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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Paget, (Félix) Amédée
Article mis en ligne le 8 mai 2024
dernière modification le 9 mai 2024

par Desmars, Bernard

Né le 29 février 1804 à Pierre (Saône-et-Loire), décédé le 28 juillet 1841 au Pecq (alors en Seine-et-Oise, aujourd’hui dans les Yvelines). Docteur en médecine. Saint-simonien, puis fouriériste ; un des principaux responsables de l’École sociétaire entre 1836 et 1841, collaborateur de La Phalange, co-gérant de la société fouriériste fondée en 1840.

Amédée Paget est le fils d’un receveur de l’enregistrement exerçant à Pierre (Saône-et-Loire) devenu ensuite percepteur dans la même commune [1].

La Rénovation, n°100, 30 juin 1898

Il obtient son baccalauréat à Dijon en 1822 ; il fait ensuite des études de médecine, d’abord à Strasbourg (en 1822 et 1823), puis à Paris où il obtient son doctorat en 1827, avec une thèse intitulée Essai sur la paralysie [2].

Il exerce la médecine pendant quelque temps à Salins (Jura). Puis, selon Charles Pellarin,

sentant trop bien ce qu’il y a de faux dans les rapports actuels entre le médecin et les malades qu’il traite, et combien leur position respective met souvent en souffrance, ou la délicatesse, ou même la dignité du premier ; découragé d’ailleurs de voir l’impuissance presque absolue de la médecine à diminuer et à soulager les maux d’une grande partie de la population qui est trop misérable pour mettre à profit les indications de la science, Paget renonça aux avantages que lui offrait l’exercice de la profession médicale. Il revint au milieu de sa famille dont il était tendrement chéri et ne visita plus d’autres malades que ceux qui étaient hors d’état de le rétribuer de ses soins, et qui le trouvèrent toujours prêt à les leur prodiguer [3].

Il figure cependant encore sur la liste des médecins du département de Saône-et-Loire pour l’année 1836 [4].

Du saint-simonisme au fouriérisme

Il exprime sa foi saint-simonienne dans deux lettres parues dans Le Globe [5]. Puis, après le ralliement de Jules Lechevalier, d’Abel Transon et de quelques autres saint-simoniens à la théorie de Charles Fourier, il rejoint lui-même l’École sociétaire. Il écrit en juin 1832 une lettre à Jules Lechevalier qui est en partie publiée dans Le Phalanstère ; pour le saint-simonisme, déclare-t-il, la réforme sociale doit être précédée d’une « conversion morale des masses à quelque croyance nouvelle sur l’ordre des relations individuelles », ce qui peut demander beaucoup de temps ; Fourier propose « une autre route, moins longue et moins difficile » ;

grâce à lui, je comprends qu’avec quelques actionnaires et en prenant le peuple comme il est avec ses vices et ses mauvaises passions, on peut changer la face du monde, aussi bien sous le rapport moral que sous le rapport matériel, et cela sans secousse, sans bouleversement. Pour cela, que faut-il faire ? Tourner un moment le dos à la politique et à la religion pour aller à l’industrie. C’est de la réforme industrielle que dépend le sort futur de l’humanité [6].

Dans une partie non publiée de cette lettre de juin 1832, Paget ajoute :

Je n’ai lu que très rapidement Le Nouveau monde industriel. Bien des choses m’ont échappé, mais décidément la doctrine de Fourier m’attire. Je vais recommencer la lecture de vos leçons et du volume que vous m’avez fait acheter, en attendant que je me sois procuré les autres ouvrages de M. Fourier, ce que je ferai plus tard [7].

En décembre 1832, il se félicite du projet de phalanstère à Condé-sur-Vesgre, « moment de la grande preuve » [8]. En 1833, il est abonné au périodique fouriériste Le Phalanstère [9], dont il devient la même année un collaborateur régulier : alors que le périodique fouriériste n’a inséré que deux textes de lui, présentés comme des lettres d’un lecteur dans le premier tome (juin à décembre 1832), le second tome (janvier 1833 à janvier 1834) comprend onze textes de sa part, des articles et non plus des lettres. Il y aborde des sujets variés : la famille, les partis politiques et les révolutions qui suscitent beaucoup d’espérances, mais surtout des déceptions et ne peuvent résoudre les problèmes sociaux [10] ; mais aussi la médecine, à laquelle il reproche de se limiter à « la recherche des moyens propres à combattre des effets », tandis qu’elle « laisse les causes […] se développer et agir en toute liberté » [11]. Il s’appuie, pour la rédaction de cet article, sur ses propres observations : ayant repris momentanément son activité médicale à l’occasion d’une épidémie d’angine, il écrit à la direction du Phalanstère  :

quoiqu’habituellement je ne fasse presque pas de médecine, j’ai dû voir un certain nombre de malades, et particulièrement de la classe pauvre, de cette classe où presque tous les soirs des médecins sont rendus inefficaces, par un concours de circonstances toutes plus ou moins nuisibles et auxquelles il est impossible à ces derniers de soustraire les malades. Je dois à ces visites l’article que je vous envoie. Voyez s’il peut être bon à quelque chose [12].

