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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Armand, (Victor Joseph) Félix
Article mis en ligne le 3 juin 2011
dernière modification le 6 juin 2016

par Desmars, Bernard

Né le 28 décembre 1901 à Malancourt (Meuse), décédé le 1er mars 1963 à Vitry-le-François (Marne). Professeur de philosophie, militant communiste, coopérateur, auteur de publications sur Fourier.

Fils d’un couple d’instituteurs, Félix Armand suit des études secondaires, pendant lesquelles il a comme professeur de philosophie René Maublanc ; il effectue ensuite des études supérieures en philosophie à la faculté des lettres de Paris ; il y obtient une licence (1922), puis un diplôme d’études approfondies (1924). En 1929, il est nommé professeur de lettres-philosophie à Vitry-le-François (Marne), où il adhère au parti communiste en 1936 (il avait déjà été membre des Jeunesses communistes dans les années 1920) et devient un militant de la coopération très actif. Ce double engagement, communiste et coopératif, complété par une adhésion au Syndicat national de l’enseignement secondaire, puis par un mandat au conseil municipal de Vitry-le-François après la Seconde Guerre mondiale, se poursuit jusqu’à son décès en 1963.

Ces différents aspects ont fait récemment l’objet d’une notice rédigée par Jacques Girault et parue dans le Dictionnaire biographique. Mouvement ouvrier. Mouvement social (voir en bibliographie). C’est comme auteur de travaux sur Fourier et le fouriérisme que Félix Armand a sa place dans le Dictionnaire biographique du fouriérisme. C’est donc sous ce seul angle qu’il est présenté dans les lignes qui suivent.

Proudhon et Fourier

Le premier texte connu de Félix Armand est un long article (une soixantaine de pages) paru dans la Revue d’histoire économique et sociale  : l’auteur y étudie la façon dont Proudhon a lu, admiré (rarement) et critiqué (surtout) Fourier. Ce travail, écrit-il lui-même, lui a été suggéré par le sociologue Célestin Bouglé, auteur de plusieurs études sur Proudhon et qui a accueilli les archives fouriéristes au Centre de documentation sociale de l’École normale supérieure, et qui, peu après, consacre un ouvrage aux « socialismes français ».

Dans cet article, et afin d’analyser la lecture proudhonienne de l’œuvre fouriériste, F. Armand est amené à étudier très minutieusement cette dernière et à en exposer de nombreux aspects ; l’article se réfère aussi bien aux publications de Fourier, voire à celles de ses disciples, qu’aux commentaires de Proudhon. Et après avoir analysé la critique adressée par Proudhon à la science sociale et au projet harmonien de Fourier, Félix Armand relève tout ce qui rapproche les pensées des deux Franc-Comtois, et la façon dont Proudhon a repris - le plus souvent sans l’avouer - un certain nombre d’analyses fouriéristes sur l’organisation sociale :

« Rêveries fouriéristes, métaphysique proudhonienne. Certes, Karl Marx avait beau jeu et ses sarcasmes belle cible. [...] Mais ils ont raison aussi ceux qui virent en Proudhon le père du socialisme scientifique. Je dirai, pour mon compte, que Fourier en est le grand-père : fouriériste l’idée que l’économie politique, la science sociale doit [sic] être une science certaine, capable de démonstration théorique et de vérification expérimentale ; - fouriériste l’idée de l’évolution historique de l’humanité suivant le développement des lois économiques ; - fouriériste encore la notion de recul du politique et de la dissolution de l’État. Si Proudhon doit avoir sa place parmi les précurseurs du matérialisme historique, en vérité on ne peut refuser d’en offrir une à Fourier » [1].
Enfin, il conclut : « malgré ce qui peut les séparer, différences de tendance, divergences de tempérament, Proudhon et Fourier restent près l’un de l’autre. Après avoir été oublié et méprisé pendant cinquante ans par les socialistes marxistes, Proudhon connaît un renouveau d’influence. Fourier lui aussi revient à la lumière. Et c’est justice. Ces deux génies sont de même famille » [2].

Dans les années suivantes, la perspective des travaux de Félix Armand change ; s’il continue à lire et étudier Fourier, ce n’est plus par rapport à Proudhon, mais par rapport à Marx, au « socialisme scientifique » et au « communisme soviétique ».

Socialisme utopique et socialisme scientifique

Entre 1937 et 1953, Armand publie, seul ou en collaboration avec son ancien professeur de philosophie René Maublanc, plusieurs travaux sur Fourier, travaux très marqués par le contexte politique national et international (stalinisme, montée des fascismes dans les années 1930, entrée dans la guerre froide et dénonciation par le parti communiste du gaullisme et des partis de la Troisième Force à la fin des années 1940 et au début de la décennie suivante).

En 1937, à l’occasion du centenaire de la mort de Fourier, il publie avec René Maublanc deux ouvrages : le premier, dans la collection « Les précurseurs du socialisme », forme un bref volume de moins de cent pages, comprenant à la fois une présentation et une anthologie de Fourier ; le second, qui fait partie de la collection « Socialisme et culture », aux Éditions sociales internationales, est constitué de deux tomes, avec également une première partie consacrée à la vie de Fourier et une seconde sélectionnant un certain nombre de ses textes.

En 1948, dans la « collection du Centenaire de la Révolution de 1848 », il fait paraître une étude sur les fouriéristes sous la Seconde République. Enfin, en 1953, il publie aux Éditions sociales des « textes choisis » de Fourier, accompagnés d’une préface, de notes et de commentaires. Ce dernier livre est réimprimé en 1969, soit après la mort de l’auteur.

Dans ces ouvrages, Armand s’inscrit dans le cadre de l’analyse développée par Marx et Engels, dans Le Manifeste du parti communiste, et approfondie par le second dans Socialisme utopique et socialisme scientifique. Fourier est un « précurseur » du socialisme ; mais si l’on peut admirer sa critique des vices de la « féodalité financière » et des maux engendrés par le capitalisme, il faut rejeter les solutions qu’il avance, et en particulier le phalanstère, qui n’est qu’une construction utopique, une chimère ; les fouriéristes se sont d’ailleurs montrés incapables de résoudre les problèmes sociaux et de peser réellement sur le cours de l’histoire. Aussi leur temps est-il terminé dès le milieu du XIXe siècle, déclare Armand.

Fourier et Staline

Mais en même temps, Armand s’efforce de démontrer « l’actualité de Fourier » (c’est le titre du dernier chapitre de l’un des ouvrages parus en 1937) ; il insiste tout d’abord sur le caractère révolutionnaire du fouriérisme qui aspire, non à quelques réformes, mais à un changement radical de société, comme, au XXe siècle, le parti communiste le propose. Aussi, « il n’y a en fait qu’un seul héritier authentique de la pensée fouriériste : le socialisme scientifique. Toute autre interprétation ne peut être qu’une mascarade réactionnaire », écrit-il en 1948 [3], visant probablement à la fois le socialisme réformiste et coopérateur et les doctrines conservatrices promouvant l’association du capital et du travail, qui s’appuient parfois sur Fourier.

Cette actualité de Fourier, outre la volonté de rupture nette avec le capitalisme, se manifeste également dans des anticipations de Fourier qui se sont réalisées (rapidité des communications ; percements des isthmes de Suez et de Panama...) et surtout dans des progrès sociaux : « il serait aisé de retrouver aussi une trace de la pensée fouriériste dans l’émancipation de la femme, dans les essais de langue universelle, dans la propagande pour le retour aux champs, dans les cités jardins et l’organisation des loisirs, dans le sport et même [...] dans les nouvelles organisations de vie en commun », ou encore dans les nouvelles pédagogies [4].

Plus précisément, c’est dans l’URSS de Staline que « certains solutions fouriéristes ont montré leur vertu pratique » [5] : Fourier voulait organiser le travail, le coordonner et le diviser de façon rationnelle et scientifique, notamment en recourant davantage à la machine afin d’alléger l’effort humain : « la réalité soviétique correspond assez bien à ces rêves », grâce à la collectivisation des entreprises et à la formation de vastes unités de production, fortement mécanisées. De même, « dans les sovkhoz [sic] et les kolkhoz [sic], Fourier retrouverait l’image moderne de son phalanstère ». La mise en valeur de nouvelles terres en Sibérie et la création de nouvelles variétés de vigne et de blé vont dans le sens du projet fouriériste qui veut fertiliser l’ensemble du globe, y compris les déserts et les pôles. Et « qu’est-ce que les groupes stakhanovistes, sinon la composite et la cabaliste en action, des groupes d’ouvriers enthousiastes qui, par émulation, réalisent une meilleure division du travail et s’efforcent de battre des records industriels » [6].

Félix Armand accentue les traits de cette lecture dans son ouvrage paru au début de l’année 1953 (avant la mort de Staline). D’une part, il affirme que le communisme prolonge le fouriérisme et qu’il concrétise certaines de ses aspirations : « le communisme est bien la nécessaire issue du mouvement naturel de la civilisation. Même certains détails de l’organisation que Fourier rêvait d’établir au phalanstère et qui pouvaient sembler absurdes il y a cent ans se réalisent sous nos yeux dans l’actuelle structure socialiste de l’URSS et se développent au rythme même de son mouvement ». Mais d’autre part, « l’œuvre de Staline met en évidence tout ce qui, chez Fourier, est utopique et mort » [7] (p. 159), et F. Armand oppose l’échec des essais phalanstériens aux « réussites » soviétiques, l’impuissance des fouriéristes qui restent dans l’abstraction d’une cité idéale, aux réalisations concrètes de Staline.