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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Biottot, (Nicolas) Émile
Article mis en ligne le 7 mars 2024

par Desmars, Bernard

Né le 5 mars 1812 à Auxerre (Yonne), décédé le 27 février 1853 à Marseille (Bouches-du-Rhône). Armurier. Abonné à La Phalange, actionnaire de la Société du 10 juin 1840 pour la propagation et la réalisation de la théorie de Fourier ; participant à un projet de colonie agricole à Bône, puis actionnaire de l’Union agricole d’Afrique ; présent lors du banquet phalanstérien du 7 avril 1848 à Alger et candidat fouriériste à l’Assemblée constituante en avril 1848.

Émile Biottot est le fils d’un taillandier, c’est-à-dire d’un forgeron, exerçant son activité à Auxerre. À une date inconnue – au plus tard en 1840 – il s’installe en Algérie où vit également son frère Edme-Victor, sous-officier puis officier dans l’administration militaire à Oran ; lui-même s’établit à Bône, dans le département de Constantine ; dans les actes de l’état-civil, il est qualifié tantôt d’armurier, tantôt d’arquebusier.

En 1840, il est abonné à La Phalange [1] ; il figure en 1843 sur une liste des actionnaires de la Société fondée en 1840 pour la propagation et la réalisation de la théorie de Fourier [2].

Il épouse en 1843 Catherine Palat, fille d’un propriétaire et originaire de l’Hérault, mais demeurant aussi à Bône ; l’un des témoins du mariage est le fouriériste Eusèbe Droguet. Le couple a trois enfants, trois garçons nés en 1845, 1846 et 1850, le second décédant à l’âge de quinze mois.

Il participe avec huit autres habitants de Bône à la souscription servant à financer une « médaille à offrir à Eugène Sue, défenseur des classes sacrifiées et promoteur de l’organisation du travail » ; il verse 50 centimes [3].

Au milieu des années 1840, il fait partie de la Société agricole de la province de Bône – il est même son secrétaire pendant quelques années – au sein de laquelle un comité élabore un projet de « Compagnie agricole de Bône » : il s’agit de créer une exploitation fondée sur l’association, pratiquant la participation des travailleurs aux bénéfices et, dans un premier temps, leur assurant un minimum suffisant à leurs besoins [4], ou encore, « unissant le capital, le travail et le talent » [5]. Ce comité, dont font partie Émile Biottot et Eusèbe Droguet, demande au ministre de la Guerre une concession de 1682 hectares. Émile Biottot écrit à Victor Considerant pour lui demander de soutenir ce dossier auprès de la Société royale et centrale d’agriculture ; il compte aussi sur le chef de l’École sociétaire pour aider le comité de Bône à trouver le directeur de la future exploitation [6]. Ce projet ne semble pas avoir eu de suite.

Dès 1847, Émile Biottot est actionnaire, tout comme son frère Edme-Victor, de l’Union agricole d’Afrique, une société fondée vers 1845-1845 par des fouriéristes lyonnais, qui exploite une concession à Saint-Denis-du-Sig près d’Oran ; il figure sur la première liste d’actionnaires datée d’août 1847 [7] ; il s’engage pour 500 francs au capital de l’entreprise, mais n’a toujours versé que 300 francs en 1852 [8]. Il est l’un « des correspondants et des délégués auxquels on peut s’adresser pour les souscriptions d’actions, versements de fonds, demandes de renseignements » [9].

Pendant la République

Dès que l’on apprend à Bône la chute de la monarchie de Juillet et l’instauration d’une République, il organise dans la ville une association, « les Amis du peuple », dont il est le président [10] et qui poursuit des objectifs économiques et sociaux ; elle se « préoccup[e] uniquement de soulager les ouvriers et d’améliorer leur position par une étude prudente de l’organisation du travail » [11].

Il participe au banquet phalanstérien organisé le 7 avril 1848 à Alger. Deux jours plus tard, les fouriéristes désignent leurs quatre candidats à l’Assemblée constituante ; Émile Biottot est l’un d’eux [12] ; il est présenté ainsi par Jules Duval :

fils d’ouvrier, ouvrier lui-même, il a conquis, comme habile dans son art, comme actif et intelligent propagateur des idées sociales, une assez haute place dans l’estime publique pour devenir le candidat de toutes les classes de citoyens [13].

Sa candidature lui attire les critiques des radicaux et il tente de faire saisir un numéro de La Seybouse, publié à Bône, en raison d’un article injurieux [14] ; mais comme les autres membres de la liste fouriériste, « les seuls qui eussent un programme » [15], il n’obtient qu’un petit nombre de voix et n’est pas élu [16].

Il est probablement associé à la fondation à Bône d’un Cercle sociétaire qui projette en mai 1848 la création d’« une caisse de prévoyance destinée à créer des ressources pour venir en aide aux propriétaires, industriels, agriculteurs et travailleurs manquant de capitaux », c’est-à-dire un établissement de crédit [17].

Mais pendant ce même mois de mai 1848, Émile Biottot est arrêté avec cinq autres habitants de Bône ; selon le Moniteur algérien,

Depuis les premiers jours de la révolution de Février, une agitation tantôt sourde, tantôt violente avait régné à Bône. […] Le calme un moment rétabli, ne tarda pas à faire place à de nouvelles émotions ; des excitations incendiaires imprudemment adressées à des ouvriers, jetèrent l’alarme parmi les propriétaires de Bône.

Plus précisément, les six personnes sont poursuivies pour avoir fomenté « un complot contre la propriété » en favorisant un soulèvement des indigènes afin de semer le trouble dans la localité [18]. Les poursuites sont menées non par les autorités judiciaires, mais par le gouverneur général de l’Algérie qui, sans avoir entendu les six accusés et sans leur avoir donné la possibilité de se défendre, les condamne à quitter le territoire algérien pendant quinze ans. Un membre de la famille d’Émile Biottot – peut-être son frère Edme Victor – regrette cette expulsion d’une terre « où il a cependant établi sa famille et son modeste avoir acquis par le travail, accru par l’économie », une mesure, écrit-il, purement politique [19].

Selon La Démocratie pacifique, qui dit bien connaître plusieurs des six condamnés et en particulier Émile Biottot, ces hommes « ont été victimes de lâches vengeances réactionnaires et de l’inqualifiable faiblesse d’un fonctionnaire de la République » [20]. La Presse qualifie la décision d’« acte arbitraire » [21]  ; la décision du gouverneur général fait l’objet d’une discussion à l’Assemblée nationale [22].

Il n’est pas sûr que la peine ait été exécutée : quand son troisième enfant naît à Bône, en mai 1850, Émile Biottot fait lui-même la déclaration de naissance et il est toujours arquebusier dans la même localité. Quand il décède à Marseille, l’acte d’état civil précise qu’il est domicilié à Bône et « de passage à Marseille ».

Peut-être sa veuve est-elle également intéressé par le fouriérisme ? Son nom figure dans le répertoire d’adresses élaboré sous le Second Empire [23] ; mais rien n’atteste une participation aux activités de l’École sociétaire ; elle demeure à Auxerre, où elle meurt en 1866.