Frédéric Panni, conservateur en chef du patrimoine, qui dirige le projet de valorisation du Familistère de Guise, vient de publier un très bel ouvrage, constitué de textes et de photographies, les premiers consistant en lettres de Godin et datant de la seconde moitié du XIXe siècle, les secondes prises en 2002 par le photographe Hugues Fontaine. Comme l’explique F. Panni dans une introduction, il ne s’agit pas d’illustrer du texte par des images : séparés par plus d’un siècle, « photographies et courriers entament un double récit du Familistère suivant une logique et un rythme propres à chaque voix ». Toutefois, les uns et les autres offrent au lecteur une restitution sensible des lieux, Godin ayant souvent insisté sur la nécessité de voir l’établissement pour comprendre le projet. Les soixante-six photographies nous font le plus souvent pénétrer dans le Familistère et circuler dans les cours, les escaliers et les couloirs. Godin est l’auteur d’une abondante correspondance ; dix-neuf lettres ont été sélectionnées ; parmi les destinataires, on reconnaît notamment quelques (parfois anciens) fouriéristes : Victor Calland, Jean-Baptiste Fourrier, Jules Delbruck, Auguste Savardan, Charles Sauvestre et Edouard Raoux. Godin y explique ses intentions, soit sur sa conception générale du Familistère et les principes associatifs, soit sur des aspects plus précis : l’organisation matérielle et architecturale de l’établissement, l’éducation des enfants... Ces lettres suggèrent la complexité des relations entre Godin et certains membres de l’Ecole sociétaire, qui attendent de ce dernier la réalisation du phalanstère. Godin doit préciser ses intentions, répondre aux objections ou aux remarques, parfois expliquer ou justifier ses choix, tout en invitant ses condisciples à venir visiter le Familistère. Lui-même s’interroge en 1864 sur le soutien qu’il peut attendre des fouriéristes : « Combien y en a-t-il qui y aideront [à la réalisation du Familistère], je l’ignore. Ce ne sera pas ceux qui ont été enthousiastes des travaux de Fourier avec des biens dont ils espéraient jouir personnellement. Ce ne pourra être que ceux qui ont été illuminés d’un rayon de justice sociale et qui sont disposés au sacrifice de leur personne pour la faire briller sur leurs frères » (Lettre à Jean-Baptiste Fourrier, de Blidah (Algérie), 8 janvier 1864). Il faut enfin souligner la qualité formelle du livre ainsi que la précision des notes marginales qui enrichissent et éclairent le texte de Godin.
Bernard Desmars est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Lorraine. Après avoir étudié la délinquance des premières décennies du XIXe siècle, il s’intéresse depuis quelques années déjà aux militants fouriéristes, et surtout à ce qu’ils deviennent après la Seconde République, aux voies qu’ils empruntent pour réaliser leurs ambitions et concrétiser leurs idéaux. Il participe depuis une quinzaine d’années aux activités de l’Association d’études fouriéristes. Il a récemment publié Militants de l’utopie ? Les fouriéristes dans la seconde moitié du XIXe siècle (Dijon, Presses du Réel, 2010)
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