrit que « Il (Pallas) a mille francs de fixe. Il a aussi une grande maison contenant toutes les pièces exigibles à la campagne, étable, écurie, grenier à foin, plus un jardin et un verger autour de la maison, champs et prairies, vignes, plus bois pour son usage et celui des ouvriers de la forge. »

Quelques mois plus tard, le 13 décembre 1826, Victor Considerant, qui venait d’arriver à Paris après son succès au concours de Polytechnique, reçut de son beau-frère Pallas la curieuse lettre que voici :

Je ne sais, mon cher Victor, si l’on t’a donné déjà des détails relatifs à la malade. Depuis ton départ, Marguerite a été fréquemment dans un état de somnambulisme que nous n’avions même pas vu. Elle a deviné le nom du Bossu, de Lach, et nous a dit cent choses exactement vraies et dont elle ne pouvait avoir aucune connaissance... Avant-hier, travaillant dans son atelier, elle s’y trouve mal. Je l’emmène chez moi, elle s’y endort et dit tout ce qui se passe autour d’elle. Elle se met à raconter les complots que faisaient un assassin et sa famille, ce qu’ils méditaient et contre elle et contre moi. En effet depuis quelques temps, j’aperçois en cet homme un regard sinistre, effrayant, c’est un crime qu’il médite. Tu nous as raconté du magnétisme tant de choses extraordinaires, nous en avons tant vu ces derniers temps qu’il faut, mon cher Victor que tu tâches de la magnétiser fortement et que tu la contraignes à dire quels sont les moyens à opposer au ressentiment de cet homme. Justine va t’en dire deux mots.

Justine ajoute en effet :

Marguerite dit qu’elle n’a plus que six semaines à vivre et que c’est au moyen d’un coup de couteau qu’on l’expédiera. Elle annonce à mon mari quelque chose qui vaut à peu près autant. Il faut que tu la magnétises aussitôt que tu auras reçu cette lettre. Je voudrais que ce fût à neuf heures du soir. A cette heure-là, elle est toujours chez le père Girardin. Nous aurons soin de nous y trouver et nous verrons si elle répond aux questions que tu peux faire à cet égard. Je ne puis t’en dire plus, le messager va partir.

Considerant magnétisa-t-il Marguerite ? En tout cas, le 18 décembre, il demanda un rendez-vous au professeur Deleuze, du Muséum d’Histoire Naturelle, grand spécialiste du magnétisme. Il joignit sans doute à cette demande la lettre d’Henry et de Justine ou la remit lui-même au professeur car les deux lettres ont été publiées ensemble à la suite de l’envoi d’un lecteur dans la revue catholique Les Annales franc-comtoises en 1895 sous le titre : « Victor Considerant magnétiseur [5] ». C’était une des grandes modes de l’époque : le Journal du Genevois Charles Didier nous apprend qu’il a magnétisé George Sand.

Marguerite fut certainement recueillie par Clarisse Vigoureux à qui Considerant demande de ses nouvelles en 1828. Peut-être s’agissait-il de Marguerite Soudan, morte à 55 ans en 1833 à Montarlot au domicile de Claude-François Gauthier, frère de Clarisse et propriétaire des usines de Montarlot.

Après quelques années à Montarlot où naquit son fils Jules, Henry Pallas devint marchand de fer à Poligny, puis il fut percepteur pendant un an à Thoirette dans l’Ain, et ensuite à Beaufort dans le Jura où il est mort le 24 février 1862 ; toute leur existence, Henry et Justine gardèrent des relations constantes avec Victor, tout comme leur fils Jules, officier de marine, et dès leur retour en France en 1869, Victor et Julie séjournèrent à Beaufort. C’était le premier contact de Considerant avec la Franche-Comté depuis plus de vingt ans. Mélèze-Justine décéda à Beaufort le 29 mai 1880.

Dans une lettre à Clarisse Vigoureux datée de 1828, Considerant manifestait l’intention d’aller en Belgique chez ses cousins pendant les vacances. Mais il ne mit pas ce projet à exécution, et quoiqu’il se soit rendu plusieurs fois dans ce pays sous la monarchie de Juillet et y ait passé ses premières années d’exil, de 1849 à 1854, il ne semble pas avoir rencontré ses cousins, ni même correspondu avec eux ; son oncle, Antoine-Louis, s’était engagé à seize ans en 1792 et avait fait toutes les campagnes jusqu’en 1797. Il fut secrétaire particulier du général Ney, puis fut nommé greffier en chef du tribunal civil de Thuin en Belgique, et enfin commandant d’une compagnie de la garde communale de Charleroi où il mourut le 7 décembre 1845.

Un de ses fils, Nestor Considerant, né à Mons en 1821 et mort à Bruxelles en 1877, fut journaliste à L’Indépendance belge et auteur d’une Histoire de la Révolution du XVIe siècle. Il participa en 1862 au grand banquet des « Misérables » organisé à Bruxelles en l’honneur de Victor Hugo par leur éditeur commun, Albert Lacroix. Curieusement, un autre Considerant de la branche belge revint se fixer en Franche-Comté. Il s’agit d’un neveu de Nestor, Louis-Joseph-Alexandre né à Charleroi le 21 mars 1836, fils de Louis-Joseph Considerant et d’Antoinette Laurent. Il se maria à Pugey, près de Besançon, avec Adèle Mathilde Maiziere et il y mourut le 7 décembre 1903, laissant une fille Hélène, épouse Rousselot, mère de Marthe Rousselot épouse Guidet, puis Guilmard, dont la descendance s’est continuée jusqu’à nos jours. En 1876, elle écrivait à l’une de ses cousines :

J’ai beaucoup entendu parler de Considerant qui était un cousin de ma mère, j’ai vu sa photographie, il porte les cheveux blancs légèrement frisés. Sa femme était une artiste peintre et j’ai vu un tableau d’elle - ce sont des roses au Musée du Luxembourg.

