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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

205-206
Au marché paysan de Millau
Article mis en ligne le 15 décembre 2008
dernière modification le 4 août 2017

par Guillaume, Chantal

Florence Rhodain et Claude Llena, enseignants-chercheurs à Montpellier, ont mené une étude sur une expérience de « marché paysan à Millau » qui est loin d’être restée isolée puisqu’il faut constater que depuis cette date ces expériences se sont multipliées en France. Il nous semble que cette expérimentation économique témoigne d’un « esprit coopératif » et solidaire qui rompt avec le paradigme dominant qui fait de l’agriculture une activité industrielle et marchande comme les autres. Elle renoue avec les tentatives d’association de producteurs et consommateurs du XIXe siècle qui visaient à court-circuiter ce que Fourier appelle le commerce parasite et fourbe. « Le marché paysan de Millau » fait revivre « Le Commerce véridique » de Michel-Marie Derrion à Lyon en 1835-1838. Ce que les auteurs de l’étude nomment le « laboratoire de l’après-modernité » a déjà connu des essais, des tentatives dans une époque antérieure. Au XIXe siècle les coopératives de consommation en Europe (par exemple les pionniers de Rochdale en Grande-Bretagne) représentaient des solutions pour sortir de la misère les ouvriers et mettre en œuvre une autre conception de l’organisation économique.

Au XXIe siècle, à l’agriculture mondiale convertie à la concurrence qui appauvrit le producteur et offre des productions de mauvaise qualité (ce que déplorait déjà Fourier !), des expériences alternatives opposent une autre manière de produire et vendre. A Millau, vingt-cinq producteurs vendent directement leurs produits (légumes, viandes, laitages, miel, confitures...) dans un local ouvert au public au cœur de la ville. Neuf seulement de ces producteurs sont ruraux issus du milieu agricole, les autres ne sont pas originaires de la région mais ont choisi ce mode de vie et de travail.

Ce qui réunit ces producteurs, c’est le territoire qui devient effectivement le lieu emblématique de l’expérimentation. En effet, il abolit les distances entre la production et la consommation, il promeut le local et le saisonnier tout autant que la diversité et la qualité et il supprime les intermédiaires commerciaux. La plupart des produits proposés ont le label Bio pour confirmer la volonté de relocaliser et de promouvoir une démarche écologique. Fourier faisait du local, comptoir communal, ferme communale, le lieu possible de tous les essais d’association susceptibles d’inverser la logique économiciste.

Ce qui subvertit aussi la logique habituelle de la production, c’est le fait que chaque producteur est responsable de ses produits mais participe aussi à l’ensemble des tâches qui incombent à la gestion de la structure : travaux de décoration, ménage, publicité, gestion des stocks, au prorata du chiffre d’affaires réalisé. Les tâches ne sont pas hiérarchisées ; une heure de ménage vaut une heure de comptabilité dans un esprit d’association et de coopération. Il serait fouriériste de valoriser à égalité l’engagement de chacun dans l’ordre sociétaire pour réaliser l’harmonie sociale. Chaque associé est capable de dépasser son intérêt particulier pour servir volontairement l’intérêt général. F. Rhodain et C. Llena le formulent ainsi : la somme des intérêts individuels procure l’intérêt général. Ainsi chaque producteur abandonne la logique individualiste et concurrentielle pour faire valoir le produit de l’autre. L’association des producteurs réalise d’elle-même une certaine harmonisation des intérêts et privilégie la logique collective.

Ainsi cette étude vise à montrer que ce type de commerce a une utilité économique mais aussi sociale et politique. Le marché paysan est aussi un lieu de rencontres, d’échanges et de convivialité. Le concept de consomm’acteur rend compte pour ces chercheurs d’un lien nouveau entre producteur et consommateur. Celui-ci inscrit son geste dans une économie solidaire, réciprocitaire ; il n’est plus censé ignorer ce monde de la production locale ni ce qui la conditionne. Il choisit le circuit court, la qualité, et redécouvre ce que l’agriculture industrielle détruit : la biodiversité, les saveurs, et les goûts. Fourier constatait déjà que l’accent mis sur le quantitatif se faisait aux dépens de la variété des goûts. A la standardisation des produits, la production locale privilégie le terroir, la spécificité et la saisonnalité. Dans l’esprit de ce marché, protéger le territoire c’est aussi protéger le producteur qui vend son travail à un meilleur prix. Ainsi on peut admettre que des deux côtés, producteur et consommateur, il y a une démarche citoyenne qui vise à redonner de l’autonomie aux acteurs sociaux et qui préfigure une réflexion sur un possible changement social et économique. Les auteurs de cette étude signalent l’existence d’un groupement de soixante-dix agriculteurs et artisans des Cévennes et du Languedoc, Terroir direct, qui propose un système alternatif d’approvisionnement en produits fermiers et de qualité. Ce qui nous intéresse dans ces expérimentations, c’est qu’elles inventent dans une tradition coopérative et solidaire un autre mode de production. Il faut ajouter pour montrer que ces expériences dépassent la simple nécessité économique, que « Le Marché paysan de Millau » s’est doté pour ses membres d’une « mutuelle coup dur » qui témoigne d’une volonté de ne pas réduire cette organisation à ses finalités strictement économiques.

L’étude de Florence Rhodain et Claude Llena est consultable sur le site charlesfourier.fr