si distante qu’elle soit, Olenka est aimée
les propositions de rendez-vous pleuvent comme étoiles filantes
son agenda en maroquin est plein de chiffres et d’initiales
marchant d’un pas vif dans une allée de palmiers
des prétendants l’attendent dans l’ombre des arbres avec des bouquets de fleurs d’été
depuis un tram qui passe en serpentant lentement
des grappes d’admirateurs lui lancent des fleurs d’hibiscus
avec un coquet sourire Olenka en ramasse une qu’elle se met dans les cheveux
des hommes qui n’ont jamais offert de fleurs aux femmes ou à des maîtresses
affluent chez les fleuristes entrent en cachette dans les jardins fleuris
font des bouquets de fleurs dédiés à Olenka
pourquoi Olenka est-elle si populaire ?
serait-ce grâce à la belle forme de ses seins qui pointent
(elle porte toujours un très fin caraco moulant)
serait-ce grâce à sa taille à la courbe de poire
(elle sort parfois sans slip)
serait-ce grâce à ses lèvres au provocant retroussis
(ce sont lèvres plus que d’autres avides de repas fins de bavardages et baisers)
serait-ce grâce à sa peau souple qui retient la paume
(c’est une peau souple couleur d’ambre dont le contact rajeunit quiconque de dix ans)
serait-ce grâce à ses éclats de rire
(combien désireux de les entendre dit-on des messieurs lui chatouillent les côtes)
serait-ce grâce à ses activités nocturnes où elle révèle sa virtuosité
(la structure souple du bas de son corps lui permet dit-on de faire sans mal le grand écart)
sourcils arqués bras comme marshmallows mignonnes jambes arquées
au reste Olenka a un mari qui est un homme compréhensif épris d’Olenka
c’est le type d’homme qui déclare « tout ce que fait ma femme est irréprochable » tout prêt à comprendre qu’Olenka soit très occupée
c’est un mari qui s’occupe des plantes en pot pour sa femme qui rentre parfois à la maison et qui l’accueille en jouant du luth
d’un autre côté ses amants de plus en plus nombreux
patientent tranquillement même s’ils ne reçoivent pas leur part de butin espérant un rendez-vous avec Olenka comme des chiens fidèles courent de tous côtés à la recherche de restaurants et de locations
voilà des années que son mari et ses amants partagent poliment plaisir et tristesse la frontière qui n’a jamais eu de sens pour Olenka entre mariage et aventures s’est faite de plus en plus floue et faible
maintenant pour son mari et ses amants cette frontière est une ligne ténue aussi difficile à reconnaître qu’une cicatrice s’effaçant même pour qui la scrute mais ici voyons les choses du côté des femmes
de quel cœur ont-elles supporté 1’insupportable et soutenu l’insoutenable les femmes qui partagent avec Olenka leurs maris et leurs amants au début elles furent bouleversées déprimées tourmentées
hélas ! après qu’elles aient maigri de trois cents grammes en moyenne leur féminité y a gagné et se rétablissant héroïquement elles retournent à la vie de tous les jours
c’est que « l’adversaire était trop forte ce n’est pas moi qui ai perdu »
en outre si intimes que soient devenues les relations entre Olenka et ces hommes elles n’en restent pas moins femmes et fiancées
car les hommes qui sortent avec Olenka dans sa décapotable ne rompent pas leurs relations avec elles
alors où est le problème
c’est le plaisir de l’attente des nuits où on ne sait si les maris ou les amants seront là ou non de toute façon si on s’habitue à la situation le réveil du lendemain matin est si agréable qu’elles ont envie de danser de tout leur corps allégé du poids de leur cœur
c’est pourquoi personne n’a de rancune contre Olenka et d’ailleurs sans Olenka
comme la vie serait monotone et insipide
ni l’homme ni la femme ne disent rien
mais dès lors que c’est en insérant entre eux la silhouette d’Olenka qu’ils s’immergent dans l’acte d’amour ils dévorent comme jamais la saveur de la vie
donc Olenka qui omniprésente répond à toutes les demandes c’est Olenka qui supporte l’usure sans se plaindre
c’est Olenka qu’exploitent hommes et femmes comme maîtres et maîtresses mais c’est Olenka qui ne s’use jamais même si elle est exploitée et dévorée
d’un éclat de rire se débarrassant de l’exploitation par maîtres et maîtresses c’est Olenka dans l’explosion de sa bonne santé
et alors où est le problème ?
la mode « toutes les filles s’appellent Olenka »
cette mode plaisante qui se développe en secret depuis plusieurs années croît tout d’un coup cet été et dans le monde fleurissent des Olenka une grande Olenka au volant d’une Citroën vers une station estivale une moyenne Olenka qui va en ville à pas vifs
une petite Olenka habile à faire du monocycle dans la cour d’une petite école de montagne toutes les filles s’appellent Olenka
même sous une intense lumière solaire elles n’ont pas d’ombre ces Olenka qui d’un jour à l’autre ne cessent de se multiplier comment sont-elles devenues des Olenka ?
jusqu’à quand veulent-elles être des Olenka ?
même après que leurs charmes et leur santé se soient graduellement dégradés ces Olenka peuvent-elles continuer à être des Olenka ?
même si on leur pose ces questions
ces femmes sans nombre ne peuvent s’empêcher d’éclater de rire sans aucun souci de contradictions entre les mots
jetant les dés cent fois mille fois elles s’en vont au loin
(voilà ce que nous qui nous payons de mots n’avons jamais pu faire ne serait-ce qu’une fois)
Olenka qui aime deux ou trois fois plus si elle est aimée Olenka qui tombe instantanément amoureuse Olenka qui piétine la queue du tigre joyeusement l’avenir est à Olenka !

Note de l’auteur : Olenka est un personnage d’une nouvelle de Tchekhov.