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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Boissy Antoine, Louis
Article mis en ligne le 5 août 2011
dernière modification le 20 novembre 2013

par Bouchet, Thomas, Desmars, Bernard

Né vers 1804 à Paris, mort le 25 octobre 1880 à Paris, poète-ouvrier, ébéniste puis cartonnier, lié pendant des décennies à la fois aux saint-simoniens et aux fouriéristes.

Un poète ouvrier

C’est à Victor Considerant qu’Antoine Boissy dédie en 1835 une pièce en vers intitulée « L’Oisiveté », sur un air de Taconnet. Mais le contenu d’« Oisiveté » ne permet pas de conclure que Boissy est fouriériste. Il y est question des turpitudes des plus riches (« Voyez rouler ce char de l’opulence, / Où sont traînés ces dorés fainéants, / Les demi-dieux, fiers de leur indolence, / Sont nos seigneurs ; nous sommes des manants. »). Boissy mobilise sa « verve prolétaire » pour dire la dignité du Peuple ; il glorifie aussi les figures de l’Artiste et de la Femme. Même tonalité générale dans un second poème, co-signé avec Jules Mercier et intitulé « Le Prolétaire de 1835 » : « Je suis prolétaire / Et m’en fais honneur ; / Aucun sur la terre / N’a plus de grandeur. ») Ces deux textes sont chantés le 8 novembre 1835 lors d’une soirée saint-simonienne en même temps que deux pièces signées du chansonnier saint-simonien Vinçard [1]. Boissy écrit en 1836 dans « Aux poètes socialistes » des vers à tonalité très voisine des précédents : « L’esclave devient serf, le serf salarié / Il faudra bien un jour qu’il soit associé [2] » (dans Le Nouveau Chant du prolétaire, Paris, 1841). Boissy, en 1835 et dans la suite de son existence, a l’originalité de se situer au contact du saint-simonisme et du fouriérisme.
Sur le versant fouriériste de son engagement, il lit en 1839 la poésie « L’étoile du peuple » au banquet du 7 avril organisé par les dissidents pour commémorer la naissance de Fourier [3]. L’année suivante, il est présent dans l’Almanach social  : ébéniste résidant au 149 rue du faubourg Saint-Antoine à Paris, il est décrit comme l’un des « principaux artistes et travailleurs appartenant à l’Ecole sociétaire [4] ». Il fait partie des signataires de l’« Appel aux disciples de Fourier » du 21 janvier 1840, publié le même jour dans le journal Le Nouveau Monde où on peut lire en particulier : « Mettons-nous à l’œuvre, et le premier phalanstère surgira ». Trois mois plus tard, il est présenté dans Le Nouveau Monde comme « un de nos disciples les plus zélés, modèle des travailleurs de notre école ». D’autres poèmes signés de lui paraissent dans Le Nouveau Monde au tout début des années 1840. C’est « Ma profession de foi » (extrait : « Saint-Simon et Fourier, colosses de génie, / A cette œuvre sublime, ont consacré leur vie / Et le rire insolent accueillit leurs travaux... ») ; puis « Aux philosophes », lu le 18 janvier 1841 aux bureaux du Nouveau Monde avec un « très grand succès ». C’est ensuite « L’impossible », où il s’adresse entre autres aux « mortels égarés », et qui paraît dans Le Nouveau Monde du 1er juin 1841. Quatre mois plus tard Le Nouveau Monde annonce que Le Nouveau Chant du prolétaire, signé Boissy, vient de paraître. On loue la « lyre phalanstérienne » de l’auteur, présenté comme « le membre et l’organe » de l’Ecole.
Il est très souvent présent dans les « banquets populaires » ou « banquets des ouvriers » organisés le dimanche qui suit le 7 avril, parallèlement au banquet officiel de l’Ecole, et parfois en dehors de l’occasion fournie par l’anniversaire de la naissance de Fourier. C’est le cas en 1840, où il publie un poème en l’honneur de Fourier (extrait : « Voyez de ces enfants les danses gracieuses, / Voyez leurs blonds cheveux, en tresses amoureuses / S’agiter librement au souffle du zéphyr. ») ; signalé parmi les convives en 1841, il préside le banquet de 1845, et y lit un poème, « La foi, l’espérance et la charité » [5]. En 1846, il lit des vers et prononce un toast [6] ; en 1847, il préside le banquet, et après un toast, lit (ou chante) « Anniversaire de la naissance de Fourier » [7].

