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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Gozlan, Léon
Article mis en ligne le 1er novembre 2023

par Desmars, Bernard

Né le 11 septembre 1803 à Marseille (Bouches-du-Rhône), mort le 14 septembre 1866 à Paris, 9e arrondissement (Seine). Journaliste, écrivain. Proche du groupe du Nouveau Monde en 1839-1840, auteur d’un roman-feuilleton publié dans La Démocratie pacifique en 1843.

Léon Gozlan est le fils d’un négociant et armateur marseillais ruiné en raison des pertes provoquées, selon les sources, par les Barbaresques [1] ou par les corsaires anglais [2]. Il doit abandonner ses études secondaires avant de les avoir terminées. Il est brièvement sous-maître dans un pensionnat. Puis, il s’embarque sur un navire de commerce qui fait du cabotage le long des côtes de l’Afrique ; mais il ne rencontre guère de succès dans ses entreprises où il est présenté, tantôt comme matelot, tantôt comme négociant, et au cours desquelles il lui serait arrivé de nombreuses aventures … dont la véracité n’est pas établie [3]. De retour en France, il occupe un emploi de maître d’études dans un établissement d’enseignement à Marseille [4] ; puis il s’installe en 1828 [5] à Paris où il est d’abord commis de librairie. C’est sans doute vers la même époque qu’il se marie avec Agathe Christine Rapharel, fille d’un peintre-vitrier et marchand papetier de Corbeil (alors en Seine-et-Oise, aujourd’hui en Essonne) ; le couple a une fille, née en février 1830 [6]. À la fin des années 1820, il commence à publier quelques œuvres en vers et en prose ; il cosigne un premier ouvrage, Mémoires d’un apothicaire, qui paraît en 1828 [7]. L’année suivante, il publie un ouvrage très critique envers Polignac et la monarchie de Charles X [8]. Il collabore à plusieurs journaux, dont Le Figaro et Le Corsaire avec des descriptions de la vie parisienne et des portraits des hommes politiques. « Son esprit naturellement satirique, sa verve incisive et mordante trouvèrent là un aliment quotidien [9] » ; il donne à ces journaux « les articles les plus mordants et les plus acérés. Chacun tremblait devant ses attaques, et lui ne redoutait personne », [10] écrivent ses contemporains. Dans les années 1830, il entre dans la rédaction de la Revue de Paris, à laquelle il fournit des nouvelles. Il commence une série intitulée Les Influences dans laquelle il prévoit de peindre la société et les mœurs de son temps en s’intéressant à ceux « qui exercent sur la société quelque action puissante, comme le notaire, le médecin, le juge, le député, le prêtre, etc. » [11] ; mais seuls deux ouvrages paraissent, Le Notaire de Chantilly (1836) et Le Médecin du Pecq (1839) [12].

Écrivain très prolifique, il publie dans les décennies suivantes de nombreux romans, pièces de théâtre (drames et vaudevilles) et poésies – dont certaines sont ultérieurement mises en musique, notamment par Charles Gounod, tout en continuant à collaborer à plusieurs périodiques, entre autres Le Musée des familles et L’Artiste. Il est apprécié de ses contemporains pour

son talent d’observation, la finesse et l’originalité de son style, et, plus encore, [pour] la tournure paradoxale de son esprit et de ses inventions [13]

.

Il est aussi très bien inséré dans les milieux littéraires ; il est notamment l’ami – le secrétaire écrivent certains [14], voire le « nègre » [15] – d’Honoré de Balzac sur lequel il laisse plusieurs témoignages [16].

Le « génie de Fourier »

Il est présenté vers 1839-1840 par Jean Czynski, le directeur du Nouveau Monde – l’organe des fouriéristes dissidents, comme l’un de ses « collaborateurs » [17]. Dans le numéro du 15 juin 1839, ce périodique annonce un article de Gozlan devant paraître dans le numéro suivant, où on ne le trouve cependant pas. Mais quelques semaines plus tard, Le Nouveau Monde signale que dans une nouvelle intitulée L’orage de Châtenay, publiée dans le feuilleton du Siècle [18], Léon Gozlan,

après avoir tracé le triste tableau de la crise météorologique qui a fauché le sommet d’une commune, indique comme il serait facile, dans un autre milieu social, de réparer les dégâts et faire passer le grand malheur comme le grand orage. Après avoir donné le poétique tableau des travaux divisés, associés, il ajoute : « Ici mes paroles sans valeur ne sont que l’écho de Charles Fourier, ce génie parmi les génies, et ma pensée n’est pas même l’ombre de la plus frêle de ses pensées sur l’association »

Non, dans M. Gozlan, la science sociale n’a pas gagné un littérateur, elle a gagné un apôtre [19].

