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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Bruils, Moïse
Article mis en ligne le 13 février 2012
dernière modification le 4 février 2015

par Sosnowski, Jean-Claude

Ecrivain d’origine mauricienne. Membre de l’Union harmonienne à Paris. Collaborateur puis opposant de Rémy Ollier à l’Ile Maurice. Fondateur du journal mauricien L’Esprit public.

Moïse Bruils est originaire de l’Ile Maurice, dépendance britannique depuis 1815. Il appartient à une famille mulâtre cultivée de l’île. En janvier 1837, un vaudeville de sa composition, la Chaumière, est donné à Port-Louis et reçoit les éloges de la presse. Il se rend en France pour des études de droit. Il fréquente les milieux littéraires de la capitale. Il aurait été “le nègre” d’Alexandre Dumas pour la rédaction de Georges qui paraît en 1843. Il aurait également rencontré Jules Michelet qui lui aurait donné le goût de l’histoire.

Moïse Bruils est parmi les trente-trois signataires de l’appel « aux masses » lancé le 21 janvier 1840 par le comité de la Souscription phalanstérienne, projet initié dans la mouvance du journal Le Nouveau Monde de Czynski et destiné à une « souscription universelle pour la fondation du premier phalanstère » [1], ainsi qu’à l’organisation d’une centre de l’Union et d’un comité de souscription dans chaque ville de province et de l’étranger. Dans ce même almanach, il publie un écrit sur l’organisation du travail qui se veut une définition de ce que doit être l’association des Capital, Travail et Talent dans le cadre de la réalisation d’un essai sociétaire. La Civilisation avec l’accroissement de la richesse nationale n’est pas une « garantie de la prospérité sociale [sic]. N’est-il pas dès lors évident que notre science économique est incomplète [sic] et chimérique ? ». La libre concurrence est source des maux qui « arrachent à l’ouvrier son droit au travail ». Afin de résoudre tous les maux de la Civilisation, Bruils propose « de découvrir les dispositions d’un mécanisme, embrassant à la fois la culture, le ménage, la fabrique, les sciences et les arts » et préconise de « constituer le travail attrayant ». Il s’illustre lors des réunions organisées par Le Nouveau monde au Grand-Salon-de-Mars ; il est l’un de ceux qui aident « puissamment » [2] le groupe. . « Orateurs et poètes s’unissent aux artistes de tous les genres, pour attirer le public, pour lui offrir, au milieu des chants harmonieux, et de la musique mélodieuse, l’exposition de quelques vérités nouvelles. Le plaisir composé, cette nourriture des sens et de l’âme devait attirer d’un côté les artistes de cœur et de talent, et de l’autre un public choisi »1. Le 6 juin 1841, il improvise un discours sur les passions :

il tâcha de répondre à quelques objections, en prouvant que les passions dans l’ordre sociétaire enfanteront autant de vertus qu’elles enfantent de vices dans l’état actuel. Malgré l’incontestable talent du jeune orateur, nous pensons qu’il n’a pas répondu à la gravité et à la beauté du sujet, déclare l’auteur du compte rendu. En parlant de l’attraction passionnée, il aurait pu développer tout ce qu’il y a de plus beau et de plus religieux dans la théorie […] [3].

Il retourne à l’île Maurice dès 1842, apparemment sans avoir ni réussi ses études juridiques, ni percé dans les milieux littéraires. Mais ce qu’on sait de lui est rapporté par ses adversaires. Depuis 1832, l’île connaît un régime de liberté de la presse et d’émancipation des hommes de couleur. Néanmoins, les partis politiques en place se sont arrangés pour figer le système. Rémy Ollier a pris la défense des hommes de couleur dans son journal La Sentinelle, et réclame une représentation élective. Bruils collabore comme feuilletoniste à La Sentinelle, mais aurait pris ombrage de la renommée d’Ollier. En 1844, dans un article publié dans Le Cernéen, « Création à Maurice d’une caisse de retraite pour les classes laborieuses des deux sexes », Bruils prend le contre-pied d’Ollier dans le combat pour l’égalité politique, jugeant qu’« au milieu des diverses causes puissantes, irrésistibles, qui, à Maurice comme dans tout centre de civilisation arrivant ou au moment d’arriver aux derniers progrès, doivent ignorer les perturbations, les désordres moraux, les vices et les douleurs, amoncelés sur l’Europe vieillie et blasée, l’émancipation, quoique nécessaire, sacrée en principe, est peut-être le fait qui a contribué et doit contribuer plus que tout autre, pendant longtemps encore, à l’introduction dans notre île des fatales conséquences de la civilisation. Ceux qui en connaissent les bienfaits doivent donc diriger leur attention sur des changements qui ont si profondément modifié notre ancien et déplorable système social, afin de prévenir les désastreux effets que l’homme prudent et logique croit pouvoir attribuer, dans un avenir plus ou moins lointain, à cette jouissance illimitée, heureuse peut-être, [...] mais dont presque tous, l’histoire nous le dit, abusent trop souvent » [4]. En octobre 1844, Bruils prend la tête d’un journal L’Esprit public, fondé avec un européen Sir Célicourt Antelme. Il s’oppose avec virulence à La Sentinelle d’Ollier. Il défend l’idée « que l’aristocratie de fortune et de talent en honneur dans tous les pays devrait l’être aussi parmi les habitants de Maurice comme partout où il y a une société organisée » [5]. En 1842, Bruils avait publié une ode à Guizot, louange à la monarchie de Juillet, à Louis-Philippe et à la famille d’Orléans. Bruils revendique également sa double origine et fait scandale parmi les mulâtres qui l’accusent de renier ses origines africaines : « On me rappelle, aussi avec une foudroyante éloquence que je tiens, par mon origine, à cette ancienne population esclave. Je dirai froidement que je ne puis oublier cela, mais quand même temps, je me rappellerai toujours que l’Europe m’a donné à moitié son sang et sa couleur » [6]. En 1845, son journal cesse de paraître. Il se consacre, en pionnier, à des cours privés d’Histoire : « Histoire de l’Ile Maurice comparée à l’histoire de tous les peuples » dans lesquels il veut « combiner naturellement le plaisant et le sérieux, l’histoire et la littérature, la géographie et la morale, le roman et la philosophie [...] » [7].

Il quitte finalement l’île pour Londres en 1846 afin de suivre des études de droit, mais décéderait dans la misère quelques années après [8]. Le biographe de Rémy Ollier, Vanmeerbeck écrit de Bruils qu’il « est un jeune homme intelligent. Réellement instruit mais présomptueux » [9].