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Tallon (ou Talon), (Louis) Eugène
Article mis en ligne le 22 avril 2024

par Desmars, Bernard

Né le 28 décembre 1808 à Pont-Audemer (Eure), décédé le 17 mai 1883 à Paris, 14e arrondissement (Seine). Avoué à Angers, agriculteur dans le Morbihan, conseiller de préfecture sous la Deuxième République. Adjoint au maire du 14e arrondissement au début des années 1880. Actionnaire et gérant de la Librairie des sciences sociales de la fin des années 1860 jusqu’à son décès ; actionnaire de la Société de colonisation européo-américaine au Texas ; secrétaire de l’Union agricole d’Afrique.

Après des études de droit, Eugène Tallon s’établit comme avoué à Angers ; il épouse en 1837 Madeleine Marthe Grille, la fille d’un négociant, avec laquelle il a deux enfants. D’après un rapport datant de 1850 et rédigé par le préfet du Morbihan, qui lui est très hostile, il aurait été « lié avec les chefs de l’opposition violente que le gouvernement rencontrait alors » dans le chef-lieu du Maine-et-Loire [1]. Puis, Eugène Tallon s’installe avec sa famille en 1843 dans la commune du Roc-Saint-André, près de Ploërmel (Morbihan) ; il est alors propriétaire agriculteur.

Républicain dans le Morbihan

Toujours d’après le rapport préfectoral de 1850, Tallon aurait évolué vers des opinions plus modérées : les résultats des élections législatives de 1846, d’où sort une majorité favorable au gouvernement, l’auraient convaincu de la solidité du régime monarchique ; il aurait alors sollicité un poste de sous-préfet et aurait reçu des « promesses », quand survient la révolution de Février.

M. Tallon retourna alors près de ses anciens amis de l’opposition devenus maîtres du pouvoir ; il redevint violent, il parla droit au travail, impôt progressif et il fut nommé conseiller de préfecture à Vannes.

Mais avec l’orientation conservatrice de la République, Tallon reprend « des allures paisibles, il ne s’occupe pas de politique » ; il continue toutefois à participer aux travaux du conseil de préfecture ; il est sans influence, écrit le préfet qui « ne voi[t] pas d’inconvénients » à ce qu’il « conserve les fonctions peu importantes de conseiller de préfecture » [2].

Mais en 1850, il envoie sa démission du conseil de préfecture au président de la République pour protester contre la loi Thiers qui ôte le droit de vote à un tiers des électeurs :

La loi électorale que vient de voter l’assemblée législative porte selon moi une atteinte profonde à la souveraineté du peuple et à la Constitution.

Dans ces conditions déplorables, je ne puis, sans renier mes principes, conserver plus longtemps les fonctions que j’ai acceptées des mains du peuple dont une partie vient être mise hors la loi [3].

Il fait insérer sa lettre dans L’Indépendant, un « journal socialiste », dénonce le préfet [4]. Cependant, affirme l’un de ses condisciples en 1883, on lui aurait proposé une préfecture au lendemain du 2 décembre 1851 ; « mais ferme républicain, il refusa de capituler avec le président parjure » [5]. Il s’éloigne alors de la vie politique.

En 1855, il obtient un brevet d’invention pour un « clavier mnémonique applicable aux pianos », ou un « nouveau système de clavier et de notes de musique coloriées, applicable soit au piano, soit à l’orgue », qui « a pour but de simplifier et de faciliter l’étude et l’exécution de la musique sur le piano et sur l’orgue ». Il « consiste dans l’application aux touches d’un clavier quelconque des sept couleurs du spectre solaire correspondant aux sept notes musicales toutes des mêmes couleurs ». Tallon observe que « l’harmonie des couleurs » est « analogique à l’harmonie des sons » ; ainsi, « le do correspond au rouge ; le ré à l’orange, le mi au jaune, le fa au vert, le sol au bleu, le la à l’indigo et le si au violet » [6].

À une époque indéterminée, il s’installe avec sa famille à Paris ; il demeure rue de l’École-de-Médecine quand sa fille se marie, en 1863, avec un nommé Aguettant, distillateur. La même année, il crée avec ce gendre une société en nom collectif pour « la distillation et la fabrication de vinaigre d’alcool » [7]. La société est dissoute en 1867, Tallon demeurant alors rue d’Orléans, dans le 14e arrondissement [8].

Gérant de la Librairie des sciences sociales

Au milieu des années 1860, François Barrier constitue une société en commandite pour réorganiser l’École sociétaire autour de la Librairie des sciences sociales et, à partir de 1867, de La Science sociale. Jean-Baptiste Noirot est le premier gérant de la société ; mais son action est vivement contestée par plusieurs de ses condisciples qui lui reprochent d’une part de privilégier la solution coopérative et de négliger la réalisation d’un phalanstère, et d’autre part la mauvaise tenue de la librairie dont les comptes sont déficitaires. Noirot doit quitter ses fonctions dans l’été 1868, même si, officiellement, il reste en poste jusqu’en juin 1869. Tallon, qui n’était pas apparu jusqu’alors dans la documentation fouriériste, est chargé par Barrier d’administrer la société, transformée pendant l’hiver 1869-1870 en société anonyme dans laquelle il prend cinq actions, pour une valeur totale de 250 francs [9].

L’entrée en guerre en 1870 interrompt les activités sociétaires. Tallon fait partie, avec Valérie de Boureulle, Faustin Moigneu et Émile Bourdon du « comité d’initiative » qui appelle les disciples de Fourier à se retrouver en avril 1872 pour fêter l’anniversaire de la naissance du Maître et pour envisager l’avenir du mouvement phalanstérien [10]. Tallon est également, vers 1872-1873, un des responsables du Cercle parisien des familles, créé en 1870 par Valère Faneau et Césarine Mignerot, afin d’offrir à leurs condisciples, mais aussi à des personnes extérieures au mouvement fouriériste, un lieu de rencontres, de conversations et de loisirs ; cependant, les ressources procurées par ceux qui fréquentent le lieu sont trop faibles pour faire face aux dépenses ; aussi, des pièces sont sous-louées à un groupe politique radical, la Ligue d’union républicaine, dont les réunions se tiennent en dehors de toute autorisation légale. En mars 1873, la police intervient et arrête les responsables radicaux pour avoir constitué une association non autorisée, tandis qu’Eugène Tallon et Césarine Mignerot sont poursuivis pour complicité. Ils sont tous les deux condamnés à 200 francs d’amende et le Cercle est fermé [11].

Dans les années suivantes, Tallon continue, avec Charles Pellarin, à administrer la société anonyme, dont les activités se réduisent désormais à la librairie, le nouvel organe fouriériste, le Bulletin du mouvement social, étant géré de façon autonome par Eugène Nus, puis Émile Bourdon et Charles Limousin [12]. Il répond aux commandes de livres, prépare les assemblées générales des actionnaires et les banquets du 7 avril célébrant l’anniversaire de la naissance de Fourier, adresse des relances à ses condisciples qui se sont engagés à envoyer de l’argent pour subvenir aux besoins de la librairie et empêcher sa liquidation. Il est ainsi en contact avec de nombreux fouriéristes de province qui lui adressent leur procuration pour les assemblées d’actionnaires. Ces tâches administratives, d’abord rémunérées, deviennent bénévoles dès 1872 en raison de la modestie des ressources financières de l’École [13]. Selon son condisciple Limousin,

dans cette situation de conducteur d’un navire désemparé, Tallon montra le dévouement d’un adepte et l’habileté d’un homme d’affaires. Si la Librairie des sciences sociales, ce dernier débris des splendeurs phalanstériennes, n’a pas sombré, c’est à lui qu’on le doit [14].

Tallon doit même à plusieurs reprises avancer de l’argent sur ses fonds personnels afin de régler des dépenses de la Librairie. En 1877, la société lui doit 5776 francs [15] ; en 1883, il est créancier pour plus de 6 000 francs [16].

Militant de la lecture populaire et de la libre pensée

En 1878, Étienne Barat projette la formation d’une « association agricole » et réunit un comité d’études afin de préparer sa réalisation. Eugène Tallon en est nommé le secrétaire [17] ; mais après quelques réunions, ce comité d’études disparaît.

On retrouve aussi Tallon à partir de 1870 lors des assemblées générales de la Société de colonisation européo-américaine au Texas [18] ; il est élu en juillet 1873 au conseil de surveillance de la société, qu’il préside en 1875, année de sa dissolution.

Il assure encore, contre rétribution, le secrétariat administratif de l’Union agricole d’Afrique, qui a d’ailleurs son siège dans les locaux de la Librairie [19]. Au début des années 1880, Henri Couturier fonde la Société des Orphelinats agricoles qui prévoit l’installation sur le domaine de l’Union, à Saint-Denis-du-Sig, d’un établissement accueillant des orphelins, afin de les préparer au travail agricole en Algérie. Eugène Tallon et sa femme figurent parmi les actionnaires de cette association [20].

À la différence de la plupart des dirigeants de l’École sociétaire, il écrit peu : on ne connaît de lui aucun livre et seulement trois articles dans la presse liée au mouvement fouriériste [21] : un bref texte, au nom du comité de rédaction de La Science sociale en 1869, dans lequel il réfute une analyse parue dans un autre périodique, associant le mot « phalanstère » à un système contraignant [22] ; un autre dans le Bulletin du mouvement social concernant le projet d’association agricole d’Étienne Barrat déjà mentionné [23] ; et un troisième sur « la propriété du sol », publié en 1880 dans La Finance nouvelle, une feuille boursière qui accueille dans ses colonnes les textes de plusieurs fouriéristes – par exemple Charles Pellarin et Charles Sauvestre [24].

Par ailleurs, Eugène Tallon est adjoint au maire du 14e arrondissement. Il est aussi l’un des responsables de la bibliothèque populaire des Amis de l’instruction du XIVe arrondissement fondée en 1871 – où il retrouve d’ailleurs plusieurs de ses condisciples, comme Étienne Barat, Charles Pellarin et Charles Limousin ; il est membre du « conseil consultatif et des études » de la bibliothèque, puis administrateur de l’association des Amis de l’instruction ; il fait partie des donateurs de livres – la bibliothèque du 14e arrondissement est d’ailleurs l’une des mieux pourvues en ouvrages fouriéristes [25].

Eugène Tallon est un libre penseur et ses obsèques sont civiles. Avec sa mort, « l’École phalanstérienne vient de subir la perte la plus douloureuse qui put la frapper », indique Limousin dans la Revue du mouvement social [26]. Le conseil municipal de Paris décide en 1884

d’accorder un secours […] à Mme Tallon, veuve d’un adjoint au maire [du 14e arrondissement], adjoint qui s’est, pendant de longues années, consacré gratuitement au service de la Ville.

Ce secours, d’abord fixé à 1000 francs en commission, est porté 1500 francs en séance, l’un des conseillers soulignant que « M. Tallon a rendu des services de haute importante à la démocratie » [27].