Ce passage de L’orage de Châtenay est également relevé par La Phalange, l’organe de l’École sociétaire dirigée par Victor Considerant) :

L’adhésion d’un homme d’esprit en vaut cent, et souvent mille ; c’est pourquoi nous tenons à constater que, pendant que quelques farfadets littéraires parlent encore de Fourier avec un dédain comique, M. Léon Gozlan, leur maître à tous, appelle Fourier un génie parmi les génies. C’est bien effectivement le nom de Fourier, et nous remercions M. Gozlan de l’avoir trouvé [20].

En novembre 1839, Le Nouveau Monde présente la composition de son conseil de rédaction – dont il n’est pas sûr qu’il ait eu une réelle activité. Gozlan est l’un de ses membres [21]. Quelques semaines plus tard, son livre Les Tourelles, sur les châteaux, fait l’objet d’un compte rendu détaillé et élogieux par Louise Crombach dans Le Nouveau Monde [22]. Gozlan est alors considéré comme un familier du groupe animé par Jean Czynski. Son nom figure dans un poème de J. A. Alexandre mentionnant plusieurs disciples de Fourier.

Fourier n’a, dites-vous, laissé que de vains rêves ? Mais le vieillard renaît dans ses jeunes élèves. Regardez les Gamond, voyez les Bauchery, Les Gozlan, les Czynski, les Stourm, les Pompéry ; D’où la société sortira refleurie ! [23]

Cette fréquentation des dissidents fouriéristes ne semble pas avoir duré. Du reste, Gozlan apparaît à ses contemporains comme un homme versatile et un écrivain habile, mais sans véritable conviction.

[…] Dans toutes ses œuvres, Léon Gozlan a fait preuve des qualités les plus brillantes du conteur ; l’invention est généralement remarquable, de même que la nouveauté des aperçus dans des sujets usés et le relief qui naît de l’excentricité ou du contraste des caractères ; mais on y chercherait en vain une page émue ; la raillerie, la verbe ironique et gouailleuse étouffent le sentiment. À chaque instant on croit voir que l’auteur se moque de lui-même et des lecteurs assez bénévoles pour s’intéresser à ses conceptions [24].

Selon son biographe Philibert Audebrand, Léon Gozlan aurait cependant eu une véritable sensibilité à la misère d’où son intérêt pour le socialisme ; il aurait souligné l’intérêt du livre sur les réformateurs sociaux de Louis Reybaud – pourtant critique envers les socialistes, mais leur accordant au moins de l’attention – dont la première édition date de 1840 [25] ; « déjouant la conspiration du silence, [Gozlan] battait la caisse dans les journaux autour de cet ouvrage » [26].

Le premier roman-feuilleton de La Démocratie pacifique

En août 1843, commence la parution de La Démocratie pacifique. Les dirigeants de l’École sociétaire veulent élargir l’audience des idées fouriéristes et atteindre de nouveaux lecteurs. Le nouvel organe est donc un quotidien qui doit rivaliser avec les grands journaux parisiens, dont il reprend certains caractères et certaines rubriques. La rédaction indique dans son premier numéro ses intentions :

Nous publierons selon l’usage des Feuilletons romans. La première publication de ce genre, que nous commencerons après-demain, est un roman dû à la plume spirituelle de M. Léon Gozlan, intitulé : Aristide Froissart. Ce roman relate les aventures d’un jeune homme, issu d’un milieu aisé, auquel son père laisse un bel héritage, mais qui se montre débauché, paresseux et dépensier. Dans cet ouvrage, « la famille, la paternité, le mariage, l’amour, la bourgeoisie, la noblesse […] sont cinglés, fustigés d’une main d’athlète, et l’athlète rit de ses coups et ceux qui les reçoivent rient avec lui et plus fort que lui » [27].

Sans doute la lecture des premiers épisodes suscite-t-elle un peu de perplexité et même d’hostilité de la part de certains lecteurs, qui considèrent que le roman est très éloigné des thèmes et des principes phalanstériens. Selon le capitaine Adolphe Grimes, qui se fait l’écho d’abonnés de Besançon, « le feuilleton est trouvé généralement creux, aride et sans esprit malgré que l’auteur y vise et croit y atteindre » [28]. Aussi, la rédaction fait-elle précéder le quatrième épisode d’un « Avertissement » dans lequel elle justifie son choix :

La publication des romans-feuilletons est devenue, pour les principaux organes de la presse parisienne, une condition obligée de succès. Une feuille quotidienne qui refuserait de se conformer à ce goût du moment essaierait vainement de lutter avec les autres pour l’attrait de la rédaction.

En prenant la quotidienneté, nous avons dû naturellement accepter les exigences de notre position nouvelle, et nous avons été assez heureux pour pouvoir offrir, dès le début, à nos lecteurs, la publication de l’œuvre spirituelle de l’un des romanciers les plus distingués de l’époque.

Certes, ajoute la direction de La Démocratie pacifique, Gozlan n’est pas fouriériste : mais il n’existe pas encore d’écrivains suffisamment connus dans les rangs de l’École pour, sur leur nom ou la notoriété de leur œuvre, élargir le lectorat.

D’ici là, nous devons attendre, et nos lecteurs comprennent que nous ne pouvons imprimer nos idées au romancier en vogue dont nous empruntons l’esprit, et à qui dix journaux sont ouverts.

[…] Le roman que nous publions en ce moment, Aristide Froissart, écrit dans un style d’ironie fine et incisive met en relief cette donnée de haute critique, que l’organisation sociale actuelle a la triste puissance de faire tourner à mal les caractères doués par la nature des plus riches facultés de l’esprit. Les lecteurs n’auront pas manqué de saisir déjà, sous la caustique frivolité de la forme, tout ce qu’il y a de sérieux au fond d’une donnée semblable [29].

Pour la rédaction de La Démocratie pacifique,

ce qu’il y a de mieux à faire, en pareille occurrence, c’est de choisir, parmi les œuvres des écrivains aimés du public, celles qui se rapprochent le plus, par les tendances et la couleur, du but que nous poursuivons nous-mêmes ; telles sont certains romans de MM. Eugène Sue, de Balzac, Léon Gozlan, Alphonse Karr, etc., qui renferment, sous une forme spirituelle, dramatique ou saisissante, une critique des sottises ou des vices de notre état social, et disposent l’esprit à la recherche d’un état meilleur [30].

Léon Gozlan ne paraît plus avoir ensuite de relation avec l’École sociétaire. Il adopte des positions plus conservatrices : il est très réservé lors de l’avènement de la Deuxième République [31] ; surtout, quand le vote des femmes est discuté, au moment de l’élaboration de la Constitution de 1848, il est très hostile à l’engagement des femmes dans la vie politique et se félicite de l’interdiction qui leur est faite le 28 juillet de fréquenter les clubs [32]. Quand l’Empire est rétabli, il fait « partie du très petit groupe d’écrivains qui devait applaudir à César et à sa fortune » [33]. Chevalier de la Légion d’honneur depuis 1846, il est promu officier en 1859. Il est une personnalité du monde littéraire et théâtral. Il préside la Société des gens de lettres en 1856. Il est élu vice-président (1864-1865) puis président (1866) de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques [34].

Cependant, dans une conversation avec Philibert Audebrand, en septembre 1859, alors que commence la construction du canal de Suez, Léon Gozlan déclare :

Ce qui se passe en Égypte, grâce à Ferdinand de Lesseps, me donne à deviner que la science, la vapeur et l’argent vont transformer le globe. Je suis de ceux qui pensent que les rêves poétiques de Charles Fourier pourront bien se réaliser entre le XXe et le XXIe siècle. L’ingénieur n’en est qu’à des tâtonnements. Faites que le canon des guerres inutiles se taise, que l’outil de l’ouvrier remplace sur les trois grands continents organisés le fusil du soldat et vous verrez partout surgir des armées industrielles. Voyez-vous d’ici ce qui résulterait d’un tel mouvement ? Un million d’agriculteurs, un million d’arboriculteurs par là, un million de pêcheurs le long des mers ! Pour le coup, la terre serait reboisée […] Les déserts changés en forêts, le Sahara devenant une promenade pleine d’ombrages, avec un système d’irrigation qui répandrait des cataractes d’eaux jaillissantes […] On ferait fondre les glaces du pôle du Nord […]. Paris, devenu port de mer jouirait de toutes les découvertes. […]

[Le] citoyen de la République universelle […] se mettra en route, suivant sa fantaisie, soit au nord, soit au sud, pour faire le tour du monde, sûr qu’il sera d’être bien reçu partout, de familistère en familistère [35], de quatre lieues en quatre lieues. L’aspect de l’univers régénéré et enrichi fera une si prodigieuse série de merveilles, que la seule contemplation de ces beautés suffira pour occuper toutes nos puissances psychiques. […] il s’agira de réformer les races au point de faire que tout garçon qui naîtra soit aussi beau que l’Apollon du Belvédère, et que toute fille qui sortira du sein de sa mère soit aussi bien formée que la Vénus de Milo. Quel est le bélître qui oserait dire que cette réforme n’est pas possible ? Il est bien entendu que, du moment que la guerre aura disparu, on n’aura plus qu’à vaincre les épidémies, les pestes, les contagions, toutes les formes du mal en desséchant les marais, en purgeant l’air, en promulguant l’abondance, en faisant refondre les populations sales ou malsaines dans la chaudière du vieil Eson. Direz-vous […] que cela ne se peut pas ?

[…] Des arts que nous connaissons dans la prétendue civilisation actuelle, il ne restera que deux attributs : la musique et la cuisine, vu que tous deux touchent au bonheur qu’on cherche à rencontrer dans le paradis terrestre. Je ne vous ai pas encore parlé de l’amour […] Pensez-vous donc qu’il n’y ait pas une révolution radicale à opérer de ce côté-là ? Ce qui se passe aujourd’hui sous nos yeux dans tous les mondes, mais surtout dans le monde d’en haut, est à soulever le cœur de dégoût. En 2000 ou en 2200 au plus tard, ou ces mœurs horribles auront changé du tout au tout, ou l’Europe ne sera plus qu’un dépotoir de pourritures et d’ulcères [36].

Pendant sa vie, Gozlan semble indifférent aux questions religieuses ; cependant, ses obsèques provoquent quelques tensions : son père étant juif, ce sont des rabbins qui sont appelés pour s’occuper des funérailles. Toutefois, ayant fouillé dans les papiers de son beau-père, le gendre du défunt trouve un acte de baptême rédigé à Marseille alors que Gozlan n’avait que deux ans ; c’est la mère de l’enfant, de confession catholique qui aurait pris cette initiative. Des prêtres remplacent les rabbins auprès du lit mortuaire et l’inhumation se déroule selon le rite catholique au cimetière Montmartre. Cependant, des recherches faites dans les archives paroissiales de Marseille ne permettent pas de retrouver la trace de ce baptême, tandis que des personnes se souviennent avoir vu Gozlan fréquenter la synagogue de Marseille jusqu’à l’âge de douze ans. L’affaire suscite plusieurs articles et beaucoup d’ironie dans les milieux anticléricaux et libres-penseurs [37].

Aujourd’hui peu connu, Léon Gozlan est un écrivain très apprécié dans les milieux littéraires du XIXe siècle ; Théophile Gautier estime en 1845 qu’il « est un des esprits les plus vifs, les plus ingénieux et les plus variés de ce temps-ci. Ce qu’il a jeté de perles à pleines mains, en articles, en contes, en nouvelles dans les journaux grands et petits, dans les revues […] est inimaginable » [38] ; Jules Barbey d’Aurevilly, au lendemain de l’enterrement de Gozlan, déclare que le défunt est « un des trois plus forts romanciers de ce siècle, qui est le siècle du roman » [39], « le troisième de son époque, après Balzac et après Stendhal » [40], un « conteur raffiné » [41], un « causeur distingué » et « un des esprits les plus brillants du siècle » [42]. Il bénéficie également d’un grand succès auprès du public ; ses livres sont réédités à plusieurs reprises (Aristide Froissart – parfois orthographié Froissard – en est à sa troisième édition en 1860, avant d’être à nouveau réédité en 1873, 1880 et 1886 ; mais, d’après le catalogue de la Bibliothèque nationale de France, il ne connaît qu’une réédition au XXe siècle, en 1925). Ils sont très présents dans les catalogues des bibliothèques populaires qui se développent à partir des années 1860 jusqu’à la fin du XIXe siècle.

Index :
Lieu : Paris, Seine
Notion : Presse – Littérature – Journalisme
Personne : Gozlan, Léon