Un lecteur anonyme du Phalanstère qui déclare « [s’]occupe[r] avec assez d’ardeur de l’étude et de [la] théorie sociétaire », et qui reproche à Charles Fourier de n’écrire que pour « des hommes déjà initiés à la théorie nouvelle », cite en exemple Amédée Paget, « un des écrivains qui se font le mieux comprendre du public (je parle ici des lecteurs non-initiés ou peu initiés) » [13].

Après la disparition du Phalanstère, Amédée Paget publie un article dans la Revue du progrès social, dirigée par Jules Lechevalier [14]. Alphonse Toussenel, directeur du Journal de Saône-et-Loire, lui ouvre les colonnes de son périodique pour des articles sur la science sociale [15].

Un des principaux dirigeants de l’École sociétaire autour de 1840

Dès le milieu des années 1830, il est en relation avec Victor Considerant, qui souhaite le faire venir à Paris, et Just Muiron, le « doyen des disciples » de Fourier ; peut-être séjourne-t-il à Besançon [16] ; en tout cas, il effectue avec le second un voyage de Chalon-sur-Saône à Genève et les deux hommes semblent bien se connaître [17]. Muiron fait part dans sa correspondance avec Clarisse Vigoureux des problèmes de santé dont souffre Paget et qui pourraient empêcher son installation au sein de la direction parisienne du mouvement fouriériste au cours de l’année 1836 [18]. Finalement, dans l’été 1836, à l’appel de Considerant [19], Amédée Paget s’établit à Paris et joue un rôle très important dans le fonctionnement du mouvement fouriériste et dans la publication de La Phalange pour laquelle il rédige un très grand nombre d’articles sur des thèmes très divers, le premier de ses textes paraissant dès le troisième numéro de l’organe fouriériste, daté du 1er août 1836 ; il fait partie du conseil de rédaction de La Phalange [20]. Il s’occupe également de l’envoi de livres publiés par la Librairie phalanstérienne [21] et adresse à Just Muiron la liste des abonnements à recouvrer à Besançon et dans les environs [22]. Il correspond avec Arthur Young à propos du financement de l’École sociétaire [23]. Il souscrit avec ses frères Victor et Pierre-Marie pour 60 francs en 1837-1838 au « Crédit de 10 000 francs » destiné à financer les études préparatoires d’un phalanstère d’enfants [24].

En 1838, sort son Introduction à l’étude de la science sociale [25] ; ce livre, présenté par son auteur « comme une exposition sommaire de la théorie sociétaire de Fourier » [26], commence par un « Coup d’œil général sur l’état de la science sociale et sur les systèmes de Fourier, d’Owen et de Saint-Simon » [27] : Amédée Paget conclut à « l’évidente supériorité » de celui de Fourier [28], sur ceux d’Owen (« ce n’est véritablement là qu’un système arbitraire, et non une conception scientifique s’approchant de la solution du problème » [29]) et de Saint-Simon (ce système mène « tout droit à l’organisation de la féodalité industrielle » qui constituerait « un véritable état asservissement et d’exploitation des masses par les classes aux mains desquelles se concentreraient de plus en plus la richesse et la puissance sociale » [30]), ainsi qu’à l’insuffisance de la philanthropie qui ne s’intéresse qu’à des domaines spécifiques (réforme de la prison, développement de l’éducation, lutte contre la mendicité, abolition de l’esclavage, etc.), là où il faut une réforme sociale globale [31] ; cette première partie se termine par une présentation des « Publications de l’École sociétaire » et par une table des articles de La Phalange. La seconde partie du livre est constituée d’une « analyse méthodique et raisonnée des ouvrages de l’École sociétaire » : Débâcle de la politique en France, de Victor Considerant  ; Mémoire adressé à la Chambre des Pairs, par Rivière cadet ; Dangers de la situation actuelle de la France, par A. Maurize ; Procédés industriels, par Just Muiron ; Le Nouveau monde industriel et sociétaire de Charles Fourier [32]. Cette Introduction à l’étude de la science sociale est rééditée en 1841 [33].

Amédée Paget est l’un des deux gérants – l’autre est Considerant – de la société en commandite fondée en 1840 afin de « propager la connaissance de l’organisation industrielle, sociétaire, découverte par Charles Fourier » et d’« en expérimenter le procédé principal, dit procédé sériaire » [34]. Il prend lui-même quatre actions – pour la valeur de 2 000 francs [35].

Une mort précoce

Il publie son dernier article dans La Phalange du 7 mars 1841. Il est ensuite alité pendant près de cinq mois ; il est transporté dans l’appartement de Clarisse Vigoureux, Julie et Victor Considerant qui lui prodiguent leurs soins, avec l’aide de Rostan, l’un de ses anciens professeurs à la faculté de médecine de Paris, du docteur Charles Pellarin et de l’étudiant en médecine Charles Boiteux [36]. Un médecin l’envoie à Saint-Germain-en-Laye pour reprendre des forces ; il fait le trajet en bateau en compagnie de Pellarin, mais il décède au cours du voyage, au Pecq [37]. Son corps est aussitôt ramené à Paris. Son décès suscite une grande émotion au sein du mouvement fouriériste et est largement signalé dans la presse nationale et régionale qui souligne la perte que cette mort constitue pour l’École sociétaire [38] ; ainsi, selon Le Courrier français, M. Amédée Paget était au nombre des écrivains qui font honneur à la presse périodique par leur caractère et par leur talent » [39] ; et pour le Courrier de Saône-et-Loire, « l’École phalanstérienne vient de faire une perte bien douloureuse pour ses membres et bien regrettable pour les progrès de la Science sociale » [40].

Lors des obsèques, les cordons du poêle funéraire sont tenus par Alexandre Baudet-Dulary, [Victor Considerant, François Devay, Olivier Barbier, César Daly, Julien Blanc et François Cantagrel. Le service religieux se déroule à Saint-Germain-des-Prés ; puis le convoi mortuaire se rend au cimetière Montmartre où, explique La Phalange, « nous avons voulu inhumer le Disciple auprès du Maître » [41]. Des discours sont prononcés sur la tombe du défunt, d’abord par Alexandre Baudet-Dulary, selon qui « Paget s’épuisait en travaux redoublés :

jamais perte, après celle de notre Maître, ne fut plus funeste que celle de Paget : combien de choses il devait faire encore ! combien d’idées, combien de projets se pressaient dans sa tête !

Puis, c’est Charles Pellarin qui prend longuement la parole :

La mort nous enlève dans notre ami, le docteur Paget, l’un des hommes sur qui l’École sociétaire fondait le plus d’espérances. Aucune perte aussi grande (celle-là seule exceptée qui exclut toute comparaison, je veux dire la perte de Fourier lui-même), aucun sujet de deuil aussi profond n’était encore venu affliger les Partisans de notre cause. [Paget] était arrivé par le seul ascendant de son mérite […] à être l’un des chefs du mouvement de propagation auquel nous consacrons nos efforts.

Après avoir rappelé la relation d’amitié qui le liait à Paget depuis plusieurs années et souligné ses qualités et son dévouement à la cause sociétaire, Pellarin récapitule les différentes étapes de sa vie : sa formation, son exercice de la médecine, sa fréquentation du saint-simonisme, puis son engagement fouriériste et l’importance de son activité au service de l’École sociétaire.

Ensuite intervient César Daly, qui souligne « le dévouement si profond, si calme, si persévérant de notre ami, pour la sainte cause de la Vérité ». Puis, indique La Phalange,

chacun s’attendait à voir clore cette pieuse cérémonie par celui dont Paget et si longtemps secondé les efforts ; mais M. Considerant, qui voulait aussi adresser à son ami quelques paroles d’adieu, ne s’est pas senti la force de les prononcer.

C’est l’École sociétaire qui prend en charge les frais de sépulture [42]. Victor Considerant s’occupe de régler la succession [43]. Dans les années suivantes, quand les membres de l’École sociétaire se rendent sur la tombe de Fourier, ils vont aussi se recueillir sur celle d’Amédée Paget [44].

La Phalange publie une liste de ses articles en août 1842 [45]. En 1844, paraît Examen du système de Fourier, dont il a écrit les premiers chapitres et qui est complété par Eugène Cartier ; l’ouvrage a pour but de réfuter un article d’Antoine-Élisée Cherbuliez paru dans la Bibliothèque universelle de Genève, critique envers la théorie sociétaire. Charles Pellarin, qui rend compte de cet ouvrage dans les colonnes de La Démocratie pacifique, consacre une grande partie de l’article à Amédée Paget, à son rôle dans l’École sociétaire et à ses qualités personnelles [46].

Le souvenir du défunt persiste aussi à travers les relations que sa famille entretient avec la direction de l’École sociétaire. Victor Paget, peintre et également fouriériste, correspond avec Victor Considerant, à qui il envoie des portraits de son frère cadet Amédée [47]. Un autre frère, Pierre-Marie Paget, est abonné à La Phalange [48]. Charles Pellarin reste en relation avec la mère d’Amédée qui souhaite « parler de son pauvre fils à celui qui l’a vu mourir, qui a recueilli ses dernières volontés » [49]. ; il lui rend visite en 1843 à Pierre où il entend « citer plus d’une fois les trois frères Paget comme les types de la concorde et de l’affection fraternelles » [50]. Mme Paget meurt en 1847 ; La Démocratie pacifique signale ce décès et décrit les obsèques [51], et l’Almanach phalanstérien pour 1848 publie une nécrologie de la défunte, qui « donna le jour à l’un des plus vaillants soldats de la Cause phalanstérienne, à l’auteur de l’Introduction à l’étude de la science sociale, à notre tant regrettable ami Amédée Paget » [52] ; la publication de ce type d’article est habituellement réservée aux disciples de Fourier et ne concerne pas les membres de leur famille.