A Condé-sur-Vesgre

En 1846, Boissy fait partie d’un groupe d’ouvriers parisiens qui, après s’être entendu avec Baudet-Dulary, s’installe à Condé-sur-Vesgre, sur une partie des terrains de la première colonie. Cette Société Baudet-Dulary, Lenoir, Boissy et Cie construit un vaste édifice (le bâtiment principal actuel de la colonie) et crée un atelier de cartonnerie, auquel ils souhaitent associer d’autres activités artisanales (ébénisterie, menuiserie, poterie) et agricoles. "Ce noyau de phalanstérien", ces "ouvriers d’élite pour la plupart", écrit Jules Duval quelques années plus tard, "n’ayant pas foi dans le prochain et facile avènement du phalanstère, voulaient du moins, par quelque tentative en petite échelle et bien conduite, sortir de l’anarchie civilisée" [8]. Quatre ou cinq ménages s’installent à Condé, dont Boissy et sa famille (sa fille, Virginie, issue d’un premier mariage avec Olympe Andrieux, décède à Condé en juin 1849 [9] ; Boissy épouse le 10 janvier 1848 Françoise Eugénie Varniez, cartonnière [10]).
Boissy fait partie au printemps 1848, avec Lenoir, du bureau du club de l’Organisation du Travail, un club lié à Jules Lechevalier qui émet quelques feuilles et assure quelques conférences. A la séance du Club du 18 juin 1848, Lechevalier ne ménage pas ses compliments sur le projet d’école sociétaire pratique auquel participent activement Lenoir et Boissy : « Je constate que partout où l’association a été essayée, elle est parvenue à conserver la fidélité du cœur, de l’esprit de ceux qui s’y étaient dévoués ; voilà un résultat qui en vaut bien un autre. » [11] Mais des dissensions entre Baudet-Dulary et la gérance dirigée par Lenoir, ajoutées à des difficultés économiques, provoquent la fin des activités ; le dernier ouvrier parisien quitte la colonie en mars 1850. La Société Baudet-Dulary, Lenoir, Boissy et Cie (parfois appelée « Société des cartonniers ») est remplacée dans les bâtiments de Condé par le « Ménage sociétaire » à partir de 1850 ; mais jusqu’à sa dissolution en 1859, elle reste propriétaire des lieux qu’elle loue au Ménage sociétaire - c’est alors que le Ménage sociétaire en fait l’acquisition. Quant à Boissy, il continue son activité de cartonnier à Paris, et au moment où Jules Duval écrit, en 1868, il possède un atelier « en pleine prospérité, [qui] occupe près de trente personnes ».

Saint-simonien, fouriériste, mutualiste et poète...

Dans un répertoire de noms et d’adresses de fouriéristes pour les années 1850-1860 figure Boissy, cartonnier, demeurant à Paris, 14, rue Neuve Saint-François [12]. Avec Madame et Mademoiselle Boissy, il est à la même époque membre de la Société des Amis de la famille, un groupe saint-simonien qui compte environ soixante-quinze membres. En voici le fonctionnement : vers 1848 « Arlès-Dufour et Enfantin alimentent un compte d’assistance en y versant chacun mille cinq cents francs environ prélevés sur les gains réalisés lors dans leurs opérations financières ; pour pérenniser l’œuvre d’assistance à certains saint-simoniens, Enfantin décide (avec d’autres) la constitution d’une société de secours mutuel susceptible de recevoir des dons et legs en franchise de droits fiscaux. La société est approuvée par le ministère de l’Intérieur le 19 juillet 1861. Son Président est Henri Fournel. Les membres honoraires sont ceux qui financent. Les membres participants sont les bénéficiaires des soutiens. Durant les sept années 1861-1867, les secours temporaires de maladie et de chômage, s’élèvent à 32 783 francs. » [13]
Parallèlement, Boissy participe à des anniversaires de la naissance de Fourier au cours des années 1860 : il est mentionné parmi les présents en 1866 [14] et 1869 (il y chante « L’impossible », dont le texte est reproduit dans La Science sociale [15]).
Boissy meurt le 25 octobre 1880 à l’âge de 76 ans, à son domicile du 14 rue Debelleyme [16]. Il semble qu’il soit resté sympathisant du fouriérisme jusqu’à la fin de son existence [17]. La Revue du mouvement social, dans son numéro de mai 1881, publie une nécrologie de Boissy empruntée au discours prononcé par Charles Pellarin lors du banquet d’avril. Limousin évoque dans le journal les « noms de phalanstériens morts au cours de l’année dernière et dont nous n’avons pu parler parce que nous ne les connaissons pas ». Il prénomme fautivement Boissy Lucien, le qualifie de « poète ouvrier », rappelle qu’il a écrit des chansons saint-simoniennes et phalanstériennes, dont « Honneur aux travailleurs », pièce pour laquelle Durbize, de Saint-Etienne, autre phalanstérien, a fait la musique. Plus tard, dans La Science Sociale de juin 1882, il est écrit que « les vieux phalanstériens se souviendront sans doute de Boissy, l’ouvrier menuisier auteur de plusieurs des chansons qu’on entonnait dans les banquets du temps où l’école sociétaire était florissante ».
C’est le fils de Boissy qui réunit à titre posthume ses poésies dans le volume intitulé Poésies saint-simoniennes et phalanstériennes. Il s’en justifie au début du livre : « Ces poésies posthumes forment une couronne d’amitié que les amis de l’auteur jettent sur sa fosse fleurie, par la survivance que ce cher transformé possède dans l’infini. Ce vieux muséen a traversé sa dernière existence avec des larmes dans le cœur pour toutes les souffrances ; le blâme aux lèvres devant les exactions sociales ; rendant hommage à toutes les splendeurs du bon et du beau ; n’ayant pour combattre le mal qu’une palme de concorde en montant vers l’avenir ». Parmi les poèmes rassemblés, on peut remarquer « A Fourier » (« Fourier, dont l’esprit créateur / Nous révéla nos destinées / Et qui, pour combattre l’erreur, / Courbas le front quarante années ; / Pauvre, si tu fermas les yeux, / Ton âme, quittant ce rivage, / Avait, en s’élevant aux cieux, / L’immortalité pour bagage », mais aussi « La phalanstérienne » (reproduit in extenso en document 1) et « L’harmonie ».

"La phalanstérienne"
Sans date, reproduit dans Poésies saint-simoniennes et phalanstériennes, 1881