Si les relations de Victor Considerant et de ses parents belges ont été inexistantes, il n’en fut pas de même avec Désiré-Adrien Gréa (1787-1863), cousin germain de sa mère, propriétaire-viticulteur à Rotalier, qui, comme Just Muiron qui avait son âge et était peut-être un camarade d’études, fut vers 1815 l’un des premiers lecteurs de Fourier. Il avait épousé Lucie Monnier (1802-1887), fille d’Étienne Monnier (1764-1849) et nièce d’Emmanuel Jobez (1775-1828), maîtres de forges associés à Baudin et à Syam, où Emmanuel Jobez, député du Doubs, fit construire une superbe villa palladienne qui est maintenant un centre artistique renommé. Ses trois frères, Marcel (1807-1895), Léon (1810-1894) et Edmond (1812-1895) Monnier, ainsi que ses cousins Alphonse (1813-1893) et Charles (1815-1875) Jobez devaient être de grands amis de Considerant, et même, du moins pour ce qui est de Marcel Monnier qui vendra l’abbaye de Cîteaux à Arthur Young en 1840 et Alphonse Jobez, qui retournera ses positions en 1848, incliner vers le fouriérisme. Edmond Monnier était, lui, un adepte du christianisme social, qu’il mit en application dans ses forges de Baudin [6].

En 1825, après l’incendie de Salins, Désiré-Adrien Gréa avait proposé à Jean-Baptiste Considerant - qui refusa noblement - de prendre en charge les études de Victor. Le 10 septembre, Muiron, qui séjournait alors à Rotalier écrivit à Fourier qui y était attendu : « Il y a ici un jeune homme de 17 ans, parent de Gréa, qui se faisait une grande joie de vous voir, parce qu’il s’enthousiasme de vos découvertes ». Il s’agit, bien sûr, de Victor, qui quitta Rotalier avant l’arrivée de Fourier et ne fit sa connaissance qu’à Paris, après son admission à Polytechnique.

En décembre 1828, Désiré-Adrien Gréa est élu député du Doubs en remplacement d’Emmanuel Jobez, mort en octobre d’une chute de cheval. Le 8 mai 1830, il participe à un banquet de l’opposition libérale au gouvernement organisé par le marquis de Grammont, député de la Haute-Saône, et qui a pour invité principal Benjamin Constant ; le jeune Victor Hugo assiste lui aussi à ce banquet. Gréa sera député du Doubs jusqu’en 1832, et en 1848, député du Jura. Sans doute pour suivre la mode, il avait offert en 1837 à sa famille et même à sa belle-sœur des vacances à Dieppe, la plage alors en vogue [7].

En juin 1832, conjointement avec Baudet-Dulary, député de Seine-et-Oise, Gréa avait accepté les fonctions de syndic du premier journal fouriériste, Le Phalanstère. Mais il commençait à avoir des doutes et malgré une longue lettre de Fourier pour le convaincre de rester [8], il démissionna. En 1837 il fut cependant au nombre de ceux qui, à l’appel de Clarisse Vigoureux et de Muiron, souscrivirent à la constitution d’une rente pour Fourier, dont l’état de fortune était précaire.

De son mariage avec Lucie Monnier, Désiré-Adrien Gréa avait eu trois fils. L’aîné Charles, né en 1825, décéda à l’âge de neuf ans en octobre 1834. Considerant qui était présent à Rotalier, où il reçut Parole de Providence de Clarisse Vigoureux, exécuta le portrait du jeune enfant sur son lit de mort. Le second, Hadrien Gréa, né en 1828, était un homme d’une envergure exceptionnelle. Entré premier et sorti premier en 1849 de l’École des Chartes, il fut ordonné prêtre en 1856. Son premier poste fut celui d’aumônier des forges de Baudin, qui appartenaient à son oncle Edmond Monnier ; puis en 1863, il devint vicaire général du diocèse de Saint Claude. Là, il fonda en 1871 la Congrégation des Chanoines réguliers de l’immaculée Conception, dont il devint le Supérieur général. Mais peu apprécié par le gouvernement, il fut écarté du Vicariat général en 1880 et, après la Séparation de l’Église et de l’État, la Congrégation dut se réfugier en Ligurie. En 1912, le Vatican lui retira sa confiance et, amer et déçu, il se réfugia dans sa famille à Rotalier, où il mourut en 1917. Il avait refusé un chapeau de cardinal, tout comme son cousin issu de germain, Victor Considerant, avait refusé, après 1870 de reprendre une quelconque activité politique. Il est aussi l’auteur d’ouvrages sur l’histoire de la liturgie catholique.

Son frère, Emmanuel Gréa (1829-1910) avait repris à Rotalier la succession de leur père comme propriétaire-viticulteur, produisant le « Château Gréa » qui existe toujours. L’exploitation fut continuée par son fils Pierre (1866- 1962), puis par le gendre de celui-ci, M. Henry de Boissieu qui a bien voulu nous communiquer une partie de ses archives. Depuis quelques années, son fils Pierre de Boissieu a transformé Rotalier en chambres d’hôtes, et l’on peut y dormir sous le toit qui a jadis abrité Fourier, Muiron et Considerant.


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