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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

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Michel Onfray : « Charles Fourier et la féerie sociétaire » (2008)
in L’Eudémonisme social (Contre-histoire de la philosophie - V), Paris, Grasset, 2008
Article mis en ligne le 8 mars 2012

par Dubos, Jean-Claude

Il ne fait pas bon tomber entre les mains de Michel Onfray lorsque l’on porte en soi une Weltanschauung - une conception du monde. Freud vient d’en faire l’amère expérience, après Mahomet. Pour Freud, on renvoie à Le Crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne (2010). Pour Mahomet, on peut se demander si Onfray n’était pas atteint de la maladie de Froude [1] lorsqu’il le décrivit dans Le christianisme hédoniste (2006) comme un « guerrier sans pitié, pourfendeur de femmes, haineux du corps, dépréciateur de l’ici-bas au nom d’un au-delà de carton-pâte, inventeur de rituels dont l’observance pourrit la vie quotidienne ». Il est difficile de proclamer en trois lignes tant de contre-vérités. Et dans le chapitre de L’Eudémonisme social (2008) consacré à Bakounine, c’est envers Proudhon que Onfray est loin de se montrer amène : « On ne trouve pas chez lui plus féroce antisémite, plus ridicule misogyne, plus partisan de la guerre, plus moraliste étriqué, plus homophobe déclaré, plus panégyriste du travail, de la famille et des valeurs bourgeoises au point que le régime de Vichy en fera un précurseur. »

Rien de tel avec Fourier. Une biographie honnête et bienveillante laisse parfois la place à des moments de raillerie - mais Fourier a donné lui-même les verges pour le battre avec l’océan de limonade - et une conclusion qui est loin de manquer de perspicacité : Fourier est un gnostique perdu en plein siècle industriel. Un point que ses biographes passent sous silence, mais que note Onfray : ses rapports avec la dive bouteille : « Il a toujours aimé boire ; mais sur la fin il ingurgite plus que de raison. Henri Heine le voit au Palais-Royal, un litre de vin et une miche de pain dans les poches. » Le détail est corroboré par son inventaire après décès du 16 novembre 1837, publié dans le Cahier Charles Fourier n° 8 : ses papiers comportent notamment « une créance de cent cinquante bouteilles vides neuves contre le sieur Denole suivant sa déclaration du 25 mars 1834 » et une réclamation par le sieur Berranger tenant magasin de vins fins à Paris rue du Faubourg Saint-Honoré n° 7 - 20 francs pour fourniture de vin en septembre et octobre (1837). L’épisode des « nièces bordéliques » de Talissieu est traité par Onfray avec humour. Fourier y est bien le pantin d’Hortense. Notons qu’à la même époque - mars 1815 - le général commandant la Haute-Saône, le baron Antoine Gruyer épouse sa nièce de 18 ans, Elisabeth Chassignet, qui l’accompagne de 1816 à 1818 à la prison de Strasbourg où il a été condamné pour avoir rejoint trop tôt Napoléon. Michel Onfray considère Fourier comme l’inventeur de l’écologie. « Dans Le Nouveau Monde industriel, écrit-il, il disserte sur les mauvais aliments qui encombrent la table des pauvres et agissent comme des poisons lents. » Ce côté écologiste de Fourier est l’un de ceux qui devraient le rapprocher le plus de nous car nous souffrons bien des mêmes problèmes avec les mêmes causes : il en est ainsi « des viandes échauffées et infectées à cause des étapes de croissance que l’éleveur fait sauter pour les rentabiliser » et nous ne semblons pas être plus avancés dans la guérison de ces maux, en raison du libéralisme qui règle toujours la distribution.

Michel Onfray étudie ensuite la théorie des Passions de Fourier. Chose curieuse et qui ne semble pas avoir été relevée, le personnage littéraire qui illustre le mieux l’engorgement des passions est Claude Frollo de Notre-Dame de Paris, un contemporain de Fourier, donc, bourreau d’Esmeralda qu’il persécute comme la comtesse Bathory faute d’avoir pu assouvir ses passions avec elle. Si, depuis l’époque de Fourier, l’homosexualité par exemple a perdu sa réputation de passion mauvaise (diversement il est vrai selon les lieux et les époques), quelle différence y a-t-il entre être gay ou lesbienne et être gaucher ? Il n’en est pas de même pour toutes et il semble que l’on soit beaucoup plus sévère pour la sexualité enfantine qui autrefois attirait peu l’attention. Michel Onfray s’attarde à disséquer les deux grandes distractions des Harmoniens : la gastrosophie et l’opéra. Disons qu’il est vrai que la gastronomie fait de réels progrès, dans le sens de la découverte de cuisines régionales et exotiques, mais ce ne semble pas être le but qu’il cherchait, c’est toujours un passe-temps de happy few. Pour ce qui est de la musique, les techniques modernes ont multiplié les moyens d’exécution et de diffusion et il est probable que nous disposerions de la logistique qui permettrait de réaliser un opéra selon Fourier, ce qui devrait tenter un metteur en scène. Pourquoi pas un « anti-opéra » ? Et pourquoi à la place du prosaïque TGV n’aurions nous pas de poétiques anti-lions ? Il y a toujours à prendre chez Fourier. Michel Onfray termine son tour du fouriérisme par un chapitre intitulé « Du sexe en Harmonie ». Il y cite une vingtaine de « vices » en civilisation qui deviennent vertus en Harmonie, ce qui peut être un lexique utile si l’on veut être « chébran ». Fourier est le seul Français qui figure dans L’Eudémonisme social, aux côtés de Bakounine et de quatre Anglo-saxons : Godwin, Bentham, Stuart Mill et Robert Owen (et le bonheur progressiste). Owen a visiblement conquis Onfray parce que chez lui le penseur se doublait de l’homme d’